Il y a deux mois, Alter Échos offrait une plongée au cœur du service Tracing de la Croix-Rouge1 de Goma. Quelques semaines plus tard, même service,même organisation humanitaire, mais à Bruxelles cette fois. Description des activités d’un service qui parfois manque de temps pour développer de nouvelles méthodesde recherche.
Trois bureaux au cœur du « bunker » de la Croix-Rouge, à Uccle, abritent les employés du service Tracing. Ils sont cinq et leur principale tâche estd’œuvrer au maintien ou à la création de liens familiaux, lorsque le contact s’est rompu pendant un conflit, une catastrophe naturelle ou une crise humanitaire. Beaucoup dedemandes proviennent de migrants qui, au cours de leur exil, ont perdu la trace de ceux qui leur sont proches. Le service Tracing, grâce au réseau mondial du CICR et dessociétés nationales de la Croix-Rouge, effectue des recherches. La transmission de messages entre membres d’une même famille fait aussi partie des tâches du service, toutcomme l’aide au retour volontaire ou l’assistance aux démarches de regroupement familial. Les missions semblent clairement définies, mais elles évoluent doucement. Quant autravail quotidien, il diffère de celui du même service à Goma.
Développer les enquêtes de terrain
« Le travail de recherche est plus administratif en Belgique qu’en République démocratique du Congo, nous prévient Isabelle Van Bunnen, qui dirige le service.Lorsqu’une demande nous provient d’un pays d’Afrique et que la personne recherchée est demandeuse d’asile en Belgique, nous la retrouvons automatiquement, car nous avons accès auregistre des étrangers et au registre national, ainsi qu’aux données administratives des communes. » Si la situation inverse se présente et qu’un migrant cherche la traced’un proche dans son pays d’origine, et que ce pays connaît un conflit ou une situation chaotique, le travail de la Croix-Rouge s’apparentera plus à de l’investigation de terrain.L’employé de la Croix-Rouge cherchera la dernière adresse connue de la personne puis, à partir de cette adresse, ira « fouiner » aux alentours, eninterrogeant les voisins, les proches.
Bruxelles, les deux cas de figure se présentent dans les mêmes proportions : demande en provenance d’une société nationale de la Croix-Rouge ou demande d’un migrantprésent en Belgique à la recherche de sa famille. Les représentants de la Croix-Rouge tiennent à évoquer leur fameuse « neutralité »qui implique que le service est ouvert à toute personne, indépendamment de son statut. Un réfugié comme un sans-papiers peut chercher à renouer le contact avec safamille. Néanmoins, lorsque des demandes proviennent de l’étranger et que la personne recherchée est sans-papiers en Belgique, il est extrêmement difficile de la retrouver,car les traces administratives sont inexistantes ou peu fiables. Isabelle Van Bunnen affirme que la Croix-Rouge a l’intention de tisser des liens avec les communautés de migrants pourfaciliter les recherches de « clandestins » et développer les enquêtes de terrain. Mais pour y parvenir, l’équipe du service Tracing a besoin de temps, et cetemps est rogné par d’autres tâches à l’image de l’assistance au regroupement familial ou de demandes en provenance de tuteurs.
Même pour les vieux conflits
La Seconde Guerre mondiale ou la guerre civile espagnole occupent encore les employés de la Croix-Rouge. Une demande sur quinze adressée au service Tracing, à Bruxelles, concerneces conflits. Si quelqu’un désire connaître l’histoire de son grand-père disparu, il peut s’adresser à la Croix-Rouge à condition que la disparition soit directementen lien avec la guerre. Selon Audrey Colmant, du service Tracing « les recherches sur les vieux conflits fonctionnent souvent mieux que des recherches actuelles, par exemple au Congo, caril existe beaucoup d’archives ». On trouve en Allemagne, à Bad Arolsen, un « service international de recherche » où toutes les archives de la Seconde Guerremondiale sont réunies.
Trouver la famille d’un mineur étranger non accompagné (Mena) fait partie des objectifs de la Croix-Rouge, mais cette mission s’avère parfois complexe. Tout d’abord, la partde sollicitations en provenance de Mena est importante : 25 % des recherches effectuées par le service Tracing concerne des mineurs non accompagnés. Les tuteurs sont souventà l’origine de ces demandes, car la recherche de la famille du mineur fait partie de leur mission, et l’absence de parents dans le pays d’origine est souvent le gage de l’obtention de papiers.La Croix-Rouge offre d’ailleurs des formations à chaque nouveau tuteur, pour qu’ils comprennent bien le travail du service et évaluent dans quel cas l’utiliser.
Beaucoup de ces demandes de recherche n’aboutissent pas. Les raisons de cette relative inefficacité sont multiples : réseau sur place non fonctionnel ou mémoiredéfaillante du mineur sont souvent avancées. Mais, selon Isabelle Van Bunnen, « il existe aussi un phénomène indéniable : certains mineurs ontencore des parents, voire même des contacts avec eux et ne souhaitent pas qu’on les retrouve. Dans ce but, ils lancent les recherches sur de fausses pistes ». Ces« fausses pistes » et cette utilisation systématique du service Tracing par les tuteurs semblent poser problème, car entamer des recherches vaines estévidemment frustrant pour les employés de la Croix-Rouge.
Le regroupement familial pèse sur le fonctionnement interne
Dans cette quête de temps par le service Tracing, d’autres activités, comme l’aide au regroupement familial, semblent peser sur le fonctionnement interne. Assister desréfugiés ou des étrangers dans leurs démarches de regroupement familial est une tâche dévolue au service Tracing « dans un souci decontinuité ». Lorsque le service a retrouvé un membre de la famille, il peut sembler logique que le suivi implique de constituer le dossier pour que les membres de la famillese retrouvent au complet. Mais quelle est la plus-value de la Croix-Rouge en la matière ? Le travail ne diffère pas de ce que font d’autres services sociaux, comme Caritas ou Capmigrants. Isabelle Van Bunnen insiste sur le fait que ce travail administratif prend désormais plus de temps que les recherches : « Si nous souhaitonsrééquilibrer la charge de travail et développer de nouvelles méthodes de recherche en Belgique, nous allons orienter davantage les demandes de regroupement familial versces autres associations. » Il faut dire qu’entre la législation très contraignante, les procédures qui durent en moyenne plus d’un an et les nombreuses relances desfamilles elles-mêmes, l’aide au regroupement familial est loin d’être une sinécure.
Vous avez un nouveau message
Outre les recherches et le regroupement familial, le service Tracing travaille au retour volontaire et à la transmission de « mess
ages ». La correspondance familiale,assurée par la Croix-Rouge, est vieille comme le monde, à peu de choses près. En 1870, lors de la guerre franco-prussienne, des messages entre proches s’échangeaientgrâce à l’entremise des adeptes d’Henri Dunant. Dans des pays ravagés par la guerre, la Croix-Rouge, grâce à ses ramifications internationales, facilite le lien entreles membres dispersés d’une famille en transmettant ces messages dont le contenu ne doit aborder que des sujets privés et familiaux. Ce « monument » de l’histoirede la Croix-Rouge tombe peu à peu en désuétude. Désormais, même en période de conflit le contact est gardé via les courriels ou un GSM, les messages dela Croix-Rouge sont d’ailleurs souvent utilisés comme un premier contact permettant d’échanger les coordonnées des membres de la famille. Ce mode de correspondance gardetoutefois sa pleine pertinence pour les prisonniers de guerre : « Nous les avons encore utilisés récemment pour un détenu de Guantanamo dont la famille vit enBelgique », témoigne Audrey Colmant du service Tracing.
Enfin, il arrive que le service reçoive des demandes de retour volontaire – qui peut aussi correspondre à la logique du rétablissement des liens familiaux – maisjusqu’à présent la Croix-Rouge ne s’est pas trop investie dans cette logique et relaie les demandes vers l’Organisation internationale des migrations.
En 2008, le service Tracing de la Croix-Rouge a suivi 315 dossiers « en cours » et ouvert 385 nouveaux dossiers parmi lesquels on comptait 234 nouvelles demandes derecherche. Les pays d’origine des demandeurs sont très variés, mais on note une surreprésentation de Congolais, de Guinéens et d’Afghans.
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