Le petit monde des titres-services serait-il à nouveau en pleine ébullition ? Depuis un peu moins de deux mois, les communiqués de presse succèdent auxdéclarations. La Cour des Comptes lâche de son côté quelques bombes sur le dispositif. La ministre réplique.
C’est l’histoire d’un nouvel épisode de la série à succès des titres-services ; un épisode qui commence plutôt bien. En effet, le 22 décembre 2008,la loi fédérale « portant dispositions diverses » est adoptée et vient apporter quelques modifications notables au système. Elle supprime, notamment, lapossibilité de conclure des contrats de travail de durée déterminée successifs, de même que des contrats de travail de moins d’un tiers-temps. La loi metégalement fin à la dérogation qui avait été introduite par rapport à la durée minimale des prestations, qui devra dorénavant être deminimum trois heures. Plutôt positives, ces mesures sont saluées dès le 27 janvier par un communiqué de presse conjoint de Atout EI (la fédération wallonnedes entreprises d’insertion)1, ConcertES2 (plate-forme de concertation des organisations représentatives de l’économie sociale en Région wallonne età Bruxelles) et le Vosec3 (plate-forme flamande pour l’économie sociale).
L’occasion aussi pour les trois opérateurs d’affirmer que l’économie sociale met au travail environ 9 000 personnes employées dans le cadre des titres-services, comprenant« environ 80 % de contrats à durée indéterminée », selon Sébastien Pereau, secrétaire général de ConcertES. Cependant, plus loin,les opérateurs mettent en garde contre « tout élargissement des activités accessibles par le dispositif des titres-services » et plaident plutôt pour un «financement durable et structurel » du système. Si le sujet sensible de l’élargissement du champ des titres-services (notamment à la garde d’enfant) revientrégulièrement sur la table, on peut néanmoins se poser, à ce moment-là, la question de savoir ce qui pousse à communiquer à nouveau à proposd’une question quelque peu mise au frigo depuis quelques mois…
Élargir le champ des titres-services ?
La réponse à cette interrogation ne tarde pas puisque le 31 janvier, Joëlle Milquet (CDH), la ministre fédérale de l’Emploi4, déclare dans lapresse francophone : « Je vais doper les titres-services. (…) Il faut étendre leur champ notamment à la garde d’enfant à domicile, avec des garanties ».Une déclaration qui fait bondir le Mouvement féministe d’action interculturelle et sociale Vie féminine et le pousse à se fendre d’un communiqué le 12février. Sa position est claire : hors de question d’étendre les titres-services à la garde d’enfant. Le mouvement entend que l’accueil des enfants soit « assuré pardes professionnel(le)s qualifié(e)s, encadré(e)s et contrôlé(e)s. » Or confier cette tâche à des travailleurs titres-services n’offrirait pas « degaranties suffisantes en matière de formation des travailleurs/travailleuses, ni en matière d’encadrement. »
Le sujet est donc à nouveau dans l’air, d’autant plus que l’économie sociale et Vie féminine ne semblent pas être les seuls à s’intéresser auxtitres-services… En effet, le 8 janvier, c’était Federgon, la fédération des opérateurs d’intérim, qui déclarait également soutenirl’hypothèse d’un financement structurel du système. Avant de conclure par cette formule : « Federgon plaide également pour un élargissement desactivités autorisées (notamment au petit bricolage, aux petits travaux de réparation, à la garde d’enfant). » À l’analyse, la position de Federgon ausujet de l’élargissement n’a rien d’étonnant : opérateurs « à but lucratif » des titres-services, les agences d’intérim ontévidemment tout intérêt à élargir le champ du système afin d’y trouver de nouvelles niches de marché à l’heure où la crise les frappe.Rappelons également qu’au début de l’année 2008, les agences d’intérim (de même que les agences locales pour l’emploi) avaient été lourdementchargées par certains partenaires sociaux après la publication d’un audit réalisé par Price Waterhouse Coopers ; audit qui concernait les bénéficesengrangés par les opérateurs reconnus de titres-services. Si, avec 1,65 euro de bénéfice par titre-service, les agences d’intérim se situaient largementderrière les ALE (7,68 euros de bénéfice par titre), les asbl (3,84 euros) ou encore les entreprises d’insertion (2,64 euros), elles étaient cependant accusées parcertains d’engranger de plus gros bénéfices encore, mais de le cacher en gonflant les frais annexes ou en se retranchant derrière des comptes consolidés.
La Cour des Comptes dans l’arène
Autre événement marquant en ce mois de janvier 2009 : la publication par la Cour des Comptes d’un audit relatif au système des titres-services. La Cour y relèvecertaines lacunes dans le contrôle du respect des obligations auxquelles sont tenues les entreprises agréées. Elle note également que l’évaluation de la politiquedes titres-services implique d’en calculer le coût pour l’État. Or, affirme-t-elle, les carences relevées dans la tenue des données et dans les échangesd’information entre les diverses institutions de sécurité sociale affecte la qualité du calcul effectué à ce sujet. De manière moins technique etpeut-être plus polémique, la Cour des Comptes mentionne également différents points qui, de près ou de loin, font écho aux débats mentionnésplus haut. Ainsi, elle note premièrement que le ministre de l’Emploi est tenu, depuis 2005, de présenter des rapports d’évaluation mesurant, notamment, le nombre et laqualité des emplois créés dans le cadre du dispositif. Or, remarque la Cour, aucun critère ne définit ce qui peut être considéré comme unemploi. Pire, le nombre d’emplois créés en 2007 (87 152) correspond en réalité à toutes les personnes ayant transité par le système, quelque soit lenombre d’heures prestées dans l’année.
Deuxièmement, la Cour des Comptes constate que depuis 2005, les dépenses relatives aux titres-services ont systématiquement dépassé les crédits initiauxet que des crédits supplémentaires ont été nécessaires pour assurer la continuité du système. Elle plaide donc pour un encadrement budgétaireplus strict.
Troisièmement, rejoignan
t de vieilles critiques du système, la Cour note que la valeur d’échange des titres-services, qui comprend le montant payé par l’utilisateur etl’intervention de l’État (et est fixée au même niveau pour toutes les entreprises agréées), génère des marges bénéficiaires pourcertaines entreprises et pas pour d’autres. Des disparités qui seraient liées, d’après elle, aux aides publiques à l’emploi dont bénéficient, ou non, lesentreprises agréées. Selon la Cour, une évaluation régulière de la valeur d’échange des titres-services, fondée sur une analyse critique desstructures de coûts des entreprises et prenant en compte les différentes aides publiques à l’emploi devrait permettre d’améliorer la situation.
Un danger pour les opérateurs ?
On le voit, la liste des doléances est longue et pourrait faire grincer des dents ailleurs qu’au cabinet de Joëlle Milquet. En effet, une certaine forme de corsetage du budgettitres-services pourrait à terme engendrer une augmentation de la part payée par les consommateurs et faire fuir une partie de ceux-ci, ce qui n’arrangerait pas les affaires de certainsopérateurs déjà touchés par la crise financière actuelle. Quoi qu’il en soit, Joëlle Milquet a réagit promptement par voie de communiqué.Concernant le contrôle du respect de la réglementation par les entreprises de titres-services, la ministre affirme qu’un groupe de travail réunissant les différentsservices d’inspection a été constitué pour la première fois le 27 mars 2008. Le communiqué précise également que « la confectiond’échanges d’informations systématiques et électroniques entre les différentes institutions concernées est en train d’êtredéveloppée. »
Au sujet du financement et de la pérennisation du dispositif, Joëlle Milquet déclare être persuadée du caractère crucial de la problématique desmarges bénéficiaires de certaines entreprises titres-services. Dans ce cadre, elle assure avoir demandé à la Banque nationale de Belgique (BNB) de confronter les chiffresdéclarés par les entreprises titres-services dans le cadre de l’enquête menée par Price Waterhouse Coopers avec les comptes annuels dont dispose la BNB. Reçuele 31 juillet 2008, l’analyse a montré que les chiffres déclarés lors de l’enquête n’étaient en général pas conformes à ceuxdéposés à la BNB. Ce qui l’a poussée, afin d’obtenir « une vision plus évolutive de la situation financière des entreprises titres-services »,à demander à la BNB « d’analyser les comptes annuels des entreprises titres-services de manière plus structurelle et ce, par type d’entreprise. Ainsi les cinqprochaines années, la BNB pourra nous donner une image plus fidèle de la réalité financière du secteur. Ces analyses nous permettront de disposer d’un outilessentiel pour déterminer la juste valeur d’échange des titres-services, au regard de trois objectifs : gestion économe des moyens publics, viabilité etrentabilité du secteur, respect des obligations légales et sociales. »
Coût élevé pour l’État, débat sur l’opportunité de l’élargissement, cumul avec certaines mesures d’aide à l’emploi, bénéficessupposés élevés de certains opérateurs,… Les désormais classiques points d’achoppement relatifs au système des titres-services reviennent uneénième fois sur le devant de la scène. Les titres-services : une saga qui ne s’arrête jamais ?
1. Atout EI :
– adresse : rue du Téris, 45 à 4100 Seraing
– tél. : 04 330 39 86
– site : www.atouei.be
2. ConcertES :
– adresse : place de l’université, 16 à 1348 Louvain-la-Neuve
– tél. : 010 45 64 50
– courriel : contact@concertes.be
– site : www.concertes.be
3. Vosec :
– adresse : rue du progrès, 333 bte 11 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 274 14 50
– courriel : info@vosec.be
– site : www.vosec.be
4. Cabinet de Joëlle Milquet, ministre fédérale de l’Emploi :
– adresse : av. des arts, 7 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 220 20 11
– site : www.belgium.be