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Sébastien Roy: «L’urgence, c’est le premier maillon de l’insertion» 

En mars 2019, Sébastien Roy prenait les rênes du (New) Samusocial. À son arrivée en poste, le nouveau directeur s’engage à restaurer la confiance en améliorant la transparence en matière de gouvernance ainsi que la qualité de l’accueil des personnes hébergées.

Sébastien Roy, directeur du Samusocial © Kristof Vadino

En mars 2019, Sébastien Roy prenait les rênes du (New) Samusocial, organisation ternie par le scandale de 2017 qui a fait suite aux révélations portant sur les montants octroyés à certains de ses administrateurs via des jetons de présence. À son arrivée en poste, le nouveau directeur s’engage à restaurer la confiance en améliorant la transparence en matière de gouvernance ainsi que la qualité de l’accueil des personnes hébergées. Le (New) Samusocial, ce sont aujourd’hui plus de 1.300 personnes hébergées chaque nuit sur huit sites – dont un centre pour demandeurs d’asile, deux autres qui accueillent 500 personnes en familles, un centre pour femmes et un centre médical. Le point avec Sébastien Roy sur un an et demi de travail, et sur l’impact du passage du Covid sur l’institution.

Alter Échos: Votre organisation n’a pas toujours eu bonne presse dans le secteur. Elle avait notamment la réputation de faire souvent cavalier seul. La période «Covid-19» n’a-t-elle pas été l’occasion de redorer votre image?

Sébastien Roy: Le Covid-19 a été une opportunité pour montrer qu’on était une organisation d’urgence utile et réactive. Cela a montré que l’urgence est nécessaire. Je n’ai pas connu le fonctionnement du Samusocial auparavant, je sais qu’on lui a reproché de ne pas être dans une logique de collaboration. Ici, clairement, nous avons voulu être ouverts au partenariat. Que ce soit avec MSF et la Plate-forme citoyenne au centre de confinement à Tour et taxis, au Parlement européen (où un centre pour femmes a été provisoirement ouvert, NDLR) ou dans les hôtels (Lire notamment à ce sujet «Jacques Moriau: ‘Il faut faire remonter au-dessus des agendas des causes au moins aussi dramatiques que le coronavirus’», Alter Échos n° 485, juillet 2020). Le partenariat, c’est l’occasion d’échanger nos pratiques – bonnes ou moins bonnes –, de nous remettre en question et donc de nous améliorer. C’est important d’avoir une fierté pour ce qu’on réalise, mais il faut garder un œil sur ce qui se fait en dehors. Souvent, les bonnes idées naissent dans les petites institutions, car elles sont moins freinées par la bureaucratie, la lourdeur. C’est donc intéressant, et même sain qu’il y ait une certaine concurrence – au sens noble du terme – entre les acteurs, cela nous tire vers le haut.

AÉ: On a souvent reproché aux politiques bruxellois de soutenir l’urgence au détriment de l’insertion. Qu’en pensez-vous?

SR: Je viens du secteur de l’humanitaire où on entend le même genre de discussion sur l’urgence vs le développement, l’impact à court terme vs à long terme. Je trouve cela assez réducteur. Depuis deux ans, nous avons beaucoup travaillé à l’amélioration de la qualité dans notre organisation. On nous a souvent reproché d’être un «parking à SDF». Nous avons essayé d’améliorer l’accueil social, humain, psychomédical. Le Covid a d’ailleurs permis d’investir la question de la promotion de la santé et de la prévention. Sur la question de l’insertion, nous avons entre 60 et 70% de personnes qui restent très peu dans nos structures (deux-trois jours). Pour ce qui est des 40% restants, il y a une partie de personnes chronicisées dans l’urgence et énormément de sans-papiers pour lesquels il y a peu solutions. Or, c’est vrai, l’aide d’urgence n’est pas forcément adaptée à une partie de ce public, qui est suffisamment autonome pour être hébergée dans des structures qui coûtent moins cher. Exemple avec la Maison Cardijn, ouverte il y a trois mois, où douze femmes sans papiers vivent en autonomie. Elles font leurs courses, cuisinent, et nécessitent un accompagnement beaucoup plus allégé que du 24 heures sur 24. Ce sont des personnes qui traînent parfois des années dans l’urgence alors qu’elles sont stables: elles n’ont «juste» pas de droits. Idem pour les personnes logées dans les hôtels: elles sont autonomes et nécessitent un accompagnement léger. Nous essayons de sortir de cette logique d’opposition entre urgence et insertion: l’urgence, c’est le premier maillon de l’insertion. Sur les quatre derniers mois, nous avons réalisé 468 réinsertions vers des solutions plus pérennes, principalement vers des centres Fedasil, vers du logement privé ou vers des maisons d’accueil.

«L’aide d’urgence n’est pas forcément adaptée à une partie de notre public, qui est suffisamment autonome pour être hébergée dans des structures qui coûtent moins cher.»

AÉ: La qualité, c’est un accueil et un accompagnement, mais ce sont aussi des infrastructures. On sait que certaines personnes refusent un hébergement parce que celui-ci n’est pas adapté – grands dortoirs, manque d’hygiène, etc.

SR: Le Covid nous a permis d’avoir accès à des bâtiments destinés au logement, comme les hôtels, alors qu’auparavant tous les bâtiments du Samu étaient des bâtiments de bureaux transformés en logement. C’est évidemment plus agréable d’être dans une chambre individuelle avec des sanitaires que dans de grands dortoirs. Quant à nos grandes infrastructures, rue du Petit Rempart et boulevard Poincaré, nous avons travaillé sur la réduction de la taille des dortoirs avec des cloisons. Nous avons également ouvert un centre plus petit de 75 places pour des femmes. Elles vivent les choses complètement différemment quand leur environnement est safe. Cela leur permet de mieux se reposer et de discuter des points problématiques. On plaide évidemment pour des structures plus petites. Mais elles ne sont pas rentables car on n’y fait pas d’économies d’échelle. On nous a d’ailleurs reproché le fait que ce centre soit trop cher. Nous y mobilisons 35 ETP pour 75 personnes contre 50 ETP dans un hôtel qui accueille 350 personnes…

AÉ: Le site Poincaré vient de fermer pour être rénové, laissant sur le carreau 80 personnes. Aucune solution n’a-t-elle été trouvée pour pallier les places perdues?

SR: Oui, le site a été fermé et les travaux doivent durer un an. Il ne s’agit pas uniquement d’un problème de bâtiment, mais aussi de cadre budgétaire: nous avions reçu un budget extraordinaire «Covid» de la Région qui nous a permis de maintenir la capacité hivernale jusqu’à aujourd’hui. On ne peut désormais plus maintenir cette capacité sans dépasser notre budget. Et notre priorité est d’avoir une qualité d’accueil minimale dans les structures ouvertes.

AÉ: Vous êtes passés sur tous vos sites à un accueil 24 h/24. Une grande nouveauté par rapport à l’époque où les hébergés se retrouvaient à la rue dès 8 heures du matin…

SR: On se rend compte de la valeur ajoutée que cela a pour les bénéficiaires, en termes de confort et de possibilité de se reposer. En outre, ces personnes ne doivent plus, chaque soir, faire de nouvelles démarches pour avoir une place. Cela réduit aussi les nuisances dans l’espace public. Évidemment, cela ouvre des questions sur la place des centres de jour, qui pourraient se retrouver avec moins de public. Ces centres de jour ont par contre des compétences que nous n’avons pas concernant le «prendre soin» et les activités destinées à ces publics. Pourquoi ne pas amener ces compétences dans nos bâtiments? Tout cela est en réflexion.

AÉ: Le fait de laisser ces personnes rester 24 h/24 n’a-t-il pas pour effet de bloquer des possibilités d’entrée pour d’autres?

SR: C’est un élément auquel il faut faire attention. Les personnes ne peuvent pas rester chez nous indéfiniment. Après une nuit, un assistant social définit un accompagnement et la durée du «report» en fonction de la situation de la personne. On met une certaine pression sur les démarches à accomplir, avec des sanctions possibles, et avec cette idée que les personnes ne doivent pas s’installer dans l’urgence. Nous ne devons pas devenir des maisons d’accueil gratuites…

«Les personnes ne peuvent pas rester chez nous indéfiniment, s’installer dans l’urgence. Nous ne devons pas devenir des maisons d’accueil gratuites…»

AÉ: Parmi vos autres missions, il y a les maraudes. Vont-elles être maintenues?

SR: Nous effectuons des maraudes de type humanitaire, différentes du travail de rue réalisé par des asbl comme Infirmiers de rue ou Diogènes, qui font de l’accompagnement individuel sur le plus long terme. Nous sommes un espace de veille humanitaire qui répond aux appels des citoyens, qui essaye d’amener les gens vers l’hébergement quand il fait -10 °C ou qui peut transférer une personne dans le besoin à l’hôpital. Nous l’avons appris il y a peu, cette mission va finalement pouvoir être agréée. En revanche, nous ne connaissons pas encore précisément l’ampleur de la couverture horaire et géographique de ces maraudes.

AÉ: Vous avez aussi conservé votre projet Housing First (Lire «Housing First: vers la fin du sans-abrisme?», Alter Échos n° 423, mai 2016), une mission qui n’est pas inscrite dans la nouvelle ordonnance. Pourquoi?

SR: Notre projet Housing First s’adresse à des jeunes avec des problématiques d’assuétudes. Nous avons actuellement 30 personnes relogées et suivies. Après une discussion avec le gouvernement régional, nous avons décidé de conserver ce projet car il n’y a finalement pas énormément d’acteurs sur des projets Housing First à Bruxelles. Ce projet nous permet aussi de nous améliorer sur l’accompagnement. Même si je ne suis pas convaincu du fait que ce soit l’unique solution au sans-abrisme: il y a plein de publics pour lesquels ce n’est pas adapté.

AÉ: Vous exercez toujours une fonction de «dispatching» – orientation des sans-abri lors de leurs appels téléphoniques – qui doit être reprise par Bruss’Help (relire aussi l’interview de François Bertrand, directeur de Bruss’Help, et de Martin Wagener, UCL). Comment voyez-vous les choses?

SR: L’objectif du dispatching est aussi d’avoir une meilleure image des besoins. Aujourd’hui, ce travail n’est pas assez professionnalisé. Nous pourrions éventuellement continuer à opérationnaliser ce travail, sous la coordination de Bruss’Help. C’est en discussion. Là où tout le monde est d’accord, c’est que cela doit être amélioré.

AÉ: Quelle place est donnée aux usagers dans l’évolution du projet du Samu?

SR: C’est clairement un enjeu à travailler. Nous devons avoir un système de plaintes plus efficace. Avec le Covid, nous avons beaucoup travaillé la promotion de la santé et la prévention à travers des groupes de parole. On a aussi créé un espace femmes dans le centre pour femmes, où des choses remontent également. Ce sont de premières initiatives. Mais c’est un domaine où on doit vraiment s’améliorer.

AÉ: Cela fait beaucoup de changements en peu de temps. Comment tout cela est-il vécu par les travailleurs?

SR: Je n’ai pas l’impression qu’il y ait une résistance forte au changement. Après le scandale de 2017, le personnel a envie de retrouver une certaine fierté. L’enjeu, pour la direction, est de garder cette culture de l’engagement qui est très forte, tout en nous professionnalisant. Il y a une grande diversité dans nos équipes, du point de vue tant social que culturel, ce qui est un grand avantage dans le contact avec les hébergés. Mais nous devons travailler les profils de poste, les processus de décision, sans tomber dans la froideur ou la bureaucratisation. Il y a en tout cas un besoin de reconnaissance chez les travailleurs qui ont traversé toutes ces crises. Ils ont tenu pendant le Covid malgré le stress et nous n’avons fermé aucun site. Pourtant, le secteur comme le grand public continuent à nous percevoir comme une menace…

En savoir plus

«Un toit pour tous. Et pour toujours», hors-série d’Alter Échos, septembre 2020.

«Crise du Samusocial: l’occasion de rebattre les cartes?», Alter Échos n° 448-449, juillet 2017, Marinette Mormont.

«Budget sans-abrisme à Bruxelles: un gâteau aux parts inégales», Alter Échos n° 417, février 2016, Marinette Mormont.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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