Inclure tout un quartier dans une démarche artistique, favoriser la rencontre des cultures, des générations en permettant à un public défavorisé de selancer dans un projet valorisant: tels sont les objectifs actuellement poursuivis par plusieurs associations actives sur la commune de Schaerbeek dans le domaine théâtral.Présentation de deux réalisations d’actualité, qui sont autant de contributions originales au redéveloppement de ces « quartiers populaires ».
1. Un quartier sur les planches
Récemment le Théâtre Océan Nord1 programmait « Le secret d’El Mekki », une pièce de théâtre jouée par des Schaerbeekois etencadrée par des professionnels du théâtre2. Implanté dans la commune de Schaerbeek depuis quatre ans, le Théâtre Océan Nord ouvre en effet ses portesaux habitants du quartier. Si les ateliers sont au départ destinés aux adolescents, un groupe mixte s’est ensuite constitué. « Avec Isabelle Pousseur, explique RosaGasquet, nous avons eu envie de constituer un groupe qui ressemble aux gens qu’on croise dans la rue. Des garçons, des filles, des vieux, des jeunes, des populations issues dedifférentes cultures, etc. Et l’initiative a tout de suite séduit les habitants. C’est qu’en l’espace de quatre ans, le théâtre a tissé des liens étroits avecson quartier. Nous connaissons bien les éducateurs, les écoles, les enfants du quartier, etc. Et aujourd’hui, quand on fait passer une info, le réseau fonctionne. Mais cen’était pas le cas au début… »
Le quartier comme cocon
Le thème proposé à la troupe: la famille élargie, recomposée. Celle du quartier. Celle qui supplée quand les liens du sang font défaut. Celle quisoigne les bobos amoureux autour d’un verre au Johnny’s Bar. Qui organise des karaokés jusqu’au bout de la nuit. Qui fait des projets de châteaux en Espagne. Qui rêve d’un avenirmeilleur pour les plus petits du quartier. « C’est un thème qui nous posait question, explique Rosa Gasquet. C’est quelque chose de très fort dans les quartiers populaires et nousavions envie de savoir ce que représentait cette famille élargie et la façon dont le théâtre pouvait s’y intéresser. Quand, avec les participants, on aconstitué les familles, il était très comique de voir qu’on n’avait pas forcément une famille belge, une famille marocaine. Car les acteurs s’étaientmélangés, comme Blanche qui a tout de suite voulu être la sœur de Momo dans la pièce! »
Une démarche de groupe
Le cœur de l’histoire, c’est le secret du patriarche El Mekki. Un secret qu’il cache soigneusement à Momo et Blanche, ses deux petits-enfants qui n’ont jamais su de quoi leurs parentsétaient morts. Finalement, El Mekki décidera de livrer son secret parce que la parole est libératrice et permet un avenir meilleur. C’est ce que El Mekki désire pourJordan, son arrière petit-fils placé dans un centre. En effet, Momo, son père, n’arrive pas à le prendre en charge.
Pour imaginer cette histoire, des ateliers d’écriture ont été organisés sur différents thèmes comme la famille, le mariage, le deuil, etc. « Le groupeécrivait une vingtaine de mots sur le thème, sans tenir compte de l’orthographe ou de la langue. Parfois, on a même traduit pour les personnes qui maîtrisaient moins lefrançais. Tous ces sujets ont permis une confrontation des cultures, des générations qui ont amené une profondeur aux personnages et du sujet. »
Positif et… subversif
Un mariage du social et de l’artistique? « On ne se pose pas la question, répond Rosa Gasquet. Océan Nord est un théâtre et notre démarche, une démarchede création. La seule différence, c’est qu’elle a lieu avec des habitants, mais on est le plus exigeant possible. On pourrait appeler ça une démarche de proximité.» Une initiative qui semble soucieuse de faire passer un message de tolérance. Illustré notamment par ce personnage de la maman de huit enfants, tous nés de pères denationalités différentes. L’idée touchante, quoique un peu naïve, de cette fratrie universelle est en effet en décalage avec certains discours. « Le fait qu’ungroupe avec des personnes tellement différentes ait pu se rencontrer deux fois par semaine pendant un an et demi pour créer ensemble était fantastique en soi. De cetteénergie-là, il ne pouvait sortir que quelque chose de positif. Ils créent désormais un groupe humain, même si cela peut être subversif d’être positif, dedire qu’on peut vivre ensemble. »
Faute de moyens
Pourtant, étant donné les thèmes abordés: la famille, le secret, on se serait attendu à un spectacle plus percutant avec un peu plus de cœur au ventre. Car siEl Mekki était plaisant, il fut souvent sage et consensuel. À la critique, Rosa Gasquet répond qu’« il y a eu une sorte d’alchimie dans ces ateliers, c’étaittrès joyeux. Il y a eu des dialogues incroyables entre les gens. Nous nous sommes laissé emporter, nous ne pouvions pas aller à l’encontre de cela. »
Dans le quartier, c’était évidemment la fête. On est venu voir le petit, le copain ou sa grand-mère. « Il y a un effet boule de neige car ceux qui ont vu le spectacleont maintenant envie d’y participer. Malheureusement, ce n’est pas possible financièrement car nous n’avons pas de subsides fixes, pas même de la commune de Schaerbeek. Des enfantsviennent sonner à la porte tous les jours, mais on ne sait pas quand les ateliers vont pouvoir reprendre. On dit que dans ces quartiers, les gens n’ont envie de rien faire. C’est tout àfait faux: si on voulait, demain, on pourrait ouvrir une dizaine d’ateliers! »
2. Une nouvelle saison d’ateliers théâtraux interculturels
Autre initiative artistique sur la commune de Schaerbeek: celle du théâtre Maât dont la vocation est de créer des spectacles à l’attention du jeune public.Reconnu comme Centre d’expression et de créativité, il débute en ce moment une nouvelle saison de ses « Sentiers de la Communication »3, en collaboration avecBouillon de Cultures4, une maison de quartier installée à deux pas. Cette dernière a pour objectif de promouvoir le développement du quartier et du bien-être de seshabitants. Parmi les activités qu’elle propose, se retrouvent des activités créatives. Cela dit, Catherine Daloze, qui collabore à la coordinationgénérale de Bouillon de cultures, explique que l’intérêt de la collaboration avec le Maât est de proposer un éventail élargi d’ateliers, ens’appuyant sur des professionnels et sur des structures existantes dans le quartier.
Un spectacle intergénérationnel
Cette année, donc, une soixantaine de participants sont inscrits pour ces Sentiers de la communication et se répartissent en cinq groupes: adultes, jeunes, adolescents et deux atelierspour enfants. Un premier groupe d’enfants (de 10 à 12 ans) a déjà commencé à travailler. Un groupe d’a
dos qui fréquentent Bouillon seraient surle point d’entamer les ateliers. Selon Hadi El Gammal, responsable du théâtre Maât, « le spectacle sera probablement une représentation unique qui regroupera les cinqateliers travaillant sur un même auteur et une même pièce. Ils joueront ensemble avec l’intérêt supplémentaire d’insuffler une dimensionintergénérationnelle. La saison précédente s’était quant à elle clôturée, en juin dernier, par le spectacle « Les SentiersShakespeare » aux Halles de Schaerbeek et fut prolongée par une représentation fin octobre au Théâtre de la Balsamine. Cinq pièces de Shakespeare furentlibrement revisitées par les groupes, animés par les comédiens et/ou metteurs en scènes du Maât. La qualité de la production était incontestable, et lejeu des acteurs révélait un important travail. On peut dire que cette dernière saison s’est inscrite en rupture avec les réalisations précédentes quireposaient sur la réalisation d’un spectacle « sur mesure », pour s’attaquer cette fois à un grand classique.
Une démarche pas toujours facile
Seul bémol à la saison actuelle: la mixité culturelle déclinante des participants dans certains ateliers, essentiellement au niveau des groupes d’enfants. Afin deprivilégier l’interculturalité, les responsables du Maât ont décidé, vu le succès des ateliers, d’établir des quotas inforýels.Globalement, le recrutement des participants n’est assuré que par le bouche-à-oreille et draine, cette année, un tiers de participants de plus par rapport à lasaison précédente. Hadi El Gammal concède que le projet des Sentiers de la Communication se heurte également à la difficulté du travail avec un publicdéfavorisé. La population, peu mobile, reste cantonnée à son quartier immédiat. Des difficultés peuvent surgir aussi à cause d’un manque destructuration et d’un faible niveau de connaissance de la langue, qui imposent de faire un long chemin avant de pouvoir passer au théâtre proprement dit. Malgré lamotivation des participants, qui est essentielle dans ce type d’ateliers, des difficultés persistent en termes de concentration et de discipline. Dans le cadre d’ateliersthéâtraux, il faut apprendre à écouter et à regarder. Le responsable explique qu’au sein d’un groupe, pendant que deux participants travaillent, lesautres regardent. « Le théâtre, explique le responsable, c’est autant regarder que faire. ü Frédéric Lammerant, comédien et animateur, souligne poursa part qu’il faut apprendre aux participants que le spectacle, pour lequel ils sont souvent motivés, est un aboutissement qui nécessite un cheminement. Selon lui, les atelierssont avant tout ýne rencontre et ils nécessitent de répondre au besoin de communiquer des participants. Hadi El Gammal insiste, quant à lui, sur le fait que Les Sentiersde la Communication ne sont ni un lieu de thérapie, ni de travail social mais que c’est justement pour cela qu’ils peuvent faire un peu des deux par le détour. Pour lethéâtre Maât, qui consacre environ la moitié de son temps à ces ateliers d’expression, « c’est aussi une façon de rester en prise directeavec la vie. Sinon, le danger est de se couper de la base, des vrai gens. »
1 Le théâtre Océan Nord, rue Vandeweyer, 63-65, 1030 Bruxelles, tél.: 02/242 96 89
2 Direction d’atelier: Isabelle Pousseur, Rosa Gasquet, Amid Chakir, Laurence Vielle.
3 Les Sentiers de la Communication, rue des Coteaux, 341 à 1030 Bruxelles, tél.: 02/242 76 89, fax: 02/242 77 32; e-mail: theatre.maat@skynet.be Site web: http://www.theatremaat.be Contact: Hadi El Gammal.
4 Bouillon de Cultures, rue Philomène, 41 à 1030 Bruxelles, tél.: 02 223 14 88, fax: 02 223 73 95.
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