Le secteur jeunesse, dans sa majorité, voit d’un bon œil l’attitude de concertation adoptée par leur ministre Isabelle Simonis. Quant à leurs revendications, elles concernent notamment le financement de leurs structures et l’évaluation des décrets.
Le secteur jeunesse, c’est compliqué. Telle pourrait être la devise de cet agglomérat de structures plus ou moins connues, plus ou moins fréquentées et qui partagent à tout le moins un socle de valeurs communes autour de la citoyenneté responsable, active, critique et solidaire. Les fameux Cracs.
Comme la quasi-totalité du monde dit socioculturel, le secteur s’estime sous-financé. Et avance souvent de bons arguments pour étayer ce constat. Ils n’hésitent pas à le dire et à le répéter, avec cette logique imparable: «Sans argent au secteur jeunesse, pas de politique jeunesse efficace.» À tel point qu’un observateur peu avisé de ce qu’est le secteur et ses nuances infinies pourrait presque finir par penser que jeunes et secteur jeunesse ne font qu’un.
C’est donc dans ce registre que se situent aujourd’hui certaines fédérations d’organisations de jeunesse (OJ) ou de centres de jeunes (CJ).
Atmosphère austéritaire
La situation n’est pas simple. En centres de jeunes comme en organisations de jeunesse, de nombreux emplois sont financés par les systèmes d’aides à la promotion de l’emploi (APE) en Wallonie et d’agents contractuels subventionnés (ACS) à Bruxelles.
Vu l’atmosphère austéritaire, le monde associatif rogne sur ses budgets. Côté wallon, on sait que la valeur du «point» APE a baissé. Ce qui cause une perte financière directe pour les structures concernées, contraintes de compenser le manque à gagner sur fonds propres. Quant au statut d’ACS, Didier Gosuin, ministre de l’Emploi en Région de Bruxelles-Capitale, envisage de faire un peu le ménage dans ces 10.000 emplois subventionnés, en commençant par la réalisation d’un cadastre précis de l’utilisation de ces fonds (lire, dans ce numéro, notre article: «ACS, un tournant en douceur?»). Inquiétude du côté de l’associatif et donc du secteur jeunesse.
Le financement du secteur dépend aussi de la Fédération Wallonie-Bruxelles, via les décrets sectoriels jeunesse et via le décret emploi dont l’application dépend de la ministre de la Culture.
Quoi qu’il en soit, le secteur est unanime sur un point, qu’il dénonce depuis des années: il faut valoriser l’ancienneté des travailleurs. «Celle-ci n’est prise en compte par aucun décret», nous expliquait Antoinette Corongiu, directrice de la Fédération des maisons de jeunes en Belgique francophone. Conséquence: «Ça amène à virer les vieux à restructurer.»
Les organisations de jeunesse sont régies par le décret du 26 mars 2009. On en compte 92 sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elles visent un public de moins de 30 ans et sont subdivisées en différentes catégories. La plus connue est certainement celle des «mouvements de jeunesse», scouts et autres organisations à foulard. Les mouvements thématiques travaillent à l’interpellation et à la sensibilisation de jeunes ou de professionnels. Les services de jeunesse, quant à eux, peuvent former, informer, animer (une catégorie hétéroclite qui en recoupe d’autres, histoire de simplifier…). Et enfin, on trouve des fédérations. Les fédérations d’organisations de jeunesse et même les fédérations de centres et maisons de jeunes.
Les centres et maisons de jeunes dépendent, eux, du décret du 20 juillet 2000. Là aussi, différents sous-secteurs se côtoient. Les maisons de jeunes (MJ) en sont un. On en compte 148 en Belgique francophone. Les centres d’information jeunesse, autre sous-secteur, sont 29. Enfin, les centres de rencontre et d’hébergement reconnus par la Fédération Wallonie-Bruxelles sont 25.
Passons sur les bisbilles entre les différentes branches du secteur jeunesse (qui sont le plus financés, les organisations de jeunesse ou les centres de jeunes?) pour évoquer une dernière revendication sectorielle concernant le financement. Il s’agit de l’article 44 f du décret sur les centres et maisons de jeunes.
Lecteur, ne fuis pas. L’article 44 f est un enjeu important. Il permet à tout centre de jeunes de demander le financement d’un équivalent temps plein supplémentaire. Aujourd’hui, seuls 20 centres de jeunes bénéficient de ce renfort.
Bien sûr, dans le contexte actuel, l’application du 44 f restera une utopie très abstraite. D’ailleurs, Isabelle Simonis, la ministre de la Jeunesse, ne fait pas mûrir de faux espoirs: «On sait qu’il y a certains dispositifs repris dans les décrets qui sont difficilement applicables aujourd’hui. Je pense notamment à l’article 44 f du décret sur les maisons et centres de jeunes, qui octroie un travailleur complémentaire à ces structures. Si cet article était pleinement appliqué, cela ferait 180 emplois. Vu le contexte, ce n’est pas possible d’appliquer cet article.» Malgré cela, la ministre s’engage à venir «à chaque conclave budgétaire avec une demande pour renforcer le secteur».
L’évaluation du décret: le retour
Il n’y a pas que l’argent dans la vie. Les OJ, les MJ, les CJ sont curieux de ce que sera la politique de madame Simonis. Ces structures, via leurs fédérations, semblent apprécier l’attitude d’écoute et de concertation de leur ministre. Cette dernière a pris soin de tous les recevoir en début de législature puis de leur présenter sa note avant adoption au gouvernement, afin d’éviter les couacs. Et puis le contenu de la note leur est plutôt favorable. On peut même s’interroger sur un point : où sont les jeunes qui ne fréquentent pas les organisations de jeunesse ou maisons de jeunes ? Sont-ils pris en considération dans la politique jeunesse ?
Au-delà, l’un des grands chantiers qui rythmeront la législature sera celui de l’évaluation, puis de la réforme des décrets sectoriels. Prenons le cas des maisons et centres de jeunes. Le décret a 15 ans et prévoit une évaluation de son fonctionnement tous les cinq ans. Une évaluation qui n’a jamais eu lieu. Evelyne Huytebroeck s’y était essayée, mais s’était cassé les dents sur un secteur qui n’appréciait pas la méthodologie. Là, quoi qu’il arrive, la ministre Simonis s’engage à évaluer le décret.
Il s’agira peut-être d’une occasion de revoir l’organisation très complexe de ce secteur, de ses différentes ramifications, commissions consultatives et fédérations. Peut-être aussi l’occasion de remettre au goût du jour la définition de ce que sont ces Cracs, de «redonner des balises». De préciser ce qu’est l’accueil en maison de jeunes qui parfois semble ne pas être suffisamment cadré.
De simplifier les démarches administratives auxquelles est confronté tout le secteur. Ou de questionner les modes de participation des jeunes au sein de ces structures. Sont-ils adaptés à leur époque, à la façon dont les jeunes sont prêts à s’investir (aujourd’hui, les conseils d’administration des maisons de jeunes doivent être composés de 30% de jeunes. Une obligation qui fait débat)?
La ministre a deux grandes options en tête. Soit un vaste décret jeunesse au lieu des deux actuels. Soit plusieurs décrets plus spécifiques. Le décret maisons et centres de jeunes concerne aussi les centres d’hébergement ou les centres infor-jeunes. Ces derniers pourraient avoir leur propre décret.
Mais avant cela, il faudra bien surveiller les positions des uns et des autres. On sait que du côté de la Fédération des centres de jeunes en milieu populaire on préfère ne pas rouvrir les discussions sur l’évaluation du décret sans rouvrir le débat sur… les moyens du secteur. Et la boucle est bouclée.