À l’occasion de son premier anniversaire, le Relais social urbain namurois1 organisait une journée d’échanges sur le thème de la grandeprécarité. L’occasion de réfléchir globalement pour mieux agir localement.
Introduits par le décret du 17 juin 2003 et opérationnels depuis le 1er avril 2004, les relais sociaux se fondent sur une structure de coordination de pôlesreprésentant, chacun, un dispositif confronté à des besoins particuliers de personnes en situation de grande précarité. Le rôle des relais sociaux(situés à Charleroi, Liège, La Louvière, Namur et Verviers) s’articule ainsi autour de l’accueil de jour, de l’accueil de nuit, du travail de rue et del’urgence sociale. Ils se doivent d’être le premier maillon d’une chaîne qui va de l’urgence à l’insertion. Saisissant l’occasion de son premieranniversaire, le Relais social urbain namurois (RSUN) organisait, le 19 novembre, une journée d’échanges intitulée « Travailler avec les personnes en situation degrande précarité »
L’occasion pour le personnel du RSUN de présenter les premiers résultats d’une étude souhaitée par la Région wallonne2, visant àfaire émerger les difficultés de terrain vécues tant par les professionnels que par les usagers. La finalité étant d’ajuster les actions etd’améliorer la qualité de la prise en charge. Thème de cette recherche menée par chaque relais social de Wallonie : « Les freins à l’accueild’urgence et à l’hébergement des grands précarisés ».
Au terme d’un premier rapport à la fois quantitatif et qualitatif, l’assistante sociale chargée de l’étude a pu dresser un tableau de laproblématique. C’est, à présent, une phase de vérification des hypothèses qui est menée, en concertation avec les maisons d’accueil, l’abride nuit Saint-Vincent de Paul et le Dispositif d’urgence sociale. Des pistes de réflexions aussi se dégagent, formulées en questionnements :
1. Au delà des mesures – institutions ou dispositifs – existantes pour « aider le sans-abri », comment se fait-il qu’une personne « lâche »les dispositifs et s’enfonce de plus en plus vers la clochardisation ? Serait-ce la lassitude, la dépression, la dépendance, le manque d’estime de soi ?
2. Qu’advient-il des personnes qui ne peuvent être hébergées en maison d’accueil ? Quel est l’impact de leur moral et la suite de leur parcours ?
3. Qu’en est-il des personnes sortant de prison et souhaitant séjourner en maison d’accueil ?
4. Faut-il prévoir un autre mode d’accompagnement social ou une structure particulière pour les personnes sans-abri dites « récurrentes » ? Quel est le risquede « ghettoïsation » ? Faut-il attendre des maisons d’accueil qu’elles assouplissent leurs exigences ? Par ailleurs, comment développer un axe préventif,afin d’éviter aux personnes vivant une rupture dans leurs parcours de vie de s’installer dans la rue ?
5. Les besoins dits primaires sont-ils vraiment assouvis à l’abri de nuit et en maison d’accueil ? Ne devrions-nous pas davantage nous pencher sur la santé physique etmentale des personnes sans-abri ?
Ces questionnements invitent le RSUN à s’orienter vers des voies d’investigation liées à l’accueil des personnes à mobilité réduite, auparcours cyclique de certaines personnes, à la prise en charge des personnes présentant des troubles psychiatriques, à la précarisation des femmes, aux conditionsd’hébergement à l’abri de nuit, aux autres structures d’hébergement, au mode de vie des sans-abri. Sans oublier le travail du Dispositif d’urgence socialeet celui des travailleurs sociaux de rue : un maillon de la chaîne qui fait cruellement défaut à Namur. En effet, lors de la journée d’étude et deréflexion du 19 novembre, on apprenait que ce travail social de terrain mené en rue, au plus près du public-cible, n’est pas effectué. C’est pourtant lui quiconstitue le premier pont entre les personnes sans-abri et les structures d’hébergement pour renouer un lien de confiance. Dans la même logique, le Dispositif d’urgencesociale sera passé sous la loupe. Comment est-il perçu par les institutions qui ne l’ont évoqué que rarement dans les entretiens menés dans le cadre del’étude demandée par la Région wallonne ?
« Les besoins d’existence sociale sont aussi importants que les besoins matériels »
Ce travail d’approche des sans-abri, Patrick Italiano, chercheur en sociologie à l’Université de Liège, y fait écho dans l’ouvrage Du «capital social » à l’utilité sociale3. On y trouve des témoignages recueillis par le sociologue lui-même et par d’autres chercheurs,auprès d’une trentaine de personnes vivant dans la rue à Liège, à Namur et à Charleroi.
« Quand on rencontre ces personnes, on est étonné de découvrir comment les mécanismes qui les ont amenés là où elles sont pourraient arriverà tout le monde, explique Patrick Italiano. Ces gens ont connu un accident de parcours qui peut arriver à chacun d’entre nous, mais ils n’ont pas pu mobiliser leurs forcesassez rapidement pour faire face. » Et le chercheur de mettre en avant la perte de son travail, une séparation ou un divorce, un revers financier…
« Cette chute entraînant un impact sur l’image de soi, les personnes ont du mal à identifier leurs ressources, qu’il s’agisse des savoirs ou des savoir-faire.Elles ne les identifient pas et c’est là qu’intervient le problème du lien social : la vie à la rue permet de maintenir une existence sociale. » Les interviewsmenées auprès des sans-abri dont rend compte le chercheur dans son ouvrage, mettent également en avant comment le fait de rendre un logement à ces personnes, sans yassocier un accompagnement, peut les rendre plus mal encore. « La personne va se retrouver seule, elle choisira donc de retourner à la rue ou invitera ses compagnons de rue dans sonnouveau logement, se faisant in fine expulser de ce fait. Il n’y a pas de priorité dans l’ordre des priorités, explique encore le sociologue : les besoinsd’existence sociale sont aussi importants que les besoins matériels de base. »
Autre riche enseignement de ce travail d’écoute du récit de vie des sans-abri, la tendance qui est la leur de situer leur parcours sur une sorte d’échelle. «Quand ils ont touché le fond et qu’à un moment donné, ils remontent pas à pas – même s’ils perçoivent la précar
ité de cechemin de sortie – ils situent les autres sur cette même échelle, et viennent en aide à ceux qu’ils estiment se trouver plus bas. »
Cette découverte, Patrick Italiano la met en lien avec les conclusions de l’ouvrage d’un de ses collègues : le concept d’utilité sociale et/ou deresponsabilité familiale. « L’importance du lien social est justement de leur rendre une utilité sociale. L’appartenance à une structure telle que LST (LuttesSolidarités Travail)4, le bénévolat, permettent de retrouver un sentiment d’utilité sociale et on peut être surpris, alors, de voir les gensretrouver un projet professionnel, c’est quasi spontané ! »
Le message que veut aussi faire passer le sociologue est que plus il y a de souplesse dans l’aide apportée aux personnes très précarisées, plus elles vont pouvoirreconstruire quelque chose. C’est comme si la confiance en l’intervenant social qui vient vers eux était inversement proportionnelle à l’attente d’uneréinsertion sans rechute.
De la nécessité d’une politique globale
Autre éclairage apporté lors de la journée, la présentation réalisée par Gaëlle Peters, du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté(RWLP)5, de résultats d’un travail réalisé sur l’accès à la santé. Pluraliste, le RLWP compte des associations sur toute la Wallonie, ayantpour caractéristique de travailler de manière participative avec les personnes en situation de pauvreté.
Pour aborder la thématique de l’accès à la santé, les travailleurs sociaux du RWLP sont partis du récit de personnes en situation de détresse auquotidien. Divers enjeux, répondant à une nécessité, sont ainsi mis en exergue par le RWLP : le développement d’une politique globale de santé etbien-être, la consolidation de la sécu et la garantie d’accès, les droits et l’information des patients mieux assurés, l’augmentation des moyens consacrés auxservices sociaux et, enfin, l’amélioration de la participation citoyenne des personnes pauvres afin de renforcer leur confiance en elles et en leur capacité à exercer leursdroits.
Et Gaëlle Peters d’étayer son propos avec, notamment, le récit d’Alain. Récit qui viendra conforter tous les acteurs de terrain de l’assemblée dela nécessité d’être préparés à l’écoute des personnes en grande difficulté, pour bannir les stéréotypes et lastigmatisation. Et qui démontrera – si c’est encore à démontrer – la nécessité de travailler en réseau pour faire face à la grandeprécarité.
1. Relais social urbain namurois :
– rue d’Harscamp, 9 à 5000 Namur
– tél. : 081 33 74 57 – courriel : relais.social.namurois@hotmail.com
2. Région wallonne, ministère de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des chances de la Région wallonne :
– adresse : rue des Brigades d’Irlande, 4 à 5100 Jambes
– tél. : 081 32 34 11
– courriel : donfut@gov.wallonie.be
– site : http://donfut.wallonie.be
3 . Patrick Italiano, Du « capital social » à l’utilité sociale, Éd. de l’Université de Liège.
4. LST :
– adresse : rue Pépin, 27 à 5000 Namur
– tél. : 081 22 15 12
– courriel : contact@mouvement-LST.org
– site : www.mouvement-lst.org
5. RWLP :
– adresse : rue Relis Namurwès, 1 à 5000 Namur
– tél. : 081 31 21 17
– courriel : rwlp@skynet.be
– site : http://www.mouvement-lst.org