Être salarié tout en travaillant de façon autonome? Dies, une structure regroupant notamment trois «coopératives de salariés», permet de réaliser ce petit tour de passe-passe.
En Belgique on n’a pas toujours beaucoup de moyens, mais on n’hésite pas à bricoler. Une remarque qui concerne aussi tout ce qui touche aux méandres des politiques de l’emploi. Prenons un exemple: entre le statut de salarié et celui d’indépendant, il n’existe pas à l’heure actuelle de «troisième voie» permettant à certaines personnes de travailler de manière autonome tout en gardant notamment leur droit au chômage. Face à cette situation, leur choix est donc simple: soit elles optent pour le statut d’indépendant, mais perdent alors leur protection sociale; soit elles optent pour le statut de salarié… mais ne sont dès lors plus des travailleuses «autonomes».
C’est dans ce contexte que certaines solutions se sont développées, en se glissant parfois dans les zones grises de la loi, là où viennent se réfugier les projets auxquels personne n’avait jamais songé. Il en va ainsi de Dies, une «coopérative d’emploi à finalité sociale». Une précision: Dies n’existe pas en tant que telle. Il s’agit plutôt d’une coupole réunissant trois coopératives de salariés et une coopérative d’indépendants. Créée il y a 12 ans, Dies a connu des débuts difficiles avant de rencontrer un petit succès, toujours discret, depuis quelques années.
Des travailleurs autonomes
Mais qu’est-ce qu’une coopérative de salariés? Tout d’abord, il s’agit… d’une coopérative. Même si, dans le cas de Dies, ce détail ne semble finalement pas très important. «Nous avons pris le statut de coopérative notamment parce que les créateurs de Dies, dont je fais partie, étaient issus du secteur de l’économie sociale», explique Paul Maréchal, gérant de Dies.
Dans le cas de Dies, les trois coopératives de salariés permettent aussi et surtout à des «entrepreneurs salariés autonomes» de travailler de façon indépendante sans devoir passer sous statut d’indépendant… Et donc de continuer de bénéficier du statut juridique et social du salarié. Comment? C’est simple: le travailleur devient un salarié à part entière d’une des trois coopératives. Et son projet professionnel un département de celle-ci; département dont le salarié est responsable. Un petit tour de passe-passe qui convainc de plus en plus de monde: les trois coopératives comptent aujourd’hui au total un peu plus de 100 «travailleurs autonomes» actifs dans des domaines aussi variés que la formation, le coaching, l’architecture, le soutien administratif, le webdesign. Contrairement à ce que son site affirme, Dies ne facilite donc pas vraiment la création d’emplois «dans le cadre d’un développement durable qui place l’économie au service de l’homme et de la solidarité». De l’avis même de Paul Maréchal, tous les types de fonctions peuvent se retrouver repris au sein d’une des trois coopératives, à l’exception notamment des métiers de l’horeca et du bâtiment, pour des raisons diverses. Et ce même si «nous n’acceptons pas tout. Il m’est arrivé de refuser des personnes parce que leur projet ne correspondait pas à notre philosophie, comme un vendeur d’assurances trop belles pour être vraies ou un coach qui avait tout d’un gourou», sourit Paul Maréchal.
Tous les types de fonctions peuvent se retrouver repris au sein d’une des trois coopératives, à l’exception notamment des métiers de l’horeca et du bâtiment.
Notre homme se veut prudent. C’est en effet lui qui devient le patron des «travailleurs autonomes». Un contrat de travail est signé. Un salaire mensuel – dépendant du chiffre d’affaires du «département» et réajustable selon l’évolution de celui-ci – est défini. Dies et ses trois coopératives de salariés prennent donc un risque… calculé. Car pour pouvoir faire partie de l’aventure il faut démontrer la viabilité de son projet au plan professionnel et financier en se justifiant de minimum 2.000 euros de marge brute mensuelle moyenne. «Cela est notamment dû aux lois sociales et au fait que nous ne pouvons pas engager quelqu’un au-dessous d’un mi-temps et sous les barèmes de la convention paritaire à laquelle nous appartenons (NDLR: la 335)», justifie Paul Maréchal. Une sacrée somme tout de même, qui a une conséquence: 50% des travailleurs actifs au sein des coopératives de salariés proviennent de couveuses d’entreprises ou de coopératives d’activité où elles ont pu mettre leur projet au point avant de se lancer. «Elles ont aussi été habituées, au sein de ces structures, à ce qu’on s’occupe de leurs factures, etc. En sortant, elles n’ont pas forcément envie de s’occuper de ça… et finissent chez nous», explique Paul Maréchal. En plus d’offrir un statut de salarié, les coopératives de salariés s’occupent en effet aussi de la gestion de la comptabilité des salariés, des notes de frais, etc. Elles les conseillent également en ce qui concerne la fiscalité, la TVA. Enfin, un monitoring mensuel des activités est organisé.
Salarié mais…
Si malgré cela certains projets piquent du nez, des mesures sont prises pour redresser la barre. «On peut par exemple imaginer que quelqu’un prenne 15 jours de congé sans solde», explique Paul Maréchal. En dernier ressort, un C4 peut être émis. «Nous ne retenons personne, tout le monde peut s’en aller quand il le souhaite, continue le gérant de Dies. Mais, à partir d’un moment, lorsque le salarié gagne très bien sa vie, cela ne devient plus intéressant de rester chez nous. Certains le font cependant: ils préfèrent cela au fait de devenir indépendant et de devoir s’occuper de toute la comptabilité, etc.»
«Je ne suis pas contre le fait qu’il y ait une représentation syndicale, mais personne en interne ne semblait intéressé.», Paul Maréchal, Dies
Dans ce cas, ils continueront donc à contribuer aux frais de fonctionnement de la coopérative à hauteur de 8% de la marge brute – pour la première tranche de 60.000 euros – de leur département, comme chaque salarié. Une participation qui permet aux trois coopératives de fonctionner tout en payant les 3,5 équivalents temps pleins actifs sur le projet, tout de même. Dies est donc un business qui fonctionne. «Oui, j’obtiens un salaire par ce biais. Mais cela ne fait que trois mois que je suis payé à temps plein, il a fallu le temps», détaille Paul Maréchal.
Si notre homme prend quelques pincettes, c’est que le projet Dies pose tout de même quelques questions. Le fait qu’il y ait trois coopératives de salariés n’est ainsi pas un hasard: toutes sont composées de moins de cinquante travailleurs, seuil légal pour qu’un comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) soit obligatoire au sein de la structure. Ce qui limite donc grandement la possibilité de présence syndicale. «Je ne suis pas contre le fait qu’il y ait une représentation syndicale, mais personne en interne ne semblait intéressé. Et puis comment appliquer cela à la façon dont fonctionnent les coopératives de salariés?», s’interroge Paul Maréchal. Une interrogation qui souligne aussi le côté hybride de ces coopératives. Voilà donc des structures employant officiellement des salariés, qui, dans les fait, travaillent presque comme des indépendants… Un détail ne trompe d’ailleurs pas: s’ils peuvent devenir coopérateurs d’une des trois structures après six mois de présence, un nombre important de salariés ne le font pas. Signe qu’ils sont avant tout intéressés par les services offerts par les coopératives plutôt que par un projet collectif. Et qu’une réflexion sur la création d’un «troisième statut», situé entre le salarié et l’indépendant, semble de plus en plus nécessaire au niveau fédéral…
Une coopérative d’indépendants
Notons qu’une coopérative d’indépendants – Brucoop – a aussi été créée au sein de Dies. Les services offerts sont les mêmes que ceux proposés par les coopératives de salariés. Sauf qu’ici, les travailleurs prennent le statut d’indépendant. Une manière de répondre à un problème: «Nous étions obligés de refuser les personnes ne pouvant se justifier de minimum 2.000 euros de marge brute mensuelle moyenne», explique Paul Maréchal. D’autres personnes voulaient aussi rester indépendantes.
En savoir plus
«Un nouveau statut pour les travailleurs?», Alter Échos n°435 du 30/11/2016, Julien Winkel.