Selon les chiffres de la Fondation Roi Baudouin1, en Belgique, un volontaire sur cinq aurait moins de 30 ans. Si la jeunesse est active, il demeure de grandes disparités dans le bénévolat. Comme l’indique l’étude, ce sont surtout les citoyens les plus qualifiés, économiquement actifs et socialement bien intégrés qui s’engagent en tant que volontaires (volontaire et bénévole sont synonymes, les deux termes faisant référence à la loi de 2005 relative aux droits des volontaires). Afin que chacun puisse prendre part à la vie associative, il est nécessaire d’œuvrer à une meilleure inclusion. Les besoins sur le terrain sont d’ailleurs bien réels: selon le dernier baromètre des associations2, la pandémie aurait lourdement affecté le nombre de volontaires, ceux-ci restant inférieurs d’un tiers par rapport à l’avant-mars 2020. Alors, quelle place dans le bénévolat pour les jeunes en difficulté et/ou en situation de précarité? Alter Échos a posé la question à trois structures qui font bouger les lignes.
La barrière économique
La Plateforme francophone du volontariat (PFV) a pour objet de susciter, faciliter et encourager les pratiques. Milèna Chantraine (qui est membre du conseil d’administration de l’Agence Alter, éditrice d’Alter Échos, NDLR), secrétaire générale, propose plusieurs pistes de réflexion autour de l’accès au bénévolat. «Les moyens économiques entrent bien entendu en jeu. On peut comprendre que, pour une personne qui ne parvient pas elle-même à finir le mois, s’engager pour la société n’est peut-être pas la préoccupation première!» Comme le rappelle la PFV, le volontariat n’est jamais rémunéré, cependant pour qu’il reste accessible à toutes et tous, la loi du 3 juillet 2005 relative aux droits des volontaires prévoit la possibilité d’un défraiement. Soit la personne est remboursée de ses frais contre remise de pièces justificatives, soit l’organisation opte pour le remboursement forfaitaire plafonné à 40,67 € par jour et 1.626,77 € par an (montants de 2023).
Autre élément essentiel pour favoriser la multiplication des profils: la diffusion de l’information. «On sait par exemple que la réalité diffère fortement du fait qu’on habite en ville ou qu’on vive à la campagne. Aussi, le canal premier du bénévolat reste le bouche-à-oreille. Mais si la personne est isolée, il faut que l’information parvienne jusqu’à elle autrement», continue l’experte.
La secrétaire générale pointe également comme frein la confiance en soi. «Certaines personnes peuvent ressentir une peur au niveau de leurs compétences, se répéter qu’elles ne sont pas capables.» Selon elle, favoriser la confiance et une meilleure intégration des jeunes de tous horizons repose en grande partie sur la responsabilité des associations. «Le bénévolat constitue un levier d’émancipation, un espace où chacun, chacune peut se tester et expérimenter sans crainte. Il est important que les organisations réfléchissent à la manière dont elles se positionnent en fonction des volontaires qu’elles ciblent afin de leur permettre de reprendre de l’assurance en toute liberté.»
Ce sont surtout les citoyens les plus qualifiés, économiquement actifs et socialement bien intégrés qui s’engagent en tant que volontaires
Milèna Chantraine cite en exemple Singa, un organisme qui a comme objectif de créer des liens entre Bruxellois et nouveaux arrivants. «L’asbl apporte une aide administrative à ses membres tandis que ceux-ci s’engagent dans le projet. Par ailleurs, au sein de la PFV, nous avions mené une recherche-action autour du bénévolat des personnes demandeuses d’asile3. C’est bien de dire ‘Il faut de l’inclusion’, mais il est nécessaire de proposer des clés; nous assurons ce rôle d’outillage et de formations aux associations.» En outre, la responsable suggère de repenser le temps de l’engagement. «Pour certaines personnes au parcours plus compliqué, la récurrence est parfois difficile à gérer. S’engager même ponctuellement permet de renforcer un sentiment d’utilité, de rencontrer des gens, de s’impliquer, de faire des découvertes, et ce, tout en apportant une aide à l’association.»
L’apprentissage par les pairs
Les exemples de bénévolat sont multiples (736.000 personnes seraient volontaires au sein d’organisations, soit 8% de la population). Parmi la pléthore de structures d’accueil, nous avons décidé de pousser la porte des «Ambassadeurs d’expression citoyenne». Ici, tous les jours, des jeunes de tous horizons se retrouvent pour débattre, se former, échanger. Dans les différentes salles au nom de femmes engagées règne une ambiance d’émulation. Dans le couloir, une affiche expose les règles juridiques qui encadrent le volontariat. «Nous voulons emmener les Ambassadeurs ‘de l’autre côté’, les accompagner vers leur avenir», introduit Lemane Imeri, responsable de projet. Ici, chacun, chacune s’engage selon la forme souhaitée; tout est possible, tant que l’échange est respecté. «Je pense que l’une des clés repose sur le fait que les jeunes se sentent chez eux. Ils ont le sentiment d’être appréciés et aimés pour leur singularité.» La grande majorité des participants et participantes arrivent au sein de l’association par le bouche-à-oreille. «Quand les jeunes débarquent, souvent, ils ne savent pas ce qu’implique le bénévolat. On leur explique notre fonctionnement de la manière la plus transparente possible et ensuite, ensemble, nous signons une convention.» Les nouveaux venus sont formés par leurs pairs pour devenir à leur tour animateurs d’autres jeunes dans des asbl ou dans les écoles. L’encadrement et la remise en question sont au cœur de tout le processus de participation. Pour Lemane Imeri, il n’y a pas de secret: accueillir les plus fragilisés demande investissement et patience. «C’est comme ça que l’on découvre les plus belles pépites. Avec les jeunes en raccrochage, il ne faut jamais oublier que c’est l’humain qui doit primer.»
Le Service citoyen, un bénévolat intensif
Si le bénévolat peut se vivre ponctuellement, en Belgique, les 18-25 ans ont aussi la possibilité de l’expérimenter intensivement à travers le Service citoyen (SC). Chaque année, des centaines de jeunes s’y engagent pour un programme de six mois à temps plein auprès de l’organisation solidaire de leur choix. L’augmentation de la cohésion sociale et le brassage socioculturel tiennent une place essentielle dans les objectifs de la Platerforme pour le SC. Si la mixité à 100% n’est pas encore atteinte4, les équipes fournissent de multiples efforts pour permettre une ouverture à toutes et tous. Tout comme la PFV, la Plateforme pour le SC insiste sur l’accès à l’information comme condition sine qua non d’une démocratisation du volontariat. Outre les canaux de communication classiques et le bouche-à-oreille, dans le cas du SC, les futurs participants sont aussi orientés via le CPAS, les services sociaux, Actiris, le Forem, Fedasil…
«Avec les jeunes en raccrochage, il ne faut jamais oublier que c’est l’humain qui doit primer.»
Lemane Imeri, Ambassadeur d’expression citoyenne
Selon le rapport d’activités 2022 de la Plateforme, les jeunes NEET («Ni à l’emploi, ni aux études, ni en formation») auraient représenté 77% des jeunes débutants un SC. Et six mois après la fin de leur expérience, ils ne seraient plus que 25% à être considérés comme NEET’s. Le SC semble agir à la manière d’un véritable tremplin, seulement, encore une fois, la question financière peut mettre des barrières à cet effet de propulsion. Les participants perçoivent un défraiement de 10 €/jour, soit environ 200 € par mois pour un temps plein, et, pour certains, cette somme est beaucoup trop faible. «L’indemnité mensuelle moyenne des services de ce type déjà institutionnalisés en Europe est de 550 euros. Le futur cadre légal spécifique au SC, actuellement discuté au gouvernement fédéral, doit donc prévoir des indemnités mensuelles garantissant l’accessibilité du dispositif à toutes et tous, y compris aux jeunes les plus fragilisés sur le plan socio-économique», appuie François Geradin, codirecteur du Plaidoyer et de la Recherche.
La force de l’accompagnement
À l’instar de la PFV et des Ambassadeurs, au sein de la Plateforme pour le SC, on œuvre au développement de la confiance des jeunes afin de leur faire sentir qu’ils apportent une véritable plus-value au projet au sein duquel ils s’engagent. «Pour ce faire, nous déployons un contexte d’accompagnement très spécifique. Chaque participant est dirigé vers des référents adultes tout en bénéficiant du soutien du groupe», explique Nathalie van Innis, directrice opérationnelle et pédagogique. Un appui salvateur, car certains jeunes vivent parfois des situations très complexes dont témoignent les référents de première ligne. «Par exemple, nous avons rencontré récemment une jeune de 20 ans, mère de deux enfants. Elle touche seulement le revenu du CPAS et devra laisser ses petits à la crèche. Nous l’accompagnons pour l’aider à choisir la mission qui correspondra le mieux à ses horaires afin de lui permettre de profiter de son expérience de SC le plus sereinement possible», commente Laurence Hubert, coordinatrice de l’antenne liégeoise.
Que ce soit dans une forme plus classique, de manière ponctuelle ou à travers un SC, le volontariat est et doit rester un espace pour créer des réseaux et des collaborations entre les membres de la société. Aux structures à présent d’œuvrer afin que les jeunes de tous horizons puissent trouver leur place dans ces lieux d’expérimentation hors de la pression de la rentabilité.
- https://kbs-frb.be/fr/le-volontariat-en-belgique-2019-chiffres-cles
- https://media.kbs-frb.be/fr/media/10179/zoom_barometre_associations_FR_2022
- https://www.levolontariat.be/pour-un-volontariat-ouvert-aux-nouveaux-arrivants
- Rapport de l’IWEPS : « Evaluation du service citoyen : développement personnel et cohésion sociale au cœur des changements pour ses jeunes participants », Juin 2023.