Accusé par la Justice d’avoir fourni des filles dans l’affaire du Carlton, Dominique Alderweireld, alias «Dodo la Saumure», fait la une de l’actualité depuis le début du mois. Mais c’est pour un sujet moins médiatique que le procès DSK qu’Alter Échos s’est intéressé au souteneur. En novembre dernier, il ouvrait une maison close pour personnes handicapées et seniors à Tournai. «On n’est pas des anges», la maison close dont il est question, tient son nom d’un documentaire qui démonte l’idée selon laquelle les personnes handicapées seraient des «anges asexués» qui n’éprouveraient aucun désir. L’occasion de revenir sur ce sujet tabou.
«Je ne sais pas d’où vient cette idée reçue mais les gens trouvent inimaginables que des personnes handicapées aient des besoins sexuels», raconte Gianni Arents, éducateur au home Valère Delcroix de Tournai, spécialisé dans la prise en charge de personnes souffrant d’un handicap mental léger à modéré. Selon Nina De Vries, assistante sexuelle allemande qui s’exprime ici sur son site internet, la gêne qu’occasionnent la sexualité et le handicap viendrait du fait que la société en général considère les rapports sexuels comme «quelque chose de spectaculaire» et la vie comme «limitée à une certaine forme». On idéaliserait donc les rapports sexuels, de même que le corps humain qui devrait être ni trop grand, ni trop petit, ni trop gros, ni trop maigre et surtout pas malformé.
Handicaps moteurs et handicaps mentaux sont fondamentalement différents. Dans le cas du handicap mental, plusieurs problèmes se posent au sujet de la sexualité. Tout d’abord, celui de l’affectivité: la personne handicapée pourrait voir en certains gestes une preuve d’affection alors qu’il n’en est rien. Ensuite, il faut s’assurer que certaines règles soient bien assimilées afin de prévenir tout débordement. Dans le cas du handicap moteur, quand aucun handicap mental n’entre en jeu, le frein essentiel à une sexualité épanouie est celui de la barrière physique. La personne est parfois incapable de se toucher elle-même, sans parler de l’entourage qui peut être réticent à se laisser aller à une relation autre que purement amicale avec tout ce que cela implique.
Maison close ou assistance sexuelle?
Afin de remédier à un manque affectif et/ou sexuel, des «aides» existent: maisons closes ou encore assistance sexuelle. Ces procédés sont différents bien que la frontière entre les deux soit parfois floue, comme dans le cas de l’établissement récemment ouvert à Tournai où les prostituées sont issues du milieu médical et où le rapport sexuel n’est pas un passage obligatoire.
Fréquemment confronté à la question de la sexualité de ses résidents, M. Arents s’exprime. «Nous avons pris contact avec Dominique Alderweireld qui nous a reçu, raconte-t-il. Monsieur Alderweireld nous a bien précisé qu’il ne s’agissait pas pour lui d’altruisme mais simplement de faire son travail. Il nous a expliqué qu’il faisait son job mais qu’il essayait de le faire avec conscience et que les personnes qui accueillent les personnes handicapées ne devraient pas être n’importe qui.» L’objectif est que le client ressorte heureux, rapport sexuel ou non. «Monsieur Alderweireld accorde plus d’importance dans la présence, la parole, la gentillesse», poursuit M. Arents. Ce type de maison reste cependant rare et, en règle générale, une plus grande distinction sépare l’assistance sexuelle de la prostituée. «La prostituée vient assouvir une pulsion sexuelle alors que l’assistant sexuel écoute le corps, l’entend, le traite avec douceur et tendresse sans aller directement au sexe. Il s’occupe du corps dans son entier», peut-on lire dans un numéro de Faire Face, magazine français traitant du handicap et consacré à l’assistance sexuelle. En Belgique, cette pratique n’est pas reconnue comme un métier, mais elle l’est en Allemagne, aux Pays-Bas ou encore en Suisse où des formations sont d’ailleurs proposées. Quant à la prostitution, bien qu’elle ne soit pas punissable en Belgique, ce n’est pas le cas du proxénétisme puisque l’article 380 du code pénal belge punit «quiconque aura tenu une maison de débauche ou de prostitution».
Des solutions existent donc mais ne sont pas acceptées de la même façon selon les pays ou encore selon l’institution qui s’occupe de personnes handicapées. «Chez nous, la sexualité est admise, explique M. Arents. Les couples sont admis, il y a des gens qui se sont mariés.» Cependant, «le thème de l’affectif, et surtout de la sexualité, c’est quelque chose qui dérange en général. Ça dérange les éducateurs, les parents, les politiques parce que c’est être, quelque part, confronté soi-même à la sexualité», raconte-t-il. Selon lui, cela entraîne un autre problème: certains éducateurs mal à l’aise face au sujet éviteraient les questions des résidents et les renverraient à une autre personne pour trouver une réponse. «Comme il y a une difficulté dans la parole, les personnes handicapées vont chercher leurs informations chez des copains ou dans certains films pornographiques qui ne représentent absolument pas la sexualité», poursuit M. Arents.
Afin de remédier à cela, une charte a été créée au sein du home avec l’aide d’une étudiante en assistance sociale dont le sujet du mémoire portait sur la sexualité des personnes handicapées. «En fonction du degré du handicap, explique M. Arents, on peut ou ne pas avoir une conversation sur la sexualité avec les pensionnaires.» Le stade modéré du handicap mental, par exemple, rend la communication difficile entre résidents et éducateurs. L’instauration d’une charte simple, vulgarisée par des dessins représentant différentes situations et compréhensible par tous, peut donc être un moyen de s’assurer qu’aucun heurt ne soit commis. «On se rend compte qu’il y a un réel retard au sujet de cette question, regrette M. Arents. En comparant avec les autres homes, je réalise qu’on n’est vraiment nulle part.»
Des services onéreux
Du côté des parents, le sujet est aussi tabou. «Aux yeux de la famille, l’enfant porteur du handicap est souvent considéré comme un ange asexué», commente M. Arents. «Nous avons reçu une maman qui était tout étonnée que sa fille puisse avoir des rapports sexuels avec son petit ami qui vivait avec elle depuis des années et des années. Pour elle, on se tenait la main et c’était déjà bien beau», se souvient-il. À propos de l’ouverture de la maison close «On n’est pas des anges», une enquête a été réalisée auprès de parents dont les enfants sont résidents du home. «Le peu de parents qui ont répondu à nos questions ont vu ça d’un bon œil parce que eux-mêmes étaient démunis, ne savaient pas très bien comment réagir et répondre à la sexualité de leur enfant», explique M. Arents. La plus grosse crainte des parents, c’est que leur propre enfant ait lui-même un enfant. Au home Valère Delcroix, tandis que la contraception est obligatoire chez les filles, le problème est tout autre chez les garçons. «Il est difficile d’expliquer comment mettre un préservatif quand certains résidents ont du mal à comprendre comment enfiler des chaussettes», commente M. Arents.
Les services sexuels garantis par les maisons closes ou encore l’assistance sexuelle ont bien évidemment un coût qui est difficile à couvrir pour les homes. «Le home doit mettre un frein aux demandes parce que financièrement, elle ne peut se permettre de répondre oui tout le temps», témoigne M. Arents. Or, dans le cas d’un handicap où la personne n’aurait d’autre choix que de requérir aux services d’une autre afin de subvenir à ses propres besoins, est-ce que cela pourrait être considéré comme une aide à une personne dans le besoin et donc être subventionné? Après tout, comme le décrit l’OMS, «la sexualité est un aspect central de la personne humaine tout au long de la vie et comprend le sexe biologique, l’identité et le rôle sexuels, l’orientation sexuelle, l’érotisme, le plaisir, l’intimité et la reproduction».
Un débat ouvert
À ce sujet, madame Ludivine Dedonder, échevine de la Personne handicapée à Tournai, s’exprime. «M. Alderweireld m’a contactée, me disant d’ailleurs que je ne devais pas avoir peur. Il m’a exposé sa démarche et voulait surtout recevoir des conseils afin de savoir comment ouvrir un établissement qui serait dans les normes pour accueillir des personnes souffrant d’un handicap. Ce qui m’a intéressée, c’est l’aspect philosophique et non technique du projet, donc le fait qu’on reconnaisse un besoin, que l’on réponde à une attente. L’aspect technique, la question du personnel, etc., ça n’est pas de mon ressort. Aussi, la Ville de Tournai n’a pas demandé d’ouvrir cet établissement. Il n’y a d’ailleurs pas d’autorisation. Certes, les riverains se sont plaints mais on a remarqué que, une fois ouvert, l’établissement n’apportait pas de nuisances.» À propos d’éventuels subsides, Mme Dedonder explique que la commune n’est présente que pour «épauler la personne handicapée» et non pas pour fournir une aide financière.
Anne Spitals, directrice du secteur associatif de la Mutualité Solidaris, résume la situation: «Au sein de Solidaris, un groupe de travail se penche sur la question et étudie les positions d’autres pays afin de voir comment on pourrait réagir en Belgique, de façon à avoir un point de vue global. Aucune réponse n’a encore été établie. C’est une question qui porte au débat parce que, certes, il est important de rester ouvert et chacun a le droit d’avoir une sexualité épanouie, mais il y a là le problème de la prostitution qui n’est pas cautionné par les Femmes prévoyantes socialistes.» La Mutualité libérale estime quant à elle que «l’ouverture de cette maison close, à Tournai, pour personnes handicapées est une bonne initiative car elle répond à des besoins réels», en ajoutant que «les tabous relatifs à la sexualité des personnes handicapées devraient disparaître». Elle admet cependant que «la question d’une intervention financière pour ce genre de services n’a pas encore été abordée».