Le 9 mars 2001, les ministres Tomas et Vanhengel, chargés des secteurs bilingues de l’aide sociale en région bruxelloise, rendaient public le contenu d’un rapport derecherche sur la problématique des sans-abri commandé début 2000 à l’Institut de sociologie de l’ULB1. La recherche visait l’optimalisation de lapolitique à l’égard des sans-abri et une réorganisation globale du dispositif pour laquelle étaient formulées vingt-cinq propositions. Ces propositions ontété examinées au cours de quatre réunions du comité de concertation sans-abri instauré par le Collège réuni de la Commission communautairecommune. Suite à cette concertation, Eric Tomas et Guy Vanhengel devraient déposer début juin au Collège réuni, l’exécutif de la Cocom, une notereprenant les propositions de réorganisation du dispositif « sans-abri ». Alors que les résultats concrets de ce tour de table ne sont pas encore divulgables, le moment se prêteà un point complet sur le débat.
Un secteur sous tension
Au-delà du rôle de clarification de l’organisation du secteur assigné à la recherche, les auteurs, Andrea Rea et Patricia Schmitz, ont dû faire face désle début de leurs travaux à de nombreuses tensions internes au secteur, pour la plupart apparues dans les mois qui ont suivi la création du Samu social à Bruxelles.C’est que l’arrivée il y a trois ans de ce nouvel opérateur soutenu par la Commission communautaire française (Cocof) et inspiré par le modèle du Samusocial parisien, a créé un climat de tension dans le secteur des services d’aide aux sans-abri, et en particulier avec les institutions les plus établies. Avec samédiatisation et son soutien politique, le Samu social a disposé d’un capital symbolique important que d’aucuns jugeaient disproportionné par rapport à soncapital professionnel… En l’absence de clarté des missions des institutions dites de l’ »urgence sociale », relevant tant de la Cocom que de la Cocof, une concurrences’est cristallisée particulièrement autour de diverses offres ü hébergement, coordination, orientation. Deux reportages TV (l’un de la RTBF : « Droit decité », l’autre de RTL-TVi : « Reporter ») consacrés au Samu social contribueront à échauffer les esprits dans le courant du mois de mars 2000. « La projection decesûreportages a conduit le Regio Overleg Thuislozenzorg Brussel à la rédaction d’un texte (« Peut-on résoudre l’exclusion sociale en une nuit ? ») largementdiffusé. Il mettait en cause, entre autres, la possibilité de collaborer avec le Samu social mais aussi, le système, les principes sur lesquels il fondait son action », expliquentles auteurs de la recherche. Les critiques fusent tant d’associations Cocom, Cocof, que flamandes.
« Au niveau plus institutionnel, poursuivent les auteurs, les divergences d’options politiques entre la Cocom et la Cocof apparaissent dans les débats lors des réunions duComité de concertation. » Les tensions s’exacerberont encore en mai 2000 à la suite de rumeurs de fusion de plusieurs services (Samu social, Pierre d’Angle, asile de nuit, etle centre Ariane) alors que la recherche n’était pas terminée, et l’ouverture d’une annexe (« asile de nuit mobile ») pour le Samu social, décidée par lecabinet Hutchinson en octobre 2000. Durant toute cette période, les interventions médiatiques de certains services ont alimenté l’état de tension. « L’uniqueeffet qui n’a pas été étudié est celui qu’a eu la médiatisation sur les usagers eux-mêmes (À qui sert la médiatisation de lamisère du monde?) », observent les chercheurs.
Un samu politicomédiatique, dénonce le secteur
Sur le terrain, on ne s’embarrasse pas de gants pour dénoncer l’ »hégémonie » du… Samu social : « On a privilégié l’image avant deprivilégier les usagers, dénonce Bernard Horenbeek, coordonnateur de Diogènes2. On a assisté à des safaris nocturnes organisés pour des journalistes en mald’images faciles. La seule légitimation du Samu est une légitimation médiatique. Il n’y a jamais eu de réelle volonté de collaboration avec le secteurdéjà en place à l’arrivée du Samu. La structure n’était pas adaptée au terrain bruxellois, on n’a pas tenu compte de notreexpérience. En ouvrant toujours plus de lits, on a créé un besoin, on a habitué les gens à venir dormir là, les installant dans l’urgence, dans leprécaire au détriment d’une véritable politique de réinsertion. Une fois le Samu fermé pour cause de grève ou par après de liquidation, nousavons dû faire face à la montée de tension dans la rue, à la mésinformation et aux changements continuels de situation. Nous continuons encore aujourd’huià faire les frais d’une politique d’urgence non réfléchie qui a fait régresser les usagers plus qu’elle ne les a aidés à se remettredebout. »
Deux conceptions du travail social
Plus encore que l’aspect politico-médiatique du Samu social, c’est la différence de conception du travail social qui est à l’origine d’une guerrelarvée, pour ne pas dire ouverte entre le Samu et les autres institutions. « Si on ouvre 100 ou 200 lits d’urgence, pas de problème, je vous assure qu’ils seront remplis.C’est la disponibilité du lit qui crée à la limite le besoin, constate Pascale Paternotte, directrice de l’Association des maisons d’accueil (AMA)3. Cequ’on traite surtout c’est l’urgence du citoyen lambda qui ne veut pas voir quelqu’un dormir dans la rue, ou traîner devant le pas de sa porte. On parque alors tout lemonde au Samu, quitte à les faire dormir par terre sans résoudre le problème de fond. Je pense qu’avec de telles conceptions, on n’est pas loin d’une politiquesécuritaire. Ce n’est pas l’option que défendent les institutions du secteur. »
Autre point de tension, la gratuité des services (soupe, café, dentisterie, hébergement, etc.). Elle entraînerait, selon les acteurs, une situation de dépendancevis-à-vis du Samu et n’inciterait pas à sortir de l’exclusion. « L’extension des missions du Samu social, qui n’étaient au départ que de la maraudeet de la réorientation vers d’autres lieux, a conduit à une certaine forme de « paternalisme », en somme très loin de l’objectif visé », analyse Andrea Rea,directeur de la recherche.
On peut ainsi pointer deux options différentes de travail social : la demande initiale nécessaire à la rencontre et le projet nécessaire à la réalisationd’une insertion. Dans la lutte contre l’exclusion, le projet du Samu social permet d’aller à l’avant de la demande et ainsi de contacter des personnes que le travailsocial classique laisse passer entre ses mailles. « Toutefois, en termes de pratiques p
rofessionnelles, et non d’impératifs moraux, la question reste entière sur lanécessité de formuler une demande pour recouvrer ses droits », interrogent les chercheurs. Le droit inconditionnel à l’assistance fonde le credo du Samu social. Le travailsocial classique (CPAS), celui des maisons d’accueil ainsi que de certains services d’urgence, n’est pas en phase avec ce point de vue qui est souvent assimilé à dupaternalisme, comme le dénonçait plus haut Andrea Rea.
On retrouve d’ailleurs dans les propositions du rapport une attention toute particulière au renforcement du travail de rue. Ainsi, les chercheurs plaident pour « augmentersubstantiellement le personnel de Diogènes pour permettre le développement de son intervention et sa fonction de relais entre les usagers et le monde social et institutionnel àla fois dans la rue mais également dans des endroits tels les gares et les services des hôpitaux (réseau Iris) ».
Samu social, dernier filet ?
Interrogé sur cette flambée de bois vert du secteur, l’ancien président du conseil d’administration « privé » du Samu et fondateur de celui-ci, M.Barthlomeeusen4, reconnaît que le Samu a débordé de ses missions de départ, notamment en pratiquant de l’hébergement à tout crin, mais il tient ànuancer : « Les maisons d’accueil ont raison de râler sur la surenchère des lits et le manque de consultation du secteur, cela a sans doute été une de nos plus grosseserreurs, mais de là à dire que le Samu social n’avait pas de raison d’être, je ne suis pas d’accord. Que fait-on avec un sans-abri saoul avec son chien àdeux heures du mat ? Aucune maison d’accueil ne le prendra en charge. Le Samu était le dernier filet. Le travail social est souvent soumis à conditionnalités, nous, nousétions plus souples. Je pense qu’il y a un besoin à Bruxelles, d’une politique sociale mobile dans le sens d’ »aller vers » ; toutes les capitales européennes ontcompris cette nécessité, pourquoi Bruxelles échapperait-elle à la règle ? Il faut maintenir ce concept de mobilité et mettre des infirmiers dans lacamionnette du Samu, si le Samu ne le fait pas, personne ne le fait à Bruxelles. Je plaide également pour que les maisons d’accueil puissent entrer dans le CA du Samu, celapermettra une plus grande coordination et évitera peut-être les refus que nous avons connus de communiquer le nombre de places vacantes à notre central sous prétexted’ingérence. C’est ce refus qui nous a aussi conduits à développer notre propre hébergement. » Une explication que ne partage pas Pascale Paternotte, directriced’AMA, puisque « dés les premières semaines, le Samu social faisait de l’hébergement ». Refus de communiquer les places vacantes? « La question n’est pas tantai-je un lit de libre, poursuit-elle, mais est-ce que mon institution est la plus adéquate pour répondre à la demande et à la problématique formulée. Danscette optique cela a peu de sens de communiquer le nombre de places disponibles, excepté peut-être pour les maisons d’accueil d’urgence. » Quant à aller au devant de lademande, Bernard Horenbeek, coordinateur de Diogènes précise : « Diogènes fait cela depuis six ans, le Samu n’a rien inventé. Aller à la rencontre de lademande nécessite de ne pas venir avec une réponse (hébergement) comme le fait le Samu, mais de favoriser l’émergence et le travail de la demande s’il y alieu, c’est tout l’objet de notre travail. »
Un central indépendant
Le central téléphonique, un des éléments au cœur du débat, figure parmi les vingt-cinq propositions du rapport. Jusqu’à présent,c’était le Samu social avec un numéro vert et le centre Ariane5 qui avaient en charge la mission d’orientation vers les différents services existants. Il y avait doncdeux centraux. Ici encore, le secteur reprochait au Samu de favoriser sa structure d’hébergement au détriment d’autres, « ce qui conduisait à des situations absurdesoù on a vu des mamans battues avec leurs enfants emmenées au Samu social et devant enjamber les sans-abri qui dormaient dans les couloirs. Il existe des structures plus adaptéespour ce type d’urgence », s’indigne Bernard Horenbeek de Diogènes. Dans leur rapport, les chercheurs avancent donc la création d’un service d’information etd’orientation fonctionnant 24 h/24 disposant d’un numéro d’appel de référence, financé par la VG/VGC, la Cocof et la Cocom, à destination desusagers, des services du secteur, des services d’autres secteurs, et enfin, du grand public. « Pour permettre une visibilité complète de la diversité du secteur, lenuméro d‘appel ne doit pas être attribué à un service existant », précisent-ils. Un principe basé sur une plus grande objectivité et une meilleureadéquation de la répartition des usagers entre les services avec le type de demande rencontrée. Une proposition qui semble faire l’unanimité dans le secteur saufpour le centre Ariane qui se voit ainsi dépouillé d’une de ses plus importantes prérogatives. « Il ne s’agit pas ici de pointer particulièrement Ariane, qui parailleurs s’aquitte objectivement très bien de cette tâche, explique Andrea Rea, mais bien de rendre plus transparente la répartition. Nous plaidons d’ailleurs pour unrenforcement des missions d’hébergement d’urgence 24 h/24 et de l’accompagnement psychosocial à court terme (une semaine) d’Ariane. »
Un scénario qui passe non pas par une augmentation des lits mais, comme le suggère le rapport, par des conventions avec des établissements hôteliers, le renforcement etl’augmentation d’appartements supervisés, de logements de transit, etc.
On le voit, s’il existe une cristallisation autour du Samu social, elle n’exprime pas un malaise face à son existence mais à la place que ce nouvel opérateur a prise.Aujourd’hui, alors que le Samu social est en liquidation et devrait être refondu au sein du CASU (Centre d’aide sociale d’urgence du CPAS de Bruxelles), les acteurss’interrogent quant à la volonté des pouvoirs publics de vouloir réellement les intégrer dans une redéfinition des missions de cette asbl ànaître. On parle de désengorger les gardes des hôpitaux, de redéfinir la maraude, de n’avoir que 30 lits d’hébergements et ne plus mener d’actionsde jour. « Le secteur n’est toujours pas représenté dans le nouveau CA. Il s’agit avant tout de structures publiques et d’ONG, constate Gilles Dethiou, directeur duCentre Ariane. Nous avons été tant de fois écartés des discussions que nous demandons à voir… »
Reste que le secteur salue, à quelques nuances près, le travail réalisé par l’équipe du Germe et attend avec impatience la note au Collège réunide la Cocom issue des récentes discussions en comité de concertation. Mais la plus grosse tâche sera sans nul doute pour le politi
que de dégager les budgetsnécessaires à une véritable réforme du secteur et à se recrédibiliser aux yeux de celui-ci.
1 « La problématique des personnes sans abri en région de Bruxelles-Capitale », rapport final, janvier 2001, Institut de sociologie de l’ULB, Germe, A. Rea, P. Schmitz, N.Mondelaers, D. Giannoni. Contact : Andrea Rea, tél. : 02 650 33 72.
2 Créé voici six ans, Diogènes est un service bruxellois d’aide aux sans-abri. Il assure une présence quotidienne dans la rue et parcourt les lieuxfréquentés par les sans-abri sur l’ensemble de la Région bruxelloise. L’objectif ? Reconstruire des liens entre monde de la rue et monde social. Diogènes asbl,place de Ninove, 10 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 502 19 35.
3 AMA, Association des maisons d’accueil, Pascale Paternotte, tél. : 02 513 62 25.
4 M. Bartholomeeusen, contact : 0475 53 34 21 ou 02 770 22 21.
5 Centre Ariane, contact : Gilles Dethiou, directeur, tél. : 02 346 66 60.
Archives
"Sans le Samu, point de salut ? Au contraire ! crient les associations du secteur sans-abri bruxelloi"
catherinem
21-05-2001
Alter Échos n° 98
catherinem
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