Le Réseau financement alternatif (RFA)1 vient de rendre public un outil d’évaluation de la responsabilité sociale des institutions financières. Ilstigmatise le peu de motivation des banques à communiquer. Une mauvaise volonté à nuancer.
Le Réseau financement alternatif (RFA) a récemment présenté à la presse les résultats d’une année de recherche – financée par leministre de l’Intégration sociale, des Pensions et de la Politique des grandes villes – sur l’évaluation du niveau de responsabilité sociale (RSE) desétablissements de crédit. « Nombre d’institutions financières communiquent largement sur leurs objectifs en matière de responsabilité sociale, parcontre la communication sur les résultats est inexistante. C’est pourquoi nous avons voulu mettre au point un outil qui permet d’évaluer concrètement laresponsabilité sociétale des établissements de crédit et des dispensateurs de crédit aux particuliers », selon Bernard Bayot, directeur du RFA.
La recherche a donc été menée et a permis de mettre au point un outil de mesure du niveau de RSE des institutions financières2 centré sur troiséléments majeurs, constitutifs de leur cœur de métier : l’inclusion financière, la responsabilité et la solidarité dans la politiqued’investissement et d’allocation d’actifs.
Mais si l’outil est bel et bien abouti, les données pour en extraire une évaluation de nos institutions financières sont pour le moins lacunaires. « Laparticipation et la collaboration des institutions financières a été tout à fait insuffisante et non significative », selon le RFA. « Sur les dix institutionssollicitées, seuls trois établissements ont consenti à répondre », explique le Réseau financement alternatif, soulignant par ailleurs que les réponsesapportées étaient partielles.
Les banques belges seraient de mauvaise volonté ? Nous avons contacté les principaux organismes financiers du pays pour savoir savoir s’ils ont bien reçu le questionnaire enquestion et s’ils ont pu y répondre. Du côté de KBC et de Triodos, c’est simple, pas de réponse ! Les services de presse des autres banquescontactées3 ont par contre fait preuve d’une grande efficacité. La RSE est bien un thème sur lequel il faut être fortement présent.
Motivation relative
C’est ainsi que BNP Paribas Fortis reconnaît avoir reçu le questionnaire et y avoir répondu de manière partielle. « La charge de travail nécessairepour répondre aux questions était très importante, explique Liliane Tackaert, porte-parole de la banque. Nous n’avons pas pu répondre à toutes les questions,parfois très fouillées et qui demandaient de collecter des informations, dont nous disposons, mais pas selon les formats souhaités. » En outre, souligne la porte-parole,les délais impartis étaient très courts.
Même remarque du côté de Dexia, qui insiste par ailleurs sur le fait que de nombreuses questions allaient à l’encontre du respect de la vie privée de sesclients. « Nous demander des informations sur les comptes de nos clients et les crédits en cours, par tranche d’âge, par sexe et pour certaines communes de petite taille,rend les clients quasi identifiables », souligne Thierry Martiny, chez Dexia.
Philippe Dembour, chez ING, dit ne pas avoir reçu le questionnaire du RFA. Il insiste cependant, ainsi que l’ont fait les autres représentants des banques contactées,sur leur volonté de communiquer au mieux au sujet des questions de responsabilité sociétale de leurs institutions.
En réponse aux banques, Bernard Bayot insiste sur le fait que les données demandées sont disponibles dans les institutions financières, soit parce qu’ellesrelèvent de l’obligation légale, soit parce que les institutions les collectent. Bien sûr elles ne sont sans doute pas disponibles au format voulu, mais la forceéconomique des institutions financières est telle que la livraison de telles informations ne devrait pas constituer un obstacle majeur. Par ailleurs, les banques doivent fournir desdonnées autrement plus fouillées à d’autres organismes, souligne le directeur du RFA, qui se demande en fin de compte pourquoi sept banques sur les dix contactéesn’ont pas répondu.
Il ne s’agit peut-être pas de mauvaise volonté de la part des organismes financiers, explique Bernard Bayot, mais il y a en tout cas un manque de motivation de leur part.« Les institutions financières belges n’ont pas la volonté d’être transparentes en matière de RSE », dénonçait le directeur du RFAlors de la conférence de presse de présentation de l’étude. Et celui-ci d’en appeler à l’intervention des pouvoirs publics pour contraindre lesorganismes financiers à faire preuve de transparence en matière de RSE.
Attention au greenwashing
Les banques communiquent à l’envi sur le développement durable, la responsabilité sociale et les investissements éthiques. À en croire la récentecommunication de Netwerk Vlaanderen4 – le pendant néerlandophone du Réseau financement alternatif – on est en plein greenwashing !
Netwerk Vlaanderen vient en effet de publier une étude mettant en évidence l’implication des banques dans des investissements qui nuisent au climat.
Selon cette étude, intitulée Banquiers sur des charbons ardents, au cours des dernières années les banques BNP Paribas, KBC, Citibank, Deutsche Bank, ING et AXAont investi ensemble 25 milliards d’euros dans de nouvelles centrales à charbon, dans l’extraction de pétrole des sables bitumeux ou dans la déforestation deforêts tropicales. « Les banques affichent volontiers leur image verte. Mais tant que les banques investissent dans des centrales à charbon, il n’y a pasd’activités bancaires durables », souligne le communiqué de Netwerk Vlaanderen. Et celui-ci de poursuivre en relevant que les compagnies d’énergie construisantde nouvelles centrales à charbon ou extrayant du pétrole des sables bitumeux trouvent facilement un financement auprès des grandes banques actives en Belgique. Netwerk Vlaanderenindique ainsi que la construction de septante centrales à charbon est en projet, ce qui, en terme de dégagement de CO2, équivaudrait à 130 millions de voitures par an.
Dans la foulée de cette étude, quatre organisations environnementales (WWF Belgique, Friends of the Earth Flandres & Bruxelles, Greenpeace Belgique et Bond Beter Leefmilieu)lancent une pétition pour lutter contre les investissements des banques dans les centrales au charbon. La pétition, intitulée Bankroet, souligne notamment que « un
europour l’énergie ne peut être qu’une seule fois dépensé. Choisir le charbon signifie également ne pas investir dans une énergie renouvelable».
Incitation ou obligation ?
Faut-il donner un cadre légal à la communication des banques en matière de responsabilité sociétale plutôt que de les laisser agir sur une base volontaire? Du côté des organismes financiers, la réponse est unanime et peut être résumée en un « laissez-nous faire » franc et massif. Les banquesinsistent sur la communication qu’elles opèrent déjà à ce sujet, notamment vie leurs rapports annuels et en répondant aux questions de tout qui lesinterpellent à ce sujet.
Bernard Horenbeek, directeur du Crédal5 – banque dont la raison d’être même est la responsabilité sociétale – et par ailleurs membredu conseil d’administration du Réseau financement alternatif, est nuancé sur ce point. « Je trouve globalement qu’être incitatif est mieux qu’être coercitif,mais avec les banques ce n’est pas facile », explique-t-il. Et celui-ci de prendre pour exemple la législation belge de 2007 sur le service bancaire de base, très en pointe, sanslaquelle les organismes financiers n’aurait sans doute pas mis au point d’offre accessible à tous. Cela dit, sur ce point, Dexia argumente toutefois qu’elle a mis sur pied en2000 un « compte aide sociale », ouvert à la demande exclusive des CPAS, sur lequel sont virés les revenus minimum dispensés par ceux-ci.
Pour l’heure, il n’est donc pas possible de calculer et de rendre publique une cotation de la responsabilité sociétale des banques. Bernard Bayot explique que, àla décharge des organismes financiers contactés, l’étude du RFA était en phase de test de manière à affiner le questionnaire. Il espèrequ’un deuxième tour de questions donnera de meilleurs résultats.
Le mémorandum de FRA
Dans son mémorandum6 publié à l’approche des élections du 13 juin, le Réseau financement alternatif structure ses revendications en treizeactions. L’une de ces actions est la responsabilisation des banques sur le plan sociétal : « Nous demandons dès lors que les banques et les dispensateurs de créditfassent l’objet d’une évaluation publique sur la responsabilité et la solidarité dont ils font preuve dans leur politique de gestion des actifs et leur offre de produitsd’investissement mais aussi sur leurs résultats en matière d’inclusion financière. Cette évaluation contribuera à encourager la RSE des entreprisesfinancières. »
Notons enfin que, sur la question de savoir s’il faut légiférer ou non en matière de RSE, l’association fédératrice du secteur de l’économiesociale SAW-B vient de publier une analyse de la responsabilité sociale des entreprises dans laquelle elle formule plusieurs critiques de la RSE. La principale critique cible justement lecaractère volontaire de la responsabilité sociale des entreprises.
L’économie sociale doit fuir la RSE
SAW-B s’est fendu dernièrement d’une étude réflexive et argumentée sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE). La RSE : une opération decommunication, conclut-elle.
L’association fédératrice du secteur de l’économie sociale SAW-B7 vient de publier une analyse de la responsabilité sociale des entreprises :l’intégration de préoccupations sociales et environnementales par les entreprises et leurs parties prenantes. Elle y étudie son historique et sa mise en pratique puisémet un certain nombre de critiques. « La RSE peut être vue comme une réponse managériale à l’évolution de notre société et de notreenvironnement », explique Jean-Marie Coen, auteur de l’analyse, mais elle n’en est pas moins exempt de critiques.
Première et principale critique : la RSE est volontaire, non contraignante. Et c’est même un des points de définition de la RSE sur lequel il y a le plus d’accordet d’insistance, souligne Jean-Marie Coen. « Parler d’approche volontariste pour aller au-delà du cadre législatif, n’est-ce pas nier le caractèreconflictuel du rapport économique entre travailleurs et possédants ? », demande l’auteur. Par ailleurs, le programme de la RSE n’est pas de modifier fondamentalementla règle du profit qui régit le système capitaliste. Et enfin, la RSE revient à adapter les pratiques et discours des entreprises à l’air du temps, affirmeJean-Marie Coen. Bref, la RSE, une opération de communication qui ne changera rien fondamentalement, selon l’auteur de l’analyse.
Cette attaque en règle de la RSE, de la part de SAW-B, n’est pas gratuite. L’économie sociale est en effet souvent citée comme exemple par les promoteurs de la RSEet les entreprises sociales sont régulièrement appelées à prodiguer leurs conseils. L’auteur de l’analyse en conclut donc que le secteur del’économie sociale doit prendre ses distances par rapport à la RSE et affirmer sa différence. Ce serait en outre une bonne occasion « d’affirmer (deréaffirmer) nos valeurs et notre particularité », selon Jean-Marie Coen.
1. Réseau financement alternatif :
– adresse : chée d’Alsemberg, 303-309 à 1190 Bruxelles
– tél. : 02 340 08 60
– courriel : info@rfa.be
– site : www.financite.be
2. L’outil d’évaluation de la RSE des banques est téléchargeable à partir de la page suivante : www.financite.be/depeche,fr,59,8,1,100.html
3. Les informations sur la RSE sur les sites des banques que nous avons contactées :
ING : www.ing.be/about/… ;
BNP Paribas Fortis : www.bnpparibas.com/fr/… ;
Dexia : www.dexia.com/f/…
4. Site : www.netwerkvlaanderen.be/bankroet
5. Crédal :
– adresse : pl. de l’Université, 16 à 1348 Louvain-la-Neuve
– tél. : 010 48 33 50
– courriel : credal@credal.be
– site : www.credal.be
6. Le mémorandum du Réseau financement alternatif est téléchargeable &agr
ave; l’adresse suivante : www.financite.be/s-in-former/…
7. SAW-B :
– adresse : rue Monceau-Fontaine, 42/6 à 6031 Monceau-sur-Sambre
– tél. : 071 53 28 30
– courriel :info@saw-b.be
– site : www.saw-b.be.
L’analyse peut être téléchargée à l’adresse suivante :
www.saw-b.be/EP/2010/A1005_RSE.pdf