Les Roms font-ils l’objet de contrôles discriminatoires aux frontières ? La réponse est oui.
La frontière entre la Serbie et la Hongrie est l’objet de toutes les attentions. C’est par là que passe la majorité des Roms qui, en grand nombre, viennent demander l’asile dans l’Union européenne. Mais aussi des Roms qui viennent simplement rendre visite à un membre de leur famille…
L’équation est complexe pour les gardes-frontières, serbes comme hongrois. Tout citoyen serbe qui respecte les conditions d’entrée dans l’espace Schengen peut y pénétrer sans visa. Pourtant, ils savent qu’il leur faut contribuer à faire baisser le nombre de « faux demandeurs d’asile ». Dès lors, y a-t-il une sorte de « tri » sur base ethnique, vu que la majorité de ces demandeurs d’asile sont Roms ? C’est ce que certaines associations dénoncent. Qu’en est-il vraiment ?
Des « profils à risque » qui abusent de l’asile
En ce début de mois de mars, tout semble calme au poste-frontière de Röszke, en Hongrie. Les gardes-frontières contrôlent les entrées et sorties, comme à leur habitude. Mais leur métier change : ils sont de plus en plus poussés à travailler avec leurs homologues serbes. Echange d’informations et contrôles communs sont au programme.
Depuis quelque temps, ils doivent aussi composer avec Frontex, l’Agence européenne de contrôle des frontières extérieures, qui a installé ici une petite équipe. Thomas Lang en fait partie. Ce policier suédois nous donne le détail de sa mission : « Il y a une grosse pression sur les frontières de l’espace Schengen. Alors nous sommes là pour aider. Pour vérifier les documents, notamment des passagers des lignes de bus, ainsi que le respect des conditions d’entrée dans l’espace Schengen. Beaucoup de Roms voyagent avec leurs passeports et respectent ces conditions. Puis ils se rendent dans des pays de l’UE et demandent l’asile. Mais c’est très difficile de détecter ça. » Chaque jour, environ 15 personnes sont refoulées à la frontière hongroise. Quand on lui demande s’il est au fait des soupçons de contrôles discriminatoires, notamment côté serbe, notre policier hausse les épaules, et jure ses grands dieux qu’il n’a « aucune idée de ce qui se passe côté serbe ». Mais de son côté, « tout le monde est traité correctement », affirme-t-il.
Si les policiers de Frontex et les gardes-frontières hongrois n’évoquent pas des « contrôles sur base ethnique », cela n’exclut nullement toute forme de « profilage ». Une source issue des institutions européennes tente de se dépatouiller de ce méli-mélo. Il évoque les « profils à risque » : « S’il y a un risque d’abus d’asile, on peut informer les gardes-frontières qu’il faut bien vérifier les conditions de Schengen. » Et ce « profil » correspondrait bien aux Roms, non ? Pour le fonctionnaire européen, il n’en est rien, on parle ici d’origine géographique : « L’idée est d’analyser quelles sont les régions susceptibles d’être à l’origine de tels phénomènes. Comme le sud de la Serbie. »
« On était en plein profilage ethnique »
Djordje Jovanovic est un Rom de Serbie. Il travaille en Hongrie en tant qu’activiste des droits de l’Homme. Il a lui-même expérimenté l’arbitraire du contrôle à la frontière… côté serbe : « Je traversais la frontière en voiture avec quatre personnes. Nous étions deux Roms, mon frère et moi et trois non-Roms. Au lieu du contrôle de routine, mon frère et moi avons été interrogés longuement dans le poste frontière. Le garde-frontière me demandait si j’avais d’autres documents d’identité sur moi, pourquoi je souhaitais aller en Hongrie. Il disait que je ne ressemblais pas à la photo sur mon passeport. On était en plein profilage ethnique. Car le garde n’a rien demandé aux trois autres qui sont restés dans la voiture. »
En 2011, la Serbie a modifié les directives qu’elle donne à ses gardes-frontières. La consigne : effectuer davantage de contrôles et ne plus se contenter d’examiner les passeports. Les voyageurs doivent montrer patte blanche en fournissant les documents qui « prouvent » le but du voyage (des réservations ou des invitations à l’hôtel par exemple). Ils doivent aussi posséder des moyens de subsistance suffisants pour leur séjour, posséder un ticket retour. Bref c’est le code Schengen appliqué par un Etat qui ne fait pas partie de l’espace du même nom, sur ses propres ressortissants. Et cela semble produire des résultats.
Le ministère de l’Intérieur serbe estime qu’environ 5500 Serbes auraient été refoulés de leur propre frontière.
Une telle pratique est-elle interdite en droit international ? Si Amnesty International rappelle le « droit de toute personne à quitter son propre pays », consacré à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, d’autres nuancent le propos. Pour Philippe De Bruyckère, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, ce droit est sujet à débat dans le gotha des juges. Il ne lui semble donc « pas impossible » que la Serbie mette en place des contrôles à la sortie de son territoire, basés sur une série de critères. « Par contre, si on vise les Roms, là, ce serait particulièrement discriminatoire et, bien entendu, vraiment interdit. »
En juillet 2012 Ajrija Denir part en minibus avec deux de ses enfants et une autre famille direction l’Allemagne pour y voir sa fille aînée. Arrivée au poste-frontière serbe, les choses se passent très simplement. Le garde-frontière réclame une petite contribution de dix euros par tête pour un passage facile. La somme ayant été acquittée, le garde-frontière laisse passer. Arrivée à la frontière hongroise, les choses se compliquent pour Ajrija. « Les gardes-frontières ont vu quelque chose sur mon passeport. Ils sont allés faire des vérifications et ont retrouvé que j’avais été expulsée d’Autriche en 1985. » Du coup, Ajrija et ses enfants doivent rentrer à Belgrade. Ce qui est étrange car, en Europe, les interdictions d’entrée dans l’espace Schengen suite à une expulsion ne peuvent généralement pas dépasser cinq ans.
Discrimination oui, mais pas « mal intentionnée »
En janvier dernier, la question des contrôles frontaliers sur base ethnique n’était pas tranchée par Sian Jones, chercheuse au bureau londonien d’Amnesty International. « On annonce 5000 personnes empêchées de sortir de Serbie en quelques mois. Quelles sont les raisons qu’on donne à ces gens pour les empêcher de quitter leur pays ? Comment ces contrôles frontaliers ont-ils lieu ? Il n’y a aucune transparence. Des associations locales ont collecté des cas de profilage ethnique. Nous suspectons donc les contrôles de sortie de la Serbie d’être discriminatoires sans le savoir pour sûr. » Parmi ces ONG il y a le Centre régional pour les minorités. Jovana Vukovic, la directrice, admet qu’il n’est pas aisé de récolter des témoignages « car les Roms ont souvent intériorisé le racisme ambiant. Ils trouvent que ce qui leur arrive est normal ». Elle a tout de même rencontré plusieurs « Roms à qui on pose une liste de questions à la frontière et qu’on renvoie ».
Refoulements en grand nombre. Trop de demandeurs d’asile roms aux yeux des autorités. L’équation semble évidente. Finalement, c’est un diplomate de la représentation serbe auprès de l’Union européenne qui confirmera les inquiétudes des associations, dans une déclaration exempte de toute langue de bois : « Nous contrôlons toute personne soupçonnée d’être un potentiel demandeur d’asile. Comme plus de 90 pour cent sont d’origine rom ou albanaise, il est naturel qu’ils soient contrôlés un peu plus que les autres. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit pas d’une discrimination malintentionnée ».
« Avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles ».