Pour le journaliste, le sociologue en herbe ou l’impénitent fouineur, se rendre aux toilettes n’est jamais inintéressant. Où qu’on se trouve, on y recueille d’intrigants éléments de contexte, de la citation zen placardée contre la porte au style du papier toilette, plutôt rose ou plutôt rêche. Dans les écoles, tout sera mis en œuvre pour garder la curiosité du visiteur sous contrôle et le diriger habilement vers les «toilettes du personnel»: c’est que, bien souvent, on préfère garder à l’abri des regards le petit cloaque où les enfants s’évertuent à tenir leurs fesses à juste distance de la lunette (position périlleuse et ennemie du transit).
Enfin, ça, c’était avant le Covid-19. Car, depuis le mois de mars, les écoles, selon les recommandations de l’ONE, sont tenues d’assurer le nettoyage des sanitaires deux fois par jour. En pratique, le nettoyage est plutôt devenu quotidien. «C’était déjà comme cela avant, mais même une fois par jour, on n’y était pas du tout! On a tous eu l’occasion de le constater à l’odeur…», commente Bernard Hubien, secrétaire général de l’Ufapec, l’Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique.
Une rentrée récurée
De là à dire qu’à quelque chose malheur est bon, Bernard Hubien ne se prive pas: «C’est un vrai petit miracle! Ce problème a toujours été laissé de côté. Grâce à la crise sanitaire, les pouvoirs organisateurs ont enfin dû consentir à de grosses dépenses pour l’entretien des sanitaires, soit en engageant du personnel, soit en faisant appel à des sociétés de sous-traitance.» Sauf dans les écoles sans le sou où il faudra peut-être continuer à faire avec les moyens du bord. «Il y a des directrices qui nettoient elles-mêmes les toilettes», rapporte France De Staercke, détachée pédagogique à la Fapeo, la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel. «Dans certains établissements, on fait appel à des volontaires… c’est-à-dire à des parents d’élèves», ajoute Bernard Hubien. Outre le coût des mesures, certaines directions s’agacent de l’incohérence des directives: «L’ONE nous demande désormais d’utiliser de l’eau de Javel pour laver les toilettes, mais cela fait dix ans qu’on n’en utilise plus puisque cela peut créer des problèmes de santé, détaille Joëlle Leyen, responsable des infrastructures pour le groupe Sainte-Véronique, à Liège. On risque même des accidents quand on la mélange avec d’autres produits type déboucheur… Nous avons déjà eu une personne à l’hôpital à cause de cela. D’ailleurs, ce produit est interdit par les services de médecine du travail… Alors allez savoir.»
«Grâce à la crise sanitaire, les pouvoirs organisateurs ont enfin dû consentir à de grosses dépenses pour l’entretien des sanitaires, soit en engageant du personnel, soit en faisant appel à des sociétés de sous-traitance.» Bernard Hubien, secrétaire général de l’Ufapec
Pendant le confinement, beaucoup d’établissements se sont aussi résolus à réparer les robinets cassés depuis des lustres ou à remettre des verrous aux portes, voire des portes tout court. «Sans le Covid, on a l’impression que le déclic n’aurait jamais eu lieu, poursuit Bernard Hubien. Dans une école, il y a toujours d’autres urgences, d’autres priorités. On préférera toujours s’occuper du labo de sciences que des toilettes. Le souci pédagogique prime, mais nous pensons que les toilettes sont aussi un lieu important: c’est une question de bien-être, une manière de ne pas nier les besoins essentiels des élèves.» Pour Joëlle Leyen, qui fut longtemps directrice elle-même, il ne faudrait pas oublier que, si les toilettes sont crasseuses, c’est aussi parce que les jeunots y mettent du leur. «Les toilettes sont une sorte de no man’s land, surtout en fin de journée, pendant les heures d’étude. Il y a deux ans, nous avons constaté chez nous qu’il y avait un ‘jeu’, un défi parmi les élèves qui consistait à dégrader les équipements… On retrouve des rouleaux dans la cuvette, on arrache les distributeurs de savon… Du coup, il faut tout concevoir avec des équipements encastrés. Des écoles ont été jusqu’à mettre des caméras dans les toilettes, ce à quoi on n’a jamais voulu se résoudre.»
Un W.-C. pour 15
À la bonne heure: le collège Sainte-Véronique fait partie des 240 établissements qui viennent de recevoir des subsides pour améliorer leurs sanitaires. Cette enveloppe de dix millions d’euros a été dégagée à la suite d’un arrêté adopté le 21 mai dernier par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur la proposition du ministre du Budget Frédéric Daerden (PS): un plan spécifique qui s’inscrit dans le chantier plus large de rénovation des bâtiments scolaires lancé en début d’année. Preuve que les besoins sont particulièrement criants: le ministère a reçu des demandes de subsides pour plus de 40 millions d’euros… Tout le monde n’a donc pas pu être servi. «Les établissements ont été classés sur la base de l’indice sanitaire, déterminé sur la base d’une comparaison entre la situation existante et la norme théorique applicable», explique Xavier Gonzalez, porte-parole du cabinet Daerden.
«Nous ne pourrons pas répondre à l’ensemble des demandes, mais les programmes de subvention classique demeurent. Le vaste chantier des bâtiments scolaires devrait aussi permettre de donner des réponses.» Xavier Gonzalez, porte-parole du cabinet de Frédéric Daerden
Ces normes prévoient 1 W.-C. pour 15 filles, 1 appareil sanitaire (vécés et urinoirs accumulés) pour 15 garçons tout en respectant un minimum de 1 W.-C. pour 25 garçons, ainsi qu’un minimum de 1 W.-C. pour personnes à mobilité réduite (PMR). Ce sont donc les établissements qui répondaient le moins à ces critères qui ont été retenus. «Les différents réseaux présentent globalement la même fourchette d’indice: ils sont sur un pied d’égalité face à cette problématique», commente Xavier Gonzalez. Pas de différence criante non plus, à première vue, entre les écoles de centre-ville et de village ou les différentes provinces. Tout le monde est à ce point concerné (seuls sept dossiers étaient non recevables) qu’un complément budgétaire pourrait advenir d’ici à la fin de l’année. «Nous ne pourrons pas répondre à l’ensemble des demandes, mais les programmes de subvention classique demeurent. Le vaste chantier des bâtiments scolaires devrait aussi permettre de donner des réponses», rassure-t-on au cabinet.
À Sainte-Véronique, Joëlle Leyen déplie son plan d’architecte: ce sera un bloc de 24 toilettes érigé dans la cour de récréation et vitré au niveau des couloirs et des éviers, de manière à pouvoir assurer une surveillance depuis l’extérieur. «C’est nécessaire parce que les toilettes sont aussi un endroit de harcèlement, raconte le directeur du collège Mathias Tyssens. On attend que tel élève en surpoids arrive pour se moquer de lui, et tout enregistrer sur son téléphone…» Vingt-quatre toilettes, surtout, qui ne seront pas de trop. «Chez nous, le manque de toilettes est surtout lié à l’augmentation rapide du nombre d’élèves avec l’ouverture de la section immersion, poursuit le directeur. En quinze ans, on est passé de 600 à 2.000 élèves… Nous avons donc privilégié de nouveaux locaux de classes plutôt que de nouveaux sanitaires… Ces subsides sont donc un véritable soulagement.» Les travaux, toutefois, ne devraient être achevés qu’à la rentrée 2021. D’ici là, il faudra faire avec les sanitaires existants, lavage des mains inclus… «Toutes les classes ne possèdent pas leur propre évier. Or, tirer une arrivée d’eau, c’est possible, mais évacuer l’eau est plus problématique. Des égouts, on ne peut pas en créer comme ça, soupire Joëlle Leyen. On va donc devoir se rabattre sur le gel hydroalcoolique, même si les dermatologues ont déjà averti des problèmes que cela pouvait poser.»
Un sujet de société
L’École d’hôtellerie et de tourisme de la Ville de Liège, qui accueille des élèves de 12 à 20 ans, fait aussi partie des établissements subsidiés dans le cadre de cette enveloppe. Au numéro 13 de la rue Hors-Château, elle compte deux W.-C. flanqués d’un évier du plus petit format existant pour un total de 150 élèves. Au numéro 5 de la même rue, où se donne une autre partie des cours, il n’y a tout simplement pas de toilettes. Mais c’est dans les bâtiments de la rue Maghin, qui comptent quatre toilettes pour 350 élèves, que commenceront les travaux. «La Ville travaille sur une enveloppe fermée, commente la directrice Catherine Tison. Elle connaît le problème, mais la priorisation semble se faire plutôt au niveau du fondamental que du secondaire. Cela peut se comprendre: c’est plus facile pour un adolescent d’attendre, de faire attention à ne pas dégrader, etc.» Au numéro 5 se présente un autre problème: le bâtiment est classé. «Allez construire des toilettes dans un bâtiment classé… Il faudra des années avant d’avoir les autorisations.» Tout à l’inverse, comment ne pas songer à ces écoles dont une partie des locaux se trouve dans des conteneurs, avec des toilettes intégrées dans des préfabriqués? «Sans parler de celles qui ont des prisonnières dans la cour de récré…», glisse France De Staercke.
«Il y a clairement une évolution: avant, les toilettes dans les écoles, ce n’était pas un sujet, puis c’est devenu un sujet d’associations de parents et aujourd’hui, c’est un sujet de société. Une préoccupation pour les PMS, la médecine de l’école, et même le politique.» Catherine Tison, directrice d’école à Liège
Certes, il y a mille et une façons d’avoir des sanitaires défaillants, mais autant de bonnes raisons de vouloir y remédier: «Des enfants qui se retiennent toute la journée d’aller aux toilettes parce qu’elles sont sales ou qui ne s’y sentent pas en sécurité, ça peut créer des problèmes de santé. Mais la priorité qu’on donne à ce dossier, c’est une question de mentalité, analyse Bernard Hubien. Il y a encore des profs qui estiment qu’il n’est pas normal qu’un enfant sorte de la classe pour aller aux toilettes, que c’est une question de contrôle de soi. Il y en a même qui ont mis en place des systèmes de ticket pour rationner les visites aux toilettes. Mais la nature ne marche pas comme ça…» Catherine Tison abonde: «Il y a clairement une évolution: avant, les toilettes dans les écoles, ce n’était pas un sujet, puis c’est devenu un sujet d’associations de parents et, aujourd’hui, c’est un sujet de société. Une préoccupation pour les PMS, la médecine de l’école, et même le politique.» La pandémie n’aura fait que couronner cette prise de conscience: nous avons bien un corps, susceptible de flancher et d’uriner à l’occasion.
En savoir plus
«Les toilettes à l’école, ça pue, ça glisse !», Alter Échos n°455, 27 novembre 2017, Cédric Vallet.