Qu’ils soient victimes d’accidents du travail, d’un patron abusif, ou encore de violences ou de traitement dégradants, les sans-papiers ont des droits, mais ceux-ci sontsouvent peu respectés, quand ils ne sont pas tout simplement ignorés. La menace de l’expulsion n’est jamais bien loin et malgré le travail d’informationréalisé par les syndicats et des organisations comme l’Orca, trop peu de sans-papiers osent dénoncer les abus dont ils sont victimes.
Le 6 août dernier, Mourad Sealiti a été retrouvé mort dans un garage à Evere. Exsangue, à la suite d’une chute de près de six mètres. Maisaussi victime du travail au noir. Ses proches accusent son patron de l’avoir laissé mourir en tentant de camoufler et de cacher le drame.
En 2007, un autre ouvrier du bâtiment, sans papiers, blessé sur un chantier à Anderlecht, a été jeté de la voiture de son patron dans un fossé.
Des histoires comme celles-là, il en survient régulièrement dans la colonne des faits divers. Mais au-delà du fait divers, les travailleurs sans papiers sont devenus,dans notre pays comme dans la plupart des pays occidentaux, une réalité sur laquelle règne un silence politique particulièrement significatif. Significatif d’uneréalité devenue structurelle, sur laquelle repose une partie non négligeable de la production de richesses, mais dont « l’efficacité » suppose, dans unecertaine mesure, son maintien à l’ombre des projecteurs publics.
Le travail des syndicats
Si les travailleurs étrangers ne représentent environ que 10 % du travail au noir total, ils en représentent toutefois la frange la plus précarisée et donc,souvent la plus exploitée. « On les retrouve dans des secteurs difficiles, explique-t-on à la FGTB1, où les conditions de travail sont pénibles etoù les atteintes à la santé sont loin d’être rares : construction, nettoyage, agriculture, horeca, etc. Le durcissement des politiques migratoires (asile etregroupement familial) conduit à une augmentation du nombre de travailleurs sans papiers : c’est bien sûr faute de mieux que de nombreux migrants choisissent laclandestinité. Sur le terrain, le contrôle du travail au noir rencontre de nombreux obstacles et il aboutit à une répression des individus les plus fragilisés.Enfin, la législation en matière de séjour et de permis de travail comporte de nombreuses incohérences. Ainsi, un individu peut parfaitement travailler dans les liensd’un contrat de travail, éventuellement être déclaré et soumis aux cotisations, et, dans le même temps, rester illégal sur le plan du séjour ! Cesincohérences favorisent le développement du travail clandestin : la nature stable ou précaire du droit au séjour détermine la plus ou moins grande facilitéavec laquelle le travailleur aura accès au marché du travail. »
Ainsi, depuis plus de deux ans, un groupe de travail « Travailleurs sans droits » réunissant des représentants du Ciré, de la FGTB et de la CSC, vise àétablir une jurisprudence sociale favorable aux droits des travailleurs sans papiers. Les organisations syndicales membres du Ciré se sont engagées, dans ce cadre, àsoutenir dix actions en justice. Des actions sont actuellement pendantes devant le tribunal du travail. « Il est souvent difficile de pouvoir aller jusqu’au tribunal du travail,témoigne Samantha Smith, en charge des travailleurs sans papiers à la FGTB. Souvent, les preuves manquent puisqu’il n’y a pas de contrats, la procédure estextrêmement longue et il n’est pas rare que certains sans-papiers, qui ont commencé les démarches, abandonnent ou disparaissent, las ou craignant tout simplement de se faireexpulser… » Pour mieux connaître les problèmes rencontrés et surtout les faire connaître, CSC et FGTB ont décidé de mener ensemble une vasteenquête sur les conditions de travail des travailleurs sans papiers en Belgique dans différents secteurs. Une enquête dont on ne devrait pas connaître les résultatsavant quelques mois.
Contrôle de l’immigration et respect du droit du travail
À côté des organisations syndicales et en partenariat avec celles-ci, l’Orca (Organisatie voor Clandestiene Arbeidsmigranten)2, une associationnéerlandophone installée dans le quartier de la gare du Nord à Bruxelles, vient elle spécifiquement en aide aux travailleurs étrangers sans permis de travail,occupés dans des emplois informels. L’association les soutient pour défendre leurs droits, offre des formations au travail et fournit les informations nécessaires afin dediminuer leur vulnérabilité face à l’exploitation dont ils sont victimes. Elle mène en outre un travail de dialogue constant avec les syndicats, les servicesd’inspection et le monde politique afin de faire progresser les droits des travailleurs clandestins. Sur le plan politique, l’une des grandes revendications de l’Orca est le «découplage du contrôle de l’immigration d’avec le contrôle du respect du droit du travail ». Car aussi longtemps que les inspecteurs du travail agiront aussi encontrôleurs de l’immigration, l’association estime qu’on renforcera la vulnérabilité des migrants coincés dans le cercle vicieux du travailclandestin.
“Nous servons parfois de médiateurs entre employeurs et employés sans-papiers, explique Sabine Craenen, coordinatrice de l’Orca, mais cela marche rarement. Alors, nousaidons la victime sans-papiers à porter plainte auprès de l’inspection des lois sociales. Les services de l’inspection sociale ont pour mission de protéger lesdroits
des employés, et donc des travailleurs sans-papiers également. Ils doivent en outre détecter et réprimer le travail clandestin, raison pour laquelle la plupart destravailleurs clandestins ont peur de les contacter. Mais ils peuvent très bien porter plainte anonymement. Dans tous les cas, il vaut mieux se plaindre de son employeur àl’inspection sociale qu’à la police. Si la plainte est suffisamment grave, l’inspection l’instruira. L’inspection peut aussi décider d’effectuer uncontrôle de sa propre initiative sur le lieu de travail. Si elle y trouve des sans-papiers au travail, elle doit communiquer leurs noms à la police et à l’Office desétrangers. Il y a donc un risque d’expulsion pour le travailleur qui ne serait pas en ordre de séjour. Mais il faut savoir qu’avant de porter plainte, il est possible dedemander à l’inspecteur s’il a l’intention de descendre sur le lieu de travail.”
S’il apparaît après l’enquête de l’inspection que l’affaire est suffisamment grave, l’inspecteur peut faire un rapport, un «procès-verbal », et le transmettre à la justice, qui décide si l’employeur doit comparaître devant le tribunal ou non. Si l&r
squo;employeur est condamné,il devra probablement payer des amendes et des impôts. Dans les cas les plus graves, il pourra même être emprisonné. L’argent qu’il devra payer ira àl’État. Si le travailleur exige une indemnisation ou le paiement de son salaire, il doit le demander spécifiquement au juge et se constituer partie civile, ce qui implique dedévoiler son nom. Il vaut mieux alors se faire assister par un avocat.
L’affaire qui a défrayé la chronique début 2009 concernant une entreprise de titres-services qui employait quelque 500 personnes de la communauté latino sanspermis de travail dans les trois régions du pays, est une des illustrations de ce genre de cas. Le responsable de la société, un pasteur, les a engagés avec un contrat detravail, un droit à la mutuelle et la perspective d’être régularisé alors qu’ils ne bénéficiaient pas de droit de séjour ni de permis detravail. Un abus manifeste qui a conduit à l’arrestation du pasteur mais aussi à la perte du gagne-pain de tous ces travailleurs clandestins qui n’ont pas perçu leurdernier mois de salaire. Plus de la moitié d’entre eux se sont déclarés partie civile et sont répartis entre différents avocats, les syndicatss’occupant de la partie “droit du travail”.
Quant au malheureux ouvrier de la construction balancé par son patron dans un fossé parce que victime d’un accident sur un chantier, il a étérégularisé sur base médicale. Son procès devrait débuter en octobre 2009 au Tribunal du travail de Malines, avec, il l’espère, à la clé,une indemnité pour son accident du travail et la récupération des salaires impayés.
Un guide des droits destiné aux travailleurs clandestins
Les employeurs sont pourtant souvent au courant des risques encourus : le travail au noir et l’emploi d’illégaux sont, en effet, passibles d’amendes pouvant atteindre 25000 euros. Mais, illégales sur le territoire, les victimes hésitent à se plaindre et témoigner, d’autant qu’elles connaissent rarement la langue, les lois dupays et leurs droits. Malgré cette crainte, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme rapporte que 195 victimes en matière de travaildomestique (la plupart sont des femmes) ont porté plainte en Belgique en 2008.
Chez Orca, ils sont plus de 200 travailleurs clandestins en 2008 à avoir poussé la porte pour demander de l’aide. On retrouve aussi bien des personnes d’originemaghrébine, que latino, des nouveaux pays membres de l’UE ou encore de l’Afrique subsaharienne, avec une prédominance pour les ressortissants du Maroc et du Brésil.Et s’ils viennent des trois régions du pays, plus de la moitié habite Bruxelles. Les secteurs où ils sont exploités sont les secteurs habituels où l’onretrouve la main d’œuvre clandestine : la construction (le secteur le plus important), les services à domicile, le nettoyage, l’horeca et, phénomènerécent, également les petits magasins, type épiceries, phone shops, etc.
En ce qui concerne les accidents du travail, en Belgique, les employeurs sont tenus d’avoir une assurance, y compris pour leurs travailleurs clandestins. Il existe une instancespéciale chargée de le contrôler, à savoir, le Fonds des accidents du travail (FAT)3. Si l’employeur n’a souscrit aucune assurance, le FAT prendraà sa charge les frais occasionnés par l’accident. Il se fera ensuite rembourser par l’employeur. On peut raisonnablement penser que peu de travailleurs clandestins fontappel à ce fonds, soit par ignorance de son existence ou du droit à y accéder mais surtout par crainte d’expulsion. Il n’existe malheureusement pas de chiffresconcernant le nombre d’illégaux indemnisés par ce fonds mais on nous assure que le Fonds de garantie ne traite qu’une centaine de dossiers par an et parmi eux lestravailleurs illégaux seraient une minorité.
Les droits existent, encore faut-il oser les revendiquer car les conséquences peuvent être lourdes. Pour aider les travailleurs illégaux, un guide intituléTravailleurs sans papiers : un guide de droits4 a été réalisé avec l’aide de la Fondation Roi Baudouin, de la Loterie nationale, de la FGTB et dela CSC. Mieux vaut “s’armer”…
Traite des êtres humains
Si un employeur exploite abusivement un travailleur clandestin, par exemple, en confisquant ses papiers d’identité, s’il l’enferme ou si le travailleur subit desagressions physiques ou sexuelles, on peut considérer qu’il se livre à la traite d’êtres humains. Depuis le début des années 1990, la Belgique disposed’un système de statut de séjour délivré aux victimes de la traite des êtres humains. Il repose sur un difficile compromis entre, d’une part, la volontéde protéger les victimes et de leur offrir des perspectives d’avenir et d’autre part, la nécessité d’une lutte efficace contre les réseaux. C’est dans ce contexte que lesvictimes de la traite qui acceptent de collaborer avec les autorités judiciaires peuvent bénéficier d’un statut de séjour spécifique.
Quelles sont les victimes qui peuvent bénéficier du statut de séjour spécifique ?
– les victimes de la traite des êtres humains (c’est-à-dire de certaines formes d’exploitation sexuelle (prostitution et pornographie enfantine), d’exploitation dela mendicité, d’exploitation économique (travail dans des conditions contraires à la dignité humaine), de prélèvement d’organes, ainsi que cellesqui ont été contraintes à commettre des infractions.
– les victimes de certaines formes aggravées de trafic d’êtres humains (c’est-à-dire de l’aide à l’immigration illégale en vue d’entirer profit). Ainsi peut, par exemple, bénéficier de ce statut la victime à l’égard de laquelle des violences ont été commises ou dont la vie aété mise en danger.
Quelles sont les conditions à respecter pour bénéficier de ce statut de séjour ?
Pour pouvoir bénéficier du “statut de victime”, cette dernière doit satisfaire à trois exigences de base :
– quitter la personne ou le réseau qui l’a exploitée ;
– être accompagnée par un centre d’accueil agréé et spécialisé dans l’accueil et l’assistance des victimes de la traite des êtreshumains (Pag-Asa, situé à Bruxelles ; Sürya, situé à Liège et Payoke, à Anvers) ;
– porter plainte ou faire des déclarations à l’encontre des personnes ou des réseaux de trafiquants qui l’ont exploitée.
Les centres d’accueil peuvent se constituer partie civile, en leur nom propre ou au nom de
la victime, ainsi que le Centre pour l’égalité des chances.
Plus d’infos sur le site du Centre pour l’égalité des chances : www.diversite.be
La famille de la nounou tuée par Hans Van Themsche devrait être indemnisée
Le 11 mai 2006, après son raid meurtrier dans les rues d’Anvers, Hans Van Themsche a été condamné pour meurtre avec la circonstance aggravante d’un mobileraciste. Les trois victimes ou leurs familles obtinrent des dommages et intérêts, mais, étant donné que Van Themsche était insolvable, les familles des victimes setournèrent vers la Commission pour l’aide financière aux victimes d’acte de violence5.
Vingt membres de la famille d’Oulematou, la nounou africaine assassinée en même temps que la petite fille dont elle avait la garde, ont ainsi déposé une demandeconjointe auprès du Fonds pour 1,24 million d’euros de dédommagements. Or, la famille d’Oulematou s’est entendu dire que la Commission ne pouvait intervenir, étantdonné qu’elle était au moment de son assassinat en séjour illégal. En effet, en vertu de l’article 31 bis de la loi du 1er août 1985 portant sur lesmesures fiscales et autres, la Commission ne dédommage les victimes que pour autant que la victime soit de nationalité belge ou possède un droit de séjour dans le Royaume.Une injustice que le ministre de la Justice, Stefaan De Clerck (CD&V), s’était promis de corriger au plus vite, assurant que les modifications seraient coulées dans uneloi-programme qui serait adoptée au printemps. Or l’été touche à sa fin et point encore de modification. Nous avons donc contacté le fonctionnaire dirigeantde la fameuse Commission, Philippe Verhoeven, pour en savoir plus : « Les modifications ont bien été coulées dans la loi-programme en même temps que d’autresqui concernent aussi notre Commission, explique-t-il, mais le Conseil d’État a émis quelques remarques sur ces autres modifications. Nous avons donc effectué descorrections et avons soumis le nouveau texte au cabinet du ministre de la Justice. Une fois la rentrée parlementaire là, la loi-programme ne devrait donc pas tarder à êtrevotée. Il reste que la Commission a trois ans après la décision du tribunal pour remettre son jugement, ce qu’elle n’a pas encore fait pour la familled’Oulematou. Il est donc certain que les modifications permettant aux personnes en séjour illégal sur notre territoire d’avoir accès au fonds d’indemnisationseront adoptées avant l’écoulement du délai… ». Jusqu’ici, cinq personnes environ en séjour illégal étaient déboutées par leFonds chaque année.
1. In Syndicats n°11 du 8 juin 2007.
2. Organisatie voor Clandestiene Arbeidsmigranten :
– adresse : rue Gaucheret 164 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 274 14 31
– courriel : info@orcasite.be
– site : www.orcasite.be
3. Fonds des accidents du travail :
– adresse : rue du Trône, 100 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 506 84 11
– courriel : inspect@faofat.fgov.be
– site : www.fao.fgov.be
4. Il peut être obtenu auprès de l’Orca, des syndicats FGTB et CSC. Par ailleurs, une version complète de ce guide des droits peut être consultée ettéléchargée gratuitement sur le site www.orcasite.be
5. Commission pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels :
bureaux : av. de la Porte de Hal, 5-8 à 1060 Bruxelles – adresse postale : bd de Waterloo, 115 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 542 72 16.