La pandémie du Covid-19 a mis en lumière les faiblesses du secteur des maisons de repos. La catastrophe humaine qui a touché ces institutions s’explique par la fragilité leur public, mais aussi par leur modèle de financement et d’organisation. Cette problématique a retenu l’attention de PHM Europe (People’s Health Movement), PHM Canada, du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et du Réseau européen santé qui ont décidé d’y consacrer quatre webinaires intitulés «COVID-19 et les soins de longue durée: bâtir la justice aux soins de longue durée au Canada et en Europe». La première session, qui s’est déroulée ce jeudi 12 novembre, a montré pourquoi le personnel et les résidents de ces structures subissent de plein fouet les conséquences de la commercialisation et de la privatisation de la santé.
La dernière décennie a été marquée par des politiques nationales et européenne d’austérité, a rappelé Sabina Stan (Dublin City University et Univercity College Dublin). Après la crise de 2008, un nouveau régime de gouvernance économique est mis sur pied, et depuis 2010, le Semestre européen vise à coordonner les politiques budgétaires des États en maîtrisant davantage leurs finances publiques. Les dispositions prises en vue de pousser les États à réduire leurs dépenses et à gérer leurs budgets plus efficacement – au risque d’être pénalisés – visent entre autres la santé et le secteur hospitalier.
Ilona Delouette, de l’Université de Lille, illustre ce mouvement, montrant comment l’État français a contribué à la privatisation et la commercialisation des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Depuis 2009, des appels à projets mettent en concurrence les acteurs privés lucratifs et les acteurs non lucratifs (publics ou privés) pour l’ouverture de nouvelles places. Un peu plus tard, en 2013, la politique d’austérité touchant les hôpitaux aboutit à la fermeture de 17.000 lits, notamment des lits de soins de long séjour, avec pour conséquence l’arrivée de ces patients dans les Ehpad, où la norme de personnel est moins exigeante. Les Ehpad sont médicalisés, et les acteurs privés lucratifs s’engouffrent dans la brèche, se positionnant sur le «marché» de la grande dépendance. «Mais avec des prix à la journée supérieurs de 42% à ceux du secteur non lucratif!» précise Ilona Delouette. Ces évolutions aboutissent à une concentration du secteur aux mains de quelques grands groupes – les petites structures sont de moins en moins pérennes -, mais aussi à une financiarisation du secteur – avec des aides fiscales de l’Etat pour les investisseurs (Sur la commercialisation des maisons de repos en Belgique, lire «Tirer les vieux du lit», Alter Échos n°477, octobre 2019; «Soins de santé: un marché en or», Alter Échos n°382-383, mai 2014, et «La santé au coeur de la lutte», Alter Échos n°487, octobre 2020).
Mauvaises conditions de travail, industrialisation des tâches, conditions d’accueil médiocres, prix élevés et difficulté à réguler les acteurs: c’est sur cette lame de fond que se greffe l’arrivée du Covid-19, avec les problèmes que l’on connaît en termes de distribution de matériel, de gestion des établissements mais aussi de transparence au niveau des chiffres de mortalité dans ces établissements. Au Canada, renchérit Nan Mc Fadgen (CUPE Nova Scotia, Canada), de pire résultats ont été observés dans les centres privés lucratifs – aux mains de compagnies immobilières – que dans le secteur public. «Le Covid-19 a exacerbé une situation préexistante. Les travailleurs sont épuisés. Et l’armée a dû prêter main forte au secteur. Cette pandémie a fait la lumière sur une décennie d’inaction, de coupes et de compressions. La société civile veut y mettre un terme.» (Sur la situation des maisons de repos en temps de Covid en Belgique, lire «Maisons de repos, maisons de chaos», Alter Echos n°484, mai 2020 et «Hécatombe dans les maisons de repos: faire toute la lumière», Alter Echos n° 486, septembre 2020).
Aujourd’hui il est temps d’envisager la santé autrement, a réagi Jean Hermesse, expert en économie des soins de santé et ancien secrétaire général des Mutualités chrétiennes. Nous avançons irrémédiablement vers un papy-boom – les personnes de plus de 85 ans étaient 186.000 en l’an 2000 en Belgique, elles seront 750.000 en 2050. Un véritable «tsunami», selon Jean Hermesse pour lequel seront nécessaires un budget de soins plus important, mais aussi des logements adaptés et des réponses aux problèmes de solitude, de mobilité, de sens de la vie – en témoignent la surconsommation d’antidépresseur et de somnifères dans notre pays aujourd’hui. Pour l’ancien secrétaire général des Mutualités chrétiennes, l’enjeu consiste désormais à envisager la santé comme «une capacité à s’adapter aux changements, qu’ils soient émotionnels, matériels, etc.» Et de rappeler que les soins de santé n’influencent la santé que pour 20 à 25%, les principaux déterminants étant l’activité physique, l’alimentation, la vie sociale et le sens de la vie. Jean Hermesse appelle à une démédicalisation de la santé, au risque de se ruer dans une impasse, d’augmenter les inégalités et de favoriser la marchandisation. Aménagement du territoire, cohésion sociale, mobilité douce et conviviale, développement d’une santé communautaire, politique de logements modulaires et communautaires, soutien des aidants-proches et des soins informels, davantage de moyens pour les soins chroniques: autant de propositions que fait l’ancien secrétaire général des Mutualités chrétiennes en vue d’améliorer une santé globale et d’anticiper le vieillissement de la population. Car «le Covid ce n’est qu’une parenthèse par rapport à cet enjeu qui arrive», conclut-il (Sur la conception d’une santé globale par Jean Hermesse, lire «Financer une approche globale de la santé», Santé Conjuguée, décembre 2018).