#restezchezvous. Pour ceux et celles qui n’ont pas de toit, l’injonction relève de l’absurde. Pour les structures qui les accueillent de jour comme de nuit, le respect des mesures de distanciation sociale se révèle être un véritable casse-tête. À Bruxelles comme en Wallonie, c’est tout un secteur qui se réorganise et se prépare à une augmentation des demandes d’aide.
Dans le secteur de l’aide aux personnes sans abri, l’annonce des mesures de confinement fait l’effet d’une petite bombe. Partout, c’est le branle-bas de combat. Avec des équipes réduites à cause de la maladie et sans matériel de protection pendant les premières semaines, le secteur se réaménage pour faire face à la crise. Des services ferment leurs portes et mettent leurs travailleurs à la disposition d’autres. Des structures déménagent afin de continuer à répondre aux besoins en hébergement et en nourriture tout en respectant les mesures de distanciation. Des lieux de confinement pour les personnes présentant des symptômes du Covid 19 sont agencés, ici dans des tentes, là dans un internat ou encore dans des appartements vides subitement rendus disponibles pour la cause ( !). En rue enfin, les maraudes sont renforcées pour raccrocher les âmes perdues et faire de la prévention en matière de santé auprès de ce public fragilisé et à risque en termes d’infections respiratoires.
De disparitions en apparitions
À Namur, le redéploiement du secteur entraîne dans un premier temps la disparition d’une partie du public habituel. La Ville ayant fermé les abris de nuit, l’hébergement se concentre dans un hall de sport où un travail de détection est réalisé, tandis que des chambres de confinement pour des personnes avec des symptômes du Covid sont aménagées dans l’internat d’une école hôtelière. Les premiers jours, seules 40 à 50 personnes se présentent au hall sportif pour passer la nuit. Un chiffre inquiétant au regard de la fréquentation habituelle des abris de nuit à cette période de l’année, selon Olivier Hissette, coordinateur adjoint du relais social urbain. «Pour équiper ce hall de sport, nous avons reçu un stock de matelas gonflables, explique-t-il. Certains se sont dégonflés. Le chauffage, trop bruyant, était parfois coupé et des personnes ont eu froid. Une partie du public n’a sans doute plus voulu revenir.» La situation s’est entre-temps améliorée, assure le coordinateur, et une partie des personnes sorties des radars ont de nouveau montré le bout de leur nez.
«Il y a toute une catégorie de personnes invisibles qui vivaient du travail caché qui va venir grossir les rangs des personnes qui fréquentent nos services.» Ariane Dierickx, directrice de l’asbl L’Ilot
Il reste que, dans la capitale wallonne comme ailleurs, des sans-abri se sont évanouis dans la nature, soit parce qu’ils ont pu activer des liens de solidarité ponctuels – liens qui ne pourront probablement pas se maintenir dans la durée –, soit parce qu’ils ont été désarçonnés par le réaménagement de l’aide (fermetures de services, changements d’horaires de permanences, déménagements…). D’où l’importance que revêt le travail de rue en cette période de confinement. «On a intensifié le travail de rue pour récupérer les gens dans les squats ou autres abris, et les ramener vers le pôle de détection», raconte Olivier Hissette. Une mission qui prend des tours particuliers puisque «les rues sont désertes, nos publics habituels sont plus difficiles à trouver. Ils sont sans doute dans des squats, dans des lieux moins visibles», précise Jérôme Boonen, responsable du dispositif APPUIS (pour Accompagnement prévention précarité urgence insertion sociale) du CPAS de Charleroi, ville où les équipes de travailleurs de rue ont été consolidées grâce à du personnel détaché par des asbl (comme Le Comptoir, service d’échange de seringues) ou par le CPAS.
Mais, partout, c’est aussi un nouveau public qui surgit. Des femmes vivant de la prostitution, des hommes tirant de maigres revenus de l’économie informelle, se retrouvent sans ressources du jour au lendemain. Ariane Dierickx, directrice de l’asbl L’Ilot à Bruxelles, fait le constat d’une explosion des demandes. Le centre de jour de l’asbl, qui a dû réduire ses activités, distribue aujourd’hui ses repas à l’extérieur, sur le parvis de Saint-Gilles. «Nous sommes limités à 90 repas. Il faut tenir compte du voisinage et que le projet reste gérable. On réoriente vers d’autres services, mais il n’y a pas assez d’offres.» Pour elle, la situation ne présage rien de bon. «Cela va être de plus en plus dur. Il y a toute une catégorie de personnes invisibles qui vivaient du travail caché qui va venir grossir les rangs des personnes qui fréquentent nos services. On sait par exemple que nombre de femmes sont dans la prostitution pour éviter la rue. Aujourd’hui, elles n’ont plus de clients, en temps normal je m’en réjouirais, mais là elles n’ont pas été préparées et se retrouvent sans solutions.»
À Charleroi, ce sont aussi des femmes victimes de violences conjugales qui intègrent peu à peu les services de l’urgence sociale. Et en Wallonie comme à Bruxelles, on s’attend à une recrudescence des demandes d’aide. «Au fur et à mesure, on sent que les tensions s’exacerbent, ça devient long et compliqué», ajoute Sophie Crapez, de l’asbl Comme chez nous à Charleroi, qui a rouvert son centre de jour dans un hall sportif à Mont-sur-Marchienne.
L’urgence, et après?
Le secteur de l’aide aux sans-abri, où beaucoup revendiquent depuis des années d’en finir avec cette logique de l’urgence au profit d’un travail d’insertion sur le long terme, serait-il subitement réduit à faire de l’humanitaire? C’était le cas au début de la crise, nous dit-on. Mais peu à peu, les services remettent tant bien que mal en marche les rouages de l’aide sociale et de l’accès aux droits. L’entrée dans le logement demeure l’épine dans le pied, le secteur locatif privé étant pour le moment hors d’accès. L’Ilot, s’il a dû suspendre ses permanences sociales et sa recherche de logements privés, est malgré tout parvenu, depuis le début du confinement, à reloger 20 personnes dans des logements sociaux vides en attente de rénovation.
Dans la capitale wallonne comme ailleurs, des sans-abri se sont évanouis dans la nature, soit parce qu’ils ont pu activer des liens de solidarité ponctuels – liens qui ne pourront probablement pas se maintenir dans la durée –, soit parce qu’ils ont été désarçonnés par le réaménagement de l’aide.
Ici et là, les projets de guidance à domicile et d’accompagnement dans le logement sont maintenus via des permanences téléphoniques et des visites chez les personnes les plus fragiles. Quant aux liens avec les CPAS, ils varient d’une commune à l’autre, certains organismes publics y mettant du leur pour faciliter les procédures, d’autres restant difficiles d’accès.
«Ce n’est pas maintenant que nous allons entamer une réforme du code wallon du logement», admet Sophie Crapez, qui observe par contre une plus grande solidarité entre les acteurs de Charleroi. Une vision que partage Jérôme Boonen: «La crise a fluidifié les rapports, notamment avec les maisons d’accueil qui ont des lits à projets. On a réussi à mettre pas mal de monde, les plus fragiles, en sécurité dans des lits vacants. De même, la Sambrienne (société de logements sociaux de Charleroi, NDLR) a octroyé des logements de transit qui auraient nécessité des procédures plus longues.»
Alors que le nombre de personnes sans abri infectées semble à ce jour assez faible, le travail social se remet en route tant bien que mal. Mais si une augmentation rapide du nombre de cas devait se produire, celle-ci risquerait de mettre en péril un équilibre fragile.