Les jeux de la Loterie nationale sont massivement vendus dans les librairies de presse. Une profession pourtant en difficulté et qui doit se diversifier pour survivre. Qu’en disent les premiers concernés?
La Loterie nationale vend une large gamme de jeux pour les joueurs en herbe comme pour les plus expérimentés. Du Lotto en passant par le Win for Life, le BingoVision, le Tele-Kwinto, l’Euro Millions et consorts, ces jeux sont un marché juteux que l’État belge se réserve jalousement. Ces jeux ne sont pas à confondre avec les paris sportifs. Les premiers sont un monopole national réservé à l’ancienne Loterie coloniale, les seconds sont un secteur libre à la concurrence, sous le contrôle de la Commission des jeux.
Toutefois, l’importance de ces deux marchés fait presque l’unanimité auprès des libraires indépendants, les principaux intermédiaires à la vente de ces produits. Pour Walter Agosti, président de Prodipresse, les jeux de Loterie nationale représentent en moyenne 30% du chiffre d’affaires des libraires indépendants. Cédric Maerschalck, propriétaire de la librairie Lectura (Jette), confirme: «Un peu plus de 30-35% pour les jeux de la Loterie nationale. Les paris sportifs, c’est un peu moins. Les deux inclus, ça représente au moins 50% de mon chiffre d’affaires. Sans Lotto, une librairie, ça ne vaut rien. Mais sans cigarettes, ça ne vaut rien non plus. C’est un tout. Ça ne va pas l’un sans l’autre.»
«Nous, les libraires indépendants, représentons 82% du chiffre d’affaires de la Loterie nationale.», Walter Agosti, Prodipresse
Sa librairie est régulièrement desservie par les entrées et sorties de métro de la station Belgica. Des habitués passent régulièrement au compte-gouttes ou par grappes. Ils s’arrêtent, discutent un moment ou s’agglutinent autour des bornes des paris sportifs. L’ambiance est plus paisible du côté de «la librairie de Belgrade», une librairie de presse en périphérie de Namur. Bernard Lekenne, propriétaire, explique sa situation: «Je ne fais pas les paris sportifs. Il y a une agence de paris sportifs Ladbrokes au coin de la rue. Mais tous les jeux de la Loterie nationale marchent très bien. Ils représentent entre 25 et 30% de mon chiffre. C’est vrai que c’est un apport non négligeable. Mais j’ai pris une borne ‘Score’ de la Loterie nationale, il y a un certain temps, et j’ai arrêté. Ça coûtait trop cher à renouveler.»
Ces chiffres en disent long sur le rapport qui unit les libraires à la Loterie nationale. Mais l’inverse n’est pas moins pertinent. Walter Agosti développe: «La répartition du chiffre d’affaires total de la Loterie nationale développe 15% de ses profits sur le web et 85% sur son réseau physique. Or, dans ce réseau physique, on peut estimer à 6.000 le nombre de points de vente de la Loterie nationale. Si on compte tous les libraires de presse de toute la Belgique, on peut estimer qu’ils représentent la moitié du réseau physique de la Loterie. Et nous, les libraires indépendants, représentons 82% du chiffre d’affaires de la Loterie nationale.»
Nouveau contrat
La Loterie nationale vient d’introduire un nouveau système de rémunération pour le mois d’avril 2017. La commission sur la vente des produits de la Loterie nationale était située à 6% en moyenne. Walter Agosti le décrit: «Ce montant pouvait monter si vous organisiez des cagnottes, si vous placiez des supports promotionnels de la Loterie nationale. Seulement, le nouveau contrat a posé beaucoup de problèmes et de discussions. Mais nous avons fini par le valider puisque, avec la Loterie nationale, vous n’avez pas vraiment le choix. Désormais, ils vont baisser le pourcentage fixe à 4,5%. Mais des actions spécifiques pourront augmenter le pourcentage pour atteindre des rémunérations égales ou supérieures aux 6% précédents. C’est en quelque sorte un fonctionnement par modules. Par exemple, en payant les gains, en faisant de l’affichage, en présentant 100% des produits, vous gagnerez des pourcentages en plus. Ce sont des actions que beaucoup de libraires proposaient déjà. Pour eux, ils sont déjà à 5,8%, à peu près. Pour grimper vers les 6,5%, 6,25%, la Loterie nationale organisera tous les mois des actions de promotion sur un produit. Si vous suivez la promotion sur ces actions-là, vous avez une surremise. Et comme les libraires de presse sont ceux qui vendent le plus de produits, on peut estimer que ce seront eux qui seront les plus avantagés par cette nouvelle rémunération. Bien sûr, il faudra voir si ça se concrétise.»
«Il n’est pas logique de rémunérer de la même manière les points de vente qui mettent tout en œuvre pour générer un bon chiffre d’affaires et ceux qui font moins d’efforts.», Pierre-Laurent Fassin, porte-parole de la Loterie nationale
Pierre-Laurent Fassin, porte-parole de la Loterie nationale, confirme cette nouvelle rémunération: «La commission de base est de 4,5%. Si ensuite, vous payez le gain, vous gagnez un pourcentage, et ainsi de suite. Il n’est pas logique de rémunérer de la même manière les points de vente qui mettent tout en œuvre pour générer un bon chiffre d’affaires et ceux qui font moins d’efforts. C’est un système de rémunération ‘fixe + variable’ qui se voudra plus dynamique, motivant et juste.»
Diversification
Les craintes de la profession sont multiples: l’augmentation des frais de port, la baisse des ventes de la presse, le réseau en ligne qui chaparde de plus en plus de clients ou la concurrence. Walter Agosti estime à deux par semaine le nombre de faillites chez les libraires indépendants.
Face à leur situation instable, de nombreux libraires de presse s’interrogent. «Se diversifier, d’accord. Mais il faut voir ce qu’on peut faire!», intervient Bernard Lekenne. «J’ai de la chance, j’ai encore un grand parking, les gens aiment beaucoup. S’ils le pouvaient, ils achèteraient sans sortir de leur voiture. De plus, j’ai repris le point Poste d’un ancien magasin du coin. Ça permet d’arrondir un peu les chiffres. J’ai la chance aussi d’avoir pas mal de passage, c’est une route assez importante. Mais je ne suis pas près d’une école, je n’ai pas la clientèle pour vendre plus de bonbons ou de sandwiches.»
De plus, l’offre en ligne s’est développée depuis 1992. Ce n’est pas pour plaire aux membres du réseau physique. Cédric Maerschalck, propriétaire de la librairie «Lectura», explique: «C’est l’internet qui m’effraie le plus. Moins dans les 3-4 prochaines années mais plutôt pour les 10-15 ans. Je trouve qu’il y a déjà beaucoup de publicité sur internet pour l’e-Lotto. Tout le monde a internet et un smartphone. Même moi, neuf fois sur dix, je regarde le journal sur internet. Donc, il faut voir dans quelques années si la tendance se maintient.»
Pour savoir, finalement, de qui on parle, il faut louvoyer entre les différentes nominations: libraires indépendants, librairie de presse, bureau de tabac, magasin de journaux, etc. À cela, il faut ajouter les différentes diversifications actuelles de la profession: bureau de poste, papeterie, sandwicherie, snacking… Walter Agosti propose sa définition: «En France, le mot libraire veut dire ce qu’il veut dire. Ce sont les vendeurs de livres. En Belgique, le mot s’est transformé en une centaine d’années. On parlait de ‘marchands de journaux’, puis de ‘libraires’, et, enfin, c’est devenu ‘diffuseurs de presse’. Et c’est difficile de faire changer le mot. Nous ne sommes pas des libraires au sens strict du terme. Pourtant, partout en Belgique, nos magasins sont très souvent appelés des librairies. Librairie de la Place, de l’Europe, du Village, etc. Or, il n’y a pas forcément de livres dans ces magasins. Donc, on attend de faire valider le terme ‘libraire-presse spécialisé’. Seulement, il existe quatre définitions qui se basent sur le chiffre d’affaires. On entend poser la définition légale selon le métrage. C’est-à-dire selon les surfaces d’achats. Cela permettrait de simplifier la définition de la profession…»
En savoir plus
Lire le dossier d’Alter Echos : «Loterie nationale et subsides: jeux et enjeux»