Deux ans après la publication de son premier livre consacré à la police (Yellow Now, 2013), le photographe belge Sébastien Van Malleghem (1986) sort « Prisons »(1), issu de son immersion de trois ans au coeur d’une dizaine d’établissements pénitentiaires du pays. Ses photographies mettent en lumière l’univers lugubre derrière les barreaux. Elles soulignent la détresse et l’ennui de ces hommes et ces femmes « en rupture » mais saisissent aussi quelques instants de joie, à l’instar de cette détenue prenant un bain de soleil dans le préau de la prison. Son reportage, autofinancé, a été publié plusieurs fois dans la presse (L’Obs, 6Mois,…).
A.É. : Après votre reportage sur la police, vous passez « de l’autre côté ». Comment ce passage s’est-il opéré ?
S.V: Pour Police, j’ai fait des reportages de nuit pendant 4 ans. J’ai rapidement compris que le métier était loin des clichés véhiculés dans les médias. Au cours de ce reportage, j’en suis venu à photographier l’interaction de la police avec les citoyens. In fine, je faisais en fait le portrait de Belges et d’une crise sociale. Car quand les gens font des bêtises, il s’agit aussi d’une question sociale. Ils sont à bout. J’ai voulu continuer ce projet sur la justice. Je me demandais ce qu’il advenait des personnes arrêtées par la police, comment on les punissait, comment on enfermait. C’est comme ça que j’en suis venu aux prisons.
A.É. : C’est un long processus, de l’autorisation des directeurs des prisons aux contacts avec les détenus.
S.V: Il m’a fallu 6 à 8 mois de demandes pour recevoir l’autorisation des directeurs. Avec les détenus, j’ai procédé au cas par cas. Je leur ai expliqué que je voulais photographier leur quotidien. Je ne leur demandais pas de me raconter leur passé, ou la raison pour laquelle ils étaient enfermés. Je voulais voir comment se déroule leur quotidien. Je n’ai pas essayé de photographier quelque chose en particulier.
A.É. : Quelle était votre place ? Observateur neutre, photographe engagé ?
S.V: Le photographe et l’humain, ça fait un. Je suis arrivé dans les prisons pour témoigner. C’est un sujet qui me prenait les tripes, je l’ai fait sur fonds propres, je suis donc très engagé. Mon travail est empreint d’empathie. Je suis là pour écouter, observer, comprendre, sans jamais juger.
A.É. : Vous avez choisi de vous rendre dans plusieurs prisons : longues peines, prisons pour femmes, pour détenus mentalement déficients,… Pourquoi ?
S.V: L’objectif était avoir différents angles. J’ai ainsi pu voir qu’on élevait des enfants en prisons, qu’on droguait aux calmants… Je voulais capter une photographie complète de notre système carcéral.
A.É. : Ce reportage vise-t-il à dénoncer, interpeller, témoigner ?
S.V: Je me considère comme un témoin. J’essaye de faire sortir les gens de la réflexion poujadiste sur la punition qui s’arrête à « tu as commis un crime, tu es puni ». Je désire faire réfléchir sur cette « manière de punir » : est-elle au XXème siècle utile et bonne pour la société ? Je ne le pense pas. Pourquoi ne pas créer des prisons dont le but est de faire sortir des gens meilleurs ?
A.É. : Vous vous étiez documenté sur l’univers carcéral avant de commencer votre reportage. Qu’est-ce qui, en pénétrant les murs de la prison, vous a le plus marqué ?
S.V: On s’attend aux barreaux, à l’oppression… Mais j’ai été vraiment surpris par l’oppression psychologique. En prison, le soutien psychologique est pauvre, voire inexistant. Les détenus restent donc avec leur trauma dans leur tête. J’ai fait 3 jours de « test » à la nouvelle prison de Beveren et j’ai déjà pu m’en rendre compte (en 2014, une centaine de volontaires ont été durant un week-end à la prison de Beveren dans le cadre d’une procédure de tests, NDLR). Le traumatisme est décuplé à l’intérieur des prisons. De plus, ils sont complètement pris en charge et perdent toute leur autonomie. Un garde peut décider si le détenu a droit ou non à une visite en fonction de son comportement, il peut jeter un œil sur la cellule pour des raisons de sécurité. Les intrusions sont constantes.
A.É. : Vous photographiez également quelques agents pénitentiaires…
S.V: Je pouvais tout photographier, exceptés les dispositifs de sécurité. J’ai eu plus de difficultés à photographier les gardiens, à cause de leur peur de la presse, leur paranoïa… La corruption existe dans les prisons, certains veulent donc aussi rester discrets. En revanche, j’ai recueilli plusieurs témoignages de gardiens en dehors des prisons et sous couvert d’anonymat pour mon livre.
A.É. : Votre livre contient aussi des témoignages de détenus. Que vous ont-ils confié ?
S.V: Ils parlent de la gestion du temps, de la sexualité, de l’après-prison… L’idée est montrer que ce sont des gens comme vous et moi qui ont vécu une rupture à un moment de leur vie. J’essayais de ne jamais les mettre dans une position inconfortable.
A.É. : L’image qui illustre cet article est particulièrement forte car elle montre l’enfermement mais dégage aussi une certaine gaieté. Quelle est son histoire ?
S.V: C’est la dernière image que j’ai prise. Je suis arrivée dans la prison d’Audenarde. Il faisait beau. Les détenus jouaient au volley. De l’autre côté de la grille, j’ai vu cette gardienne discuter avec le détenu. Je me suis rendu compte de la portée de la photo après.
(1) Sébastien Van Malleghem, Prisons, André Frère éditions, juillet 2015, 39,50€
En savoir plus
Le site de Sébastien Van Malleghem
Le 23 septembre au BOZAR, un débat sera organisé sur les prisons avec Sébastien Van Malleghem et le Ministre de la Justice Koen Geens. Infos à venir.