La Rencontre, le restaurant social de La Source asbl, qui propose un accueil de jour à de nombreux sans-abri, voit son action renforcée en hiver. À la suite de son implication dans le projet Hiver 86.400, La Rencontre offre aux enfants un accueil approprié et accompagne les parents dans leurs démarches administratives, psychologiques ou sociales.
86.400, c’est le nombre de secondes que compte une journée. Un nombre anodin pour certains, une lutte pour d’autres. En hiver, les journées glaciales semblent interminables pour ceux qui n’ont pas la garantie de retrouver la chaleur d’un foyer, devant attendre le début de soirée pour éventuellement rejoindre un centre d’accueil d’urgence où passer la nuit.
Pour offrir un peu de confort en cette période hivernale, neuf associations ont joint leurs services pour créer le projet Hiver 86.400, visant à accroître l’offre d’accueil aux sans-abri en journée. Chacune de ces neuf associations propose un service spécifique, complété par les autres structures afin de couvrir l’ensemble des besoins primordiaux. Les associations Pierre d’angle et Bij ons/chez nous proposent des douches et un service d’hygiène, La Fontaine offre une permanence médicale, tandis que Jamais Sans Toit met à disposition des consignes. La Source asbl s’est quant à elle spécialisée dans l’accueil des enfants et l’aide psychosociale à leurs parents au travers de son restaurant social La Rencontre.
La Rencontre, au même titre que l’ensemble des centres de jour ayant pris part à l’aventure Hiver 86.400, offre un peu de réconfort et de chaleur aux 120 anonymes qui s’y présentent quotidiennement. Si l’association souhaite d’abord renforcer l’accueil diurne avec une mise à l’abri et des services de première ligne, elle propose également un soutien et un accompagnement appuyé de longue durée pour les familles. C’est pourquoi, outre un petit déjeuner gratuit et une soupe chaude distribuée tout au long de la journée, le restaurant social propose un accueil de qualité aux enfants à travers l’École bleue et un suivi psychosocial à leurs parents.
À l’étage de La Rencontre, l’asbl a aménagé un espace consacré aux jeunes entre 2 et 12 ans. Cette «École bleue», créée il y a trois ans, est le résultat du constat de l’augmentation de 10% à 40% de femmes et de familles en rue, et de la difficulté de cohabitation entre les adultes, qui présentent souvent des problèmes psychiques, et les enfants.
Un objectif: l’accompagnement
Loin de l’agitation du restaurant au rez-de-chaussée, les enfants se retrouvent dans un lieu qui leur est totalement dévolu. Une pièce colorée, ornée de graffitis et de dessins, parsemée de jouets, où l’on trouve un espace de repos pour les plus petits. Ressemblant à une salle de jeux, l’École bleue, qui n’a d’école que le nom, se veut rassurante et familière pour des enfants qui ne connaissent que l’errance et l’insécurité. Dans cette école de la vie, ce ne sont pas la lecture ou le calcul qui sont enseignés. Les enfants apprennent plutôt à exprimer ce qu’ils ressentent, à l’aide de «cartes émotions» par exemple, à socialiser avec d’autres jeunes et à obéir à des règles, souvent absentes dans leur quotidien. «Ils sont les futurs adultes de demain, ils ne peuvent pas être le fruit d’une construction lacunaire», explique Floriane Philippe, la directrice de l’asbl.
Paulina, arrivée d’Albanie avec sa maman et sa sœur, ne répond pas lorsqu’on lui demande son âge, trop concentrée à colorier la main en 3D qu’elle vient de dessiner. La petite fille, comme tous les enfants présents ce jour-là, est arrivée en Belgique il y a moins d’un an. «Ses parents sont en attente d’une réponse de l’immigration», explique l’éducateur qui tient un dossier pour chacun d’entre eux. «On a rarement des enfants belgo-belges à l’École bleue, complète Floriane Philippe, on accueille principalement un public rom ou venant des pays de l’Est qui n’a pas d’ouverture de droits sociaux. Les familles belges n’arrivent pas jusqu’ici car leurs démarches sont plus faciles. C’est beaucoup plus compliqué pour réinsérer des familles qui n’ont pas cette ouverture de droit.»
Les enfants, comprenant qu’on parle d’eux, n’interviennent pas. Et pour cause, ils parlent tous néerlandais. «On communique comme on peut», confie l’éducateur qui les encadre, avant de bredouiller quelques mots pour leur annoncer que l’heure du dîner approche. «Les enfants sont des éponges, ils apprennent la langue très vite, ils s’adaptent», ajoute la directrice avant de préciser qu’ils sont souvent utilisés comme traducteurs par leurs parents qui ne parlent aucune des langues nationales belges.
Malgré le cadre enfantin de la pièce, l’encadrement de qualité et les activités ludiques, l’ambiance est pesante. Sory, un petit garçon âgé de 6 ans, semble inquiet. Les rires sont rares et les éclats de voix, propres à une salle de jeux ou à une cour de récréation, inexistants. La méfiance se lit dans le regard de ces jeunes devenus grands beaucoup trop tôt, laissant planer une atmosphère lourde et un calme saisissant.
Un suivi différent d’une maison d’accueil classique
Dans le restaurant social ouvert à tous, l’ambiance est plus décontractée. Les adultes s’adonnent à différentes occupations: quatre hommes jouent aux cartes, une femme se maquille à l’aide d’un fard à paupières bleu criard, les uns et les autres discutent tandis que certains piquent un somme, bras croisés sur la table, bercés par un fond de musique. L’accueil des enfants par des psychomotriciens permet non seulement de mettre de l’air dans une relation parent-enfant souvent abîmée, mais aussi d’instaurer une première relation avec ces familles désorientées pour leur ouvrir la porte vers une aide psychosociale approfondie. Si certains d’entre eux viennent à La Rencontre avec des demandes très précises, une grande majorité arrive au centre sans savoir quelles démarches entreprendre. C’est pourquoi, en plus d’offrir un espace de liberté et de socialisation aux adultes, les membres du personnel organisent des entretiens individuels pour accompagner chaque famille et les réorienter vers les structures adaptées et les partenaires associatifs.
Ce suivi, s’il est primordial, est néanmoins très différent de celui opéré dans une maison d’accueil classique. Le restaurant social n’étant qu’un lieu de passage, l’accompagnement psychosocial des familles, difficile et lacunaire, se fait au gré des allées et venues de ses visiteurs, ne permettant que rarement un suivi régulier.
Outre cette difficulté, le financement, propre au dispositif d’hiver s’arrêtant début avril, l’asbl n’a pas les moyens de suivre annuellement les personnes qu’elle aide. «Il est illusoire de prétendre travailler un parcours d’insertion quel qu’il soit, avec des personnes dont la vie n’est que discontinuités, si les professionnels eux-mêmes ne bénéficient pas d’une continuité dans leur action», souligne d’ailleurs l’organisation.
Le personnel de La Rencontre, dont l’action est limitée, essaye d’assurer un suivi complet et de qualité pendant le temps qui lui est imparti, tant auprès des enfants que pour les adultes. «C’est un point d’attache important dans une vie d’errance où les enfants n’ont ni chambre, ni lit, ni jouet qui leur est propre», nous confie la Floriane Philippe. C’est pourquoi ce projet lui tient tant à cœur. «Il faut accueillir les familles au mieux après les épreuves traumatisantes qu’elles traversent, particulièrement les enfants. Ce service, c’est le dernier point d’accroche qu’il leur reste.»
L’École bleue est un repère dans la vie de ces enfants nomades: s’ils ne savent pas où ils dormiront le soir, ils sont au moins certains qu’ils passeront la journée à jouer et à colorier.
«Anvers : G4S s’occupera de l’accueil de sans-abri», Fil info Alter Echos, 3 octobre 2016, Aubry Touriel