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Regard critique · Justice sociale

Logement

Services d'hébergement : renforcés ou déforcés ?

Les services d’hébergement sont incités à offrir davantage de lits aux mineurs en danger. Certains pensent que l’objectif ne sera pas atteint.

03-02-2012 Alter Échos n° 331

Le plan d’Evelyne Huytebroeck pour les mineurs en danger vise à renforcer le secteur et à augmenter le nombre de prises en charge. Les services d’hébergement SAAE (service d’aide et d’action éducative) font partie de ce dispositif complexe. Certains affirment que l’objectif visé ne sera pas atteint.

Le service d’aide et d’action éducative « Feu ouvert » à Filot1, sur la commune de Hamoir, est caché dans une petite vallée des Ardennes. Un havre de paix apparente. Ce service d’hébergement peut assurer quinze prises en charge de jeunes en danger, de 3 à 18 ans. Son directeur, Jean-Paul Rossius, ancien président de l’Interfédération de l’Aide à la jeunesse, a répondu à l’appel à candidature lancé par la ministre de l’Aide à la jeunesse pour renforcer le secteur. Il bénéficie donc d’un renfort de personnel, un mi-temps supplémentaire dans l’équipe d’encadrement. Mais attention, ce renfort n’est pas inconditionnel : chaque SAAE qui bénéficie du plan de renforcement s’engage à ce que 92 % de leurs lits soient occupés. Dans le même temps, les missions de « réintégration familiale », donc de suivi individuel hors les murs de l’institution, devront être raccourcies à six mois au lieu d’un an. « C’est un recentrage de la mission des services d’hébergement sur la mission d’hébergement », explique Alain Lising, conseiller de la ministre de l’Aide à la jeunesse.

En gros, il s’agit de dire aux SAAE : le suivi dans le milieu de vie doit être davantage l’affaire des services dont c’est la spécialité. Il faut savoir que les SAAE ont l’obligation décrétale d’assurer au minimum 80 % de prises en charge, par rapport à leur capacité maximale. Ces prises en charge peuvent être divisées en prises en charge résidentielles et en suivis hors de l’institution, dans le milieu de vie, dans un but de réintégration familiale. Une forme de récompense pour certains services. Après avoir hébergé un mineur en danger, le travail effectué se termine sur une note positive : la réintégration dans la famille. Le seul problème, c’est que l’institution, dans la plupart des cas, conserve un lit vide, qui est celui du mineur pour lequel on effectue le travail de réintégration. Imaginons un SAAE qui se contente d’assurer a minima l’obligation décrétale de 80 % de prises en charge. Si ces 80 % sont décomposés en 20 % de réintégration familiale et 60 % d’hébergement… alors c’est bien simple, 40 % des lits sont inoccupés. Ce cas hypothétique reflète une tendance : il y a des lits vides en institutions. L’idée est donc de les remplir.

Un renfort qui ne créera pas les effets escomptés

Au « Feu ouvert », on est bien content d’avoir reçu l’appui d’un mi-temps supplémentaire. Cela va-t-il permettre d’augmenter le nombre de prises en charge ? « Cela va plutôt éviter d’en diminuer le nombre », témoigne le directeur de l’institution. Le SAAE « Feu ouvert », d’après son directeur, dépasse depuis des années les 100 % de prises en charge. Des suivis de longue durée, pour des mineurs qui traversent de graves difficultés. Quant au travail de réintégration en famille, il est marginal dans les activités de l’institution. C’est ce que tente d’illustrer Jean-Paul Rossius : « Nous sommes en ce moment à 100 % de notre capacité. Nous suivons 15 jeunes. Sur ces 15 jeunes, 14 étaient déjà présents l’an passé. Et parmi ces 14, un jeune est suivi en réintégration familiale. Tant que je ne suis pas sûr que cette réintégration familiale va réussir, je garde le lit pour récupérer le jeune en cas de problème. »

Faisons donc quelques calculs très simples : « Feu ouvert » est toujours comble. Ce SAAE remplit depuis belle lurette le critère des 92 % de taux d’occupation des lits. Quant aux réintégrations en famille, elles ne sont pas légion. Par conséquent, les critères de la ministre étaient déjà remplis avant l’appel à candidature. Le SAAE bénéficie d’un renfort – certes essentiel pour les activités de l’institution – mais qui ne créera pas l’effet escompté, celui d’une augmentation du nombre de prises en charge. Mais pour Jean-Paul Rossius, cet apport n’est que justice. « Au début, l’idée défendue par le cabinet de la ministre était d’augmenter le taux d’occupation des SAAE qui avaient beaucoup de lits vides. Cela revenait à donner un renfort à ceux qui étaient confortables alors que moi, qui suis à 100 %, je n’aurais rien eu », s’exclame-t-il.

Le nouveau président de l’Interfédération de l’Aide à la jeunesse2, Vincent Dufour, est conscient de ce risque de louper le coche. « Oui, certains services bénéficient du plan de renforcement alors qu’ils remplissaient déjà le critère des 92 % de lits occupés. Mais d’autres devront faire l’effort. Il est trop tôt pour tirer des conclusions. Une évaluation aura lieu à la fin de l’année qui permettra ensuite d’adapter la mesure. » Il n’empêche, certains sont dubitatifs sur le plan de renforcement des SAAE. C’est le cas de Jean-Luc Rivière, directeur du SAAE La Goudinière à Froyennes3. « Je comprends qu’ils cherchent des lits supplémentaires. Mais je crains que les effets obtenus ne soient pas ceux recherchés », dit-il. Le directeur de La Goudinière estime que ce plan se heurte à une réalité complexe. Il donne l’exemple de son institution : « J’ai 33 lits divisés en deux implantations, pour des adolescents. Nous sommes aussi agréés pour des mises en autonomie en kots ou des réintégrations familiales. Si on cherche à faire du remplissage de lits, ça ne sera plus gérable. Mettre quinze ados difficiles ensemble, ça ne tient pas deux jours. Je me sens donc un peu piégé, car les petits SAAE qui s’occupent d’enfants étaient déjà remplis à plus de 90 %. Ils vont avoir un mi-temps en plus, et ils en ont certainement besoin. Mais on renforce des SAAE qui ne devraient pas forcément l’être. »

Le conseiller de la ministre connaît bien ces objections. Il concède que « l’impact de la mesure est difficilement évaluable pour l’instant. Il faudra attendre la fin de l’année. Néanmoins, cette mesure devrait permettre de créer 14 000 journées de prises en charge intra-muros supplémentaires. On souhaite que cela crée une dynamique dans les SAAE pour davantage investir la mission d’hébergement. On espère qu’il y aura plus de rotation dans les services. »

La crainte d’un retour en arrière

La crainte de certains acteurs qui s’expriment à demi-mot, c’est que l’on assiste à un retour en arrière. Depuis 1991 et l’adoption du décret de l’Aide à la jeunesse, on mise bien plus sur le travail dans le milieu familial que sur l’hébergement. Certains pensent que désormais la tendance s’inverse et craignent qu’on se mette à négliger le travail en milieu de vie. Mais pour Jean-Paul Rossius, il est plus que nécessaire d’investir dans l’hébergement : « Quand le travail en famille est faisable, il est privilégié. Donc les situations qui arrivent en SAAE sont des situations plus difficiles, plus lourdes. Cela correspond aussi à une tendance plus générale de la société. Il y a des enfants, même en bas âge, de plus en plus marqués. On revient à des placements longs pour de jeunes enfants. » Quant à Vincent Dufour, il constate que ce plan ne recueille pas l’unanimité : « Il y a eu une évolution quasi philosophique des SAAE. Les institutions d’hébergement se sont ouvertes, elles travaillent dans la continuité, grâce à la réinsertion familiale. Et nous ne voulons pas perdre ces missions même si la mission première est l’hébergement. » Pour Alain Lising, il ne faut pas parler de « retour en arrière », mais uniquement de « recentrage », comme mentionné ci-dessus. Il rappelle par là la complémentarité de l’hébergement et du suivi dans le milieu de vie. « Le renforcement des SAIE et des COE (cfr encadré), qui accompagnent les mineurs dans leur milieu de vie, est complémentaire au renforcement de l’hébergement », conclut-il.

Un plan de renforcement du secteur

Le 10 janvier 2012, la ministre de l’Aide à la jeunesse a fait le point sur son plan de renforcement du secteur. L’an passé, Evelyne Huytebroeck
avait annoncé la création de 500 prises en charge supplémentaires pour les mineurs en danger d’ici 2014. En effet, le secteur est saturé. Des mineurs en danger doivent attendre 6 à 8 mois pour être pris en charge.

Selon Evelyne Huytebroeck, « en janvier 2012, 400 nouvelles prises en charge ont déjà été créées. »

Ces nouvelles prises en charge se répartissent comme suit :

– Dans le milieu de vie

Les Services d’aide et d’intervention éducative (SAIE) sont renforcés et pourront assurer une centaine de prises en charge supplémentaires. Les centres d’orientation éducative voient aussi affluer du renfort : 18 emplois à mi-temps qui devraient permettre 217 « nouvelles interventions psychosociales ».

– En dehors du milieu de vie

Le placement familial est une priorité de la ministre. Outre la campagne de recrutement de nouvelles familles lancée en 2011, la ministre annonce qu’un budget « de 500 000 euros destiné à renforcer les services de placement en famille d’accueil va permettre à ceux-ci (…) d’encadrer 98 familles supplémentaires. »

Enfin, les SAAE seront aussi renforcés. « 62 emplois à mi-temps ont été créés dans 53 SAAE », peut-on lire dans le dossier de presse. Ce qui devrait permettre que 40 lits supplémentaires soient occupés toute l’année. Soit « 14 000 journées de prise en charge intra-muros ».

1. Feu ouvert :
– adresse : rue En Strée, 6 à 4181 Filot
– tél. : 086 38 84 96
2. Interfédération de l’Aide à la jeunesse :
– adresse : chaussée de Boendael à 1050 Bruxelles
– tél. : 0495889669
– courriel : interaaj@gmail.com
3.La Goudinière, :
– adresse : chaussée de Courtrai, 6 à 7503 Froyennes
– tél. : 069 55 63 29
– courriel : m.nef.goudi@swing.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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