Entre 10 à 15 %, seulement, de la population carcérale a accès à des formations, 75 % des détenus déclarent, au mieux, avoir un diplôme de primaire.Deux chiffres qui suffisent, même s’ils n’expliquent pas tout, à entrevoir le parcours du combattant que peut représenter une réinsertion professionnelle pourun “ex-taulard”, qu’elle soit intra ou extra-muros. Pour toucher d’un peu plus près cette réalité, les organisateurs de la semaine del’emploi d’Ixelles avaient invité, ce 21 novembre, l’association Après, les Petits riens et un ex-détenu, Jean-Marc Mahy, venu témoignerd’un parcours peu banal…
Stefan Cristel de l’asbl Après1 travaille sur l’orientation des personnes incarcérées à l’intérieur comme àl’extérieur de la prison. Elle anime des tables de recherche active d’emploi avec les ex-détenus et également des groupes de détermination à laprison de Saint-Gilles et à celle d’Ittre. « Nous avons affaire, la plupart du temps, à un public infra-qualifié, aucun ne détient un diplômed’humanités supérieures. Les ex-détenus sont souvent confrontés à la problématique du casier judiciaire lorsqu’ils postulent pour unemploi, c’est en quelque sorte une double peine car ils continuent à devoir porter les stigmates de leur passé et ça ne contribue évidemment pas à une bonneréinsertion. Il existe bien une possibilité de réhabilitation par rapport au casier judiciaire mais c’est très conditionné et la procédure estextrêmement lourde. Pour l’inscription à des formations à l’extérieur pour préparer sa sortie, le problème est le même, soit c’estl’exclusion pure et simple, soit on évoque une politique de quotas… »
Sabrina Feliciani, également de l’asbl Après, s’occupe du pôle guidance à la prison d’Ittre, elle peut rencontrer les détenus àn’importe quel stade de leur peine. Certains bénéficient de mesures de surveillance électronique ou sont en détention limitée. « Nous constatonssur le terrain qu’il est de plus en plus difficile de faire entrer un détenu en formation lorsqu’il sort, constate-t-elle, car on ignore à quel moment il pourrabénéficier d’une mesure de liberté conditionnelle ou d’un bracelet électronique. Ils ont droit aux allocations de chômage lorsqu’ils sont soussurveillance électronique, mais pas pour la détention limitée. Lorsqu’ils cherchent du boulot, il faut arriver à combler les trous avec quelque chose de valorisant,mais assez peu de formations sont organisées en prison et peuvent être reprises sur le CV »
Une réinsertion semée d’embûches
André Bouret est directeur des actions sociales et de l’insertion socioprofessionnelle à l’asbl Les Petits Riens2, le public des anciens détenus, ilconnaît. Les Petits Riens en accueillent régulièrement, ils constituent d’ailleurs le public majoritaire de l’institution. « Nous ne les recevons pas toutde suite après leur sortie de prison, confie André Bouret. Souvent, ils atterrissent chez nous lorsque leur parcours dehors tourne à l’échec. Au sein de notrepôle ISP, nous leur apprenons à rédiger un CV, à postuler, à « se vendre » mais cela reste difficile de valoriser une expérience ou une formationlorsqu’on a fait de la prison. »
Les personnes qui aboutissent chez Les Petits Riens sont invitées à élaborer un projet d’avenir. Trois possibilités s’offrent alors à elles. Lapremière : suivre une formation, la deuxième : décrocher un emploi et, si aucune de ces deux options ne peut être rencontrée, alors une activité estproposée au sein même des Petits Riens dans son pôle « économie sociale ». Un boulot qui, selon André Bouret, est un moyen pour pouvoiraprès donner l’envie de se former, « mais en aucune façon une fin en soi ».
« La chance que nous avons comme maison d’accueil, c’est que nous ne voyons pas seulement les personnes une heure ou deux en entretien, on les voit tout le temps. Il estnécessaire d’avoir un véritable accompagnement au jour le jour, surtout après un échec, parce que leur passé resurgit souvent comme unboomerang. »
Les Petits Riens accueillent peu de personnes en liberté conditionnelle. « La plupart veulent aller à fond de peine, ils redoutent cette épée deDamoclès sur leur tête. Quant aux bracelets électroniques, nous en avons accueilli à plusieurs reprises mais nous avons dû nous résigner à les refusercar le système n’est pas au point. La maison d’accueil est composée de plusieurs étages et il suffisait parfois que la personne change d’étage pourqu’un signal soit donné à la centrale de surveillance et on se retrouvait avec trois combis de flics à la porte. »
Mais en dehors du problème de la réinsertion professionnelle, les anciens détenus cumulent souvent des problèmes de toxicomanie, de dépendance àl’alcool ou des troubles psychiatriques. Ivone Lauria qui travaille à la cellule emploi des Petits Riens a vu progresser, au fil du temps, le public qu’elle reçoit :« Ils sont de plus en plus jeunes et présentent davantage de troubles mentaux qu’auparavant. Dans un tel contexte, il faut énormément de temps pour pouvoir seremettre en selle après un emprisonnement. Sans compter la difficulté de trouver du boulot. Même sans dire que vous êtes un ex-taulard, les tatouages, parfois, suffisent auxemployeurs pour deviner. Et pour ceux qui ont finalement trouvé un logement, un emploi, il n’est pas rare que lorsqu’on croit que tout est réglé, on voie resurgir lapersonne, même un an plus tard, à nouveau à la case départ. Tout est alors à recommencer. »
« On fait de nous des assistés sociaux »
Face à ces constats peu réjouissants, entendre le témoignage de Jean-marc Mahy, 41 ans, 19 ans de détention et deux morts sur la conscience, est en quelque sorterevigorant même si son parcours est loin d’être le lot de la majorité des prisonniers en Belgique… Depuis cinq ans en liberté conditionnelle, Jean-Marc Mahyvient d’obtenir son diplôme d’éducateur et a cumulé, en prison, pas moins de six diplômes ! Un parcours peu banal… De fil en aiguille, la petitedélinquance de l’adolescent a mené à la tragédie, et deux hommes sont morts. Entré en prison à dix-sept ans, il en sort à trente-six. Soucieuxde désamorcer la fascinatio
n de certains jeunes devant l’image de durs qui colle à la peau de ceux qui sont passés par une institution publique de protection de la jeunesse(IPPJ) ou la prison, il n’a de cesse de témoigner de son parcours dans les écoles, les IPPJ et les… prisons3.
« Quand je vais dans les IPPJ, je vous assure que, après avoir écouté mon témoignage, le discours des jeunes change. Parce que je suis face à eux, ilsapprennent que je suis entré en prison à leur âge, et que sur les vingt mineurs qui étaient avec moi, à Braine-le-Château [NDLR : une IPPJ] en 1984, il y en aquatorze qui ne sont plus là aujourd’hui pour vous en parler. Il y en a trois qui sont des « institutionnalisés », c’est-à-dire qui entrent et qui sortent de prisondepuis vingt-cinq ans, et il y en a seulement deux qui s’en sont sortis. L’image est très parlante. Si après mon témoignage, ils veulent quand même aller voirce qui se passe derrière les murs d’une prison, il faut qu’ils s’imaginent sur une ligne de départ à vingt, et 19 ans plus tard, il y en aura peut-êtredeux qui seront dehors.4 »
Une fois lancé, Jean-Marc Mahy est intarissable ; le discours est bien rodé mais passionné et passionnant. Le témoignage, puissant, a le mérited’être sans doute cent fois plus parlant que n’importe quel rapport sur l’état de nos prisons. « Il y a deux manières de sortir de prison en Belgique: à fond de peine ou en libération conditionnelle, expose Jean-Marc Mahy. Le problème, c’est que ceux qui sont libérés à fond de peine, on ne leurdemande pas s’ils ont du boulot et s’ils ont un logement. Là où le bât blesse dans les institutions carcérales, c’est l’infantilisation,l’institutionnalisation, la déresponsabilisation. On est « soumis à », et l’on fait tout pour nous. On nous dit quand on va manger, quand on va en visite, quand on va àla douche, on est abruti par la télévision et la Playstation. Et encore, moi, j’ai eu la chance d’y échapper, la Playstation, ce n’était pas encore aussirépandu que maintenant. Alors, le type qui n’a pas été capable de prendre une seule initiative en prison, comment voulez-vous qu’en étant libéréà fond de peine, en se retrouvant sur un parking, tout d’un coup, il fasse preuve d’initiative pour essayer de s’en sortir ? Il existe en Belgique des associations quiessaient de faire un maximum pour ces détenus-là. J’ai retenu une phrase de l’ancienne ministre de la Justice, Laurette Onkelinx, qui disait sur un plateau detélévision, « ce n’est pas à la société d’apporter quelque chose à un ex-détenu, c’est à l’ex-détenud’apporter quelque chose à la société », et je suis d’accord avec elle, à la seule condition qu’on les prépare avant qu’ils sortent,qu’on les outille, qu’on leur donne les moyens de s’en sortir une fois dehors. Actuellement, la plupart des gens qui sortent de prison et qui n’ont plus personne au dehors, cesont des assistés sociaux. Quand, je vois qu’on va dépenser 12 millions d’euros pour mettre des filets anti-hélicoptères au-dessus des cours de prison, alorsqu’on sait très bien qu’on n’aura pas d’évasion comme ça tous les 6 mois, je ne peux m’empêcher de penser qu’avec la même somme,on aurait pu engager plus de 400 personnes pour faire de la réinsertion avec les détenus… »
Avec seulement un diplôme de primaire en poche, Jean-Marc Mahy a sans doute été l’un des rares à pouvoir, en prison, se former et obtenir autant de diplômes. Aucunne lui a directement servi à la sortie, mais ils lui ont toutefois permis de se lancer dans une formation d’éducateur. Quant aux boulots, il en a eus même s’il adû souvent en changer. À chaque fois, on finissait par savoir qui il était. « Pour pouvoir sortir en conditionnelle, je devais avoir un emploi, j’en aitrouvé un mais ma libération a été plusieurs fois reportée, c’est malheureusement souvent le cas, mon employeur a dû m’attendre quatre mois. Ill’a fait, heureusement pour moi, mais combien n’ont pas eu cette chance ? Je voudrais aussi ajouter que par rapport à la recherche de travail, le casier judiciaire pose unréel problème, les agences d’intérim ne nous engagent pas. Même chose pour les agences immobilières, ça ne fait que cinq ans que je suis sorti et je necompte plus le nombre de fois où j’ai déménagé. Chaque fois que mon proprio me voit à la télé, c’est buiten. Mais jel’accepte, je l’assume. »
Des cours d’habileté sociale
Sur les problèmes de formation, Jean-Marc Mahy est également intarissable : « 70% des gens qui sont en prison sont pratiquement des indigents. Même s’ils neparviennent pas à travailler dehors, en prison, ils font tout pour bosser et avoir même un petit salaire. Le parent pauvre dans les prisons, ce sont les formations parce qu’onn’a qu’un euro de l’heure. Alors, c’est bien beau de crier sur tous les toits ou dans les colonnes de la DH que nos prisons sont des hôtels cinq étoiles.Il faut arrêter de plaisanter ! Une télévision, c’est entre 20 et 25 euros par mois, un frigo, une plaque chauffante, tout ça, ça se paie, même 30 foisplus cher qu’à l’extérieur. Donc, il y a quatre moyens de s’en sortir en prison : on travaille, on suit une formation, on rackette ou on deale. Il y a des gens qui sebattent, depuis des années et des années, mais je n’arrive pas à comprendre comment on ne prend pas conscience de ça. Je suis convaincu qu’il y a desdétenus qui sont prêts à suivre des études en prison. Mais à partir du moment où l’on est payé un euro de l’heure et que la nourrituren’est pas terrible… Si on valorisait le suivi d’une formation, en prévoyant par exemple de bénéficier de quelques mois de grâce en cas d’obtentiond’un diplôme ! On s’investit et, au bout, il y a quelque chose qu’on peut gagner. Reprendre confiance en soi, se valoriser. Du point de vue de la réinsertion,j’ai été dans pas mal de prisons et je dirai une chose : il y a moyen de faire changer les choses et ça ne coûte pas si cher. Préparer les détenusà leur sortie en leur apprenant à gérer un budget par exemple, moi, cinq ans plus tard, je n’y arrive toujours pas, faire des entretiens d’embauche, préparerà manger… Bref, tout ce qui peut faire le quotidien d’un homme en société. Il faut apprendre à acquérir ces petites choses pour ne pas faire desdétenus, des « assistés sociaux » à leur sortie de prison, en quelque sorte dispenser des cours d’habileté sociale. Ils deviendraient alors si
mplement des gens qui ontappris à avoir confiance en eux et qui essaieront d’aller frapper à des portes. La plupart des gens que je rencontre me disent « on n’a pas envie de discuter avec toi parce que sur10 détenus qui sortent, il y en a 8 qui récidivent ». Peut-être, c’est en tous les cas la rumeur populaire. Mais moi, sur 10 personnes que je rencontre, il y en a 9 qui meferment la porte. Au début, ça me posait un problème, aujourd’hui plus, parce que la dixième porte, c’est une personne qui avance avec moi, sans aucunpréjugé et, depuis cinq ans, j’en ai parcouru du chemin avec des personnes comme ça. Moi, j’essaie de donner un sens à ma vie et de ne pas tuer mes victimes uneseconde fois. Je ne demande pas que l’on me pardonne. Je paie le solde de ma dette. »
1. Après asbl :
– adresse : chaussée d’Alsemberg, 303 à 1190 Bruxelles
– tél. : 02 219 57 90
– courriel : après@skynet.be
– site : www.apresasbl.be
2. Les Petits Riens :
– adresse : rue Américaine, 101 à 1050, Bruxelles
– tél. : 02 537 30 26
– courriel : info@petitsriens.be
– site : www.petitsriens.be
3. On lira le très beau portrait qu’Anne-Marie Pirard a consacré à Jean-Marc Mahy sur le site de la Fondation Roi Baudouin. Remonter vers la vie, marche aprèsmarche. Dans le cadre du projet Hors-pistes, Jean-Marc Mahy a tourné avec le réalisateur Daniel Nokin un DVD, Liberté sur paroles qui montre que la réinsertionse prépare et surtout qu’elle est possible. Ce film est destiné à être diffusé dans les IPPJ, les prisons, les écoles… Extrait de la Revuenouvelle n°11 – 2007, Liberté sur paroles, Joëlle Kwaschin.
4. Certains passages du témoignage ont été complétés par les actes du colloque « Parcours du détenu à Bruxelles » organisé par le groupesocialiste du parlement bruxellois au mois de mars 2008.