Le ministre-président de la Région bruxelloise, Rudi Vervoort, est en charge de l’aménagement du territoire. Une compétence cruciale pour gérer les grands chantiers de cette législature: réforme des outils de gouvernance territoriale, nouveaux quartiers, Plan Canal. Nous l’avons rencontré pour faire le point sur sa politique et sa vision du développement de Bruxelles.
Alter Échos: L’aménagement du territoire est une compétence des ministres-présidents de la Région bruxelloise depuis sa création, en 1989. Comment envisagez-vous cette politique sous cette législature?
Rudi Vervoort: De manière générale, nous avons, au sein de ce gouvernement, cherché à avoir plus de cohérence entre les compétences. C’est par exemple la première fois qu’un ministre s’occupe à la fois de l’économie, de l’emploi et de la formation professionnelle (NDLR: Didier Gosuin). Nous avons adopté la même logique pour le développement territorial. Prenons le Plan Canal, qui est, avec la construction des dix nouveaux quartiers, un des grands enjeux (1). J’ai la tutelle du Port de Bruxelles, ce qui est indispensable pour se coordonner avec les autres acteurs, économiques et publics, présents dans cette zone. Je suis également en charge de Citydev (SDRB: Société de développement pour la Région de Bruxelles-Capitale), un des grands acteurs publics du développement territorial. Autre aspect important, le patrimoine, qui figure aussi parmi mes compétences. Et, à côté du développement territorial, il y a l’urbanisme. La sixième réforme intrabruxelloise a dopé la Région en termes de délivrance des permis. Dès qu’il s’agit de construire une dizaine de logements ou d’emplacements de parking, cela relève de notre compétence. Aujourd’hui, tous les grands permis sont donc délivrés par la Région. Tout cela forme un paquet cohérent.
A.É.: Une réforme de la gouvernance territoriale a été annoncée, avec la création d’un bureau bruxellois de planification, qui regroupera les différentes administrations chargées de la planification territoriale, et un opérateur foncier public, qui coordonnera les opérations sur le terrain. Où en êtes-vous?
R.V.: Le gouvernement a approuvé ce matin (vendredi 19 juin 2015) les projets d’ordonnance. On espère que les textes pourront être votés par le parlement avant le 17 juillet. Notre idée est d’avoir, en amont, un bureau de planification, où seront rassemblés tous les outils permettant de récolter des données sur la ville. Avant, chaque administration faisait un peu son truc dans son coin. Notre objectif est d’avoir les meilleures informations possibles pour établir une programmation cohérente. Prenons l’exemple de la friche Josaphat, sur laquelle nous voulons développer un des 10 nouveaux quartiers. Il faut pouvoir évaluer les besoins en termes de logements mais aussi de crèches, d’écoles, voir comment on va amener les transports publics jusque-là, etc. Il y a un mini-zoning, donc nous devons connaître les attentes des entreprises.
A.É.: Et pour l’aspect opérationnel?
R.V.: C’est la société d’aménagement urbain qui entrera en action. Elle pourra, en fonction des besoins, créer des partenariats avec le public ou le privé. L’idée est de créer, pour chaque site à développer, un «assemblier» spécifique, qui sera à la manœuvre du développement immobilier.
A.É.: Ces remaniements institutionnels risquent-ils d’entraîner des licenciements?
R.V.: Non.
A.É.: Mais les administrations vont déménager?
R.V.: Pour l’aspect opérationnel, il faudra attendre les arrêtés d’exécution. Mais l’idée est bien de les rassembler en un même lieu emblématique. C’est une réflexion que nous mènerons avec le maître-architecte de Bruxelles (2). Ce lieu devra être l’expression urbanistique de la ville de demain, avec des espaces ouverts accessibles au public.
A.É.: Vous travaillez aussi à une réforme du Code bruxellois de l’aménagement du territoire (CoBAT). Pouvez-vous nous en dire plus?
R.V.: Un des défauts majeurs, actuellement, c’est la lenteur des procédures. Lorsqu’on dépose un permis, on doit souvent attendre trois ou quatre mois pour recevoir un accusé de réception. Ce n’est pas sérieux. Il y a un boom démographique, des besoins criants en matière de logements et d’équipements. Et cela nous fait perdre de l’argent. Or, avec le processus de responsabilité des entités fédérées qui doit aboutir en 2025, on doit trouver des réponses adéquates pour mobiliser de la richesse, attirer des investissements. D’ici à la fin de l’année, un nouveau texte sera voté au parlement pour revoir la loi urbanistique à Bruxelles. Il y aura une première présentation avant les vacances parlementaires. J’ai commencé les consultations avec les administrations concernées car il faut s’assurer que cela tienne la route. Mais tout est prêt. Un renforcement du personnel est déjà prévu à Bruxelles Développement urbain (BDU), qui pilote l’aménagement du territoire.
A.É.: Le Plan régional de développement durable (PRDD) n’a même pas encore abouti. N’est-ce pas illogique de réformer d’abord le CoBAT? Ce dernier ne devrait-il pas découler du PRDD, qui propose une vision globale du développement de la ville?
R.V.: Nous comptons finaliser le PRDD à la rentrée prochaine. Je dois admettre que je ne suis pas un adepte de la planification statique. Le problème de cet outil est sa grande ambition. Il brasse toutes les politiques et n’a pas de caractère opérationnel. Or, il faut pouvoir répondre aux urgences. C’est là tout l’enjeu des réformes qu’on est en train de mener. Cela dit, le PRDD est un outil intéressant, précisément parce qu’il croise toutes les matières. Mais je ne pense pas qu’on va encore produire 10 PRDD à l’avenir.
A.É.: De la même manière, certaines associations ont critiqué la réforme du Plan régional d’affectation du sol (PRAS) sous la précédente législature, en soulignant qu’on s’occupait d’abord du «on peut faire quoi et où?» (le PRAS) avant le «on va faire quoi et comment?» (le PRDD).
R.V.: Oui, le PRAS a pris le dessus sur le PRDD parce qu’il fallait répondre à des urgences démographiques. Je sais qu’il y a des critiques. Mais le PRAS n’est jamais que l’expression réglementaire du PRDD. Les réglementations urbanistiques peuvent être lourdes et pénalisantes. Certains plans particuliers d’affectation du sol (PPAS) (3), par exemple, ne riment plus à rien du tout. C’est une des réflexions que nous menons avec la réforme du CoBAT: il faut des indications urbanistiques, mais plus sous une forme aussi rigide qu’avant.
A.É.: N’y a-t-il pas un danger, en se focalisant sur les aspects opérationnels, de diminuer les possibilités de dialogue avec les citoyens sur le futur de Bruxelles?
R.V.: On ne touche pas à la concertation. Nous allons d’ailleurs imposer une procédure de concertation propre à chaque nouveau quartier, en fonction de l’existant, de l’associatif présent. Nous utiliserons des outils plus modernes. Il ne s’agira plus seulement de mettre dix panneaux pour dire «vous venez tel jour à tel endroit». On communiquera notamment par Internet, comme on le fait sur NEO (un des dix nouveaux quartiers qui se développe sur le site de l’Atomium). Les gens pourront poser des questions. Ce sera un dispositif plus interactif, qui devrait permettre de désamorcer certaines craintes.
A.É.: Mais où le citoyen bruxellois va-t-il pouvoir trouver une vision d’ensemble sur le développement de la ville?
R.V.: Dans le PRDD. J’ai dit ce que je pensais de négatif, mais c’est aussi un outil extraordinaire qui donne des indications générales, à moyen terme à tout le moins. Si on le ramène à cette dimension-là, il aura plus de souplesse. Mais il n’est pas un outil planologique pour autant.
A.É.: Certains observateurs font remarquer qu’en assouplissant les règles urbanistiques, vous ouvrez des boulevards aux promoteurs immobiliers. Et que c’est surtout à eux que toutes ces réformes vont profiter…
R.V.: Il y a le mécanisme des charges d’urbanisme, qui s’est mis en place quand je suis devenu ministre-président. Il permet aux promoteurs de s’acquitter des charges d’urbanisme en nature, c’est-à-dire en produisant 15% de logements moyens acquisitifs. S’ils ne le font pas, ils doivent payer 50 euros du mètre carré.
A.É.: Mais les promoteurs choisissent souvent de payer…
R.V.: Actuellement, on a sept grands projets où ce mécanisme a fonctionné. Il démarre lentement mais commence à porter ses fruits. Il faut comprendre que nous sommes dans une réalité budgétaire européenne qui ne permet l’endettement public que dans des proportions très limitées. La dernière tuile qui nous est tombée dessus est la consolidation de la dette de la SLRB (Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale, en charge du logement social). La dette du Port de Bruxelles aussi, d’ailleurs. Cela nous oblige encore plus à mobiliser notre foncier public, comme les 313 hectares prévus dans le cadre du Plan Canal. Le foncier, c’est notre richesse. On vit dans le carcan des 19 communes, et paradoxalement, la raréfaction des terrains est un attrait pour les investisseurs. Toute la difficulté est évidemment de pouvoir en même temps continuer à produire du logement accessible. D’où le développement des 10 nouveaux quartiers, où on veut avoir une mixité dans l’occupation de l’espace. Dans le futur quartier Josaphat, notre objectif en matière d’immobilier public est d’avoir 50% de logements sociaux et 50% de logements moyens.
A.É.: Une recherche du Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat montre qu’une grande partie du foncier encore disponible à Bruxelles se trouve dans les mains des communes. Que pensez-vous de l’idée d’imposer des quotas pour forcer les plus récalcitrantes à produire des logements sociaux?
R.V.: Je vais répondre en tant que ministre de tutelle des pouvoirs locaux. Je ne pense pas qu’on puisse forcer les communes à avoir un quota de logements sociaux, notamment en raison du principe d’autonomie fiscale. Si on les pénalise financièrement, on se fait attaquer en justice. Ce qui est prévu, c’est un mode incitatif, où on a un quota en tête, qui sert d’indicateur.
A.É.: Vous êtes également en charge de la politique de la ville. Que recouvre exactement cette compétence?
R.V.: C’est un héritage de la politique fédérale des grandes villes, qui a été régionalisée, mais sans que les moyens suivent. Donc, on est occupé à réfléchir au contenu à lui donner. On doit aboutir pour 2016. La politique des grandes villes rassemblait des dispositifs très hétéroclites (4). Comme tel, maintenir le mécanisme n’a pas d’intérêt, sauf à garder des poches de gestion administrative spécifique qui vont alourdir les choses. Or, comme je l’ai dit, notre idée est de développer une vision plus cohérente de l’ensemble des politiques à l’échelle de la Région.
(1) Le Plan Canal prévoit le redéploiement de cette zone pour produire 1.800 logements et créer de l’emploi.
(2) Depuis 2009, la Région de Bruxelles s’est doté d’un maître-architecte dont la mission est de veiller à la qualité architecturale et paysagère des projets publics régionaux.
(3) Un PPAS est un outil de planification locale, qui complète ou précise le PRAS.
(4) Lancée en 1999, la Politique des grandes villes visait à améliorer la qualité de vie dans les quartiers défavorisés des grandes villes (Charleroi, Anvers, Bruxelles, etc.). La création de maisons de quartier, la décentralisation de services communaux, le développement de nouveaux métiers comme les gardiens de la paix et les stewards figurent parmi les actions prises dans le cadre de cette politique.
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