Lors d’une conférence organisée par la Fondation Anna Lindh, le cyberdissident tunisien Sofiène Bel Haj a donné un aperçu du rôle qu’ont eu lesréseaux sociaux lors de la révolution tunisienne. Une lecture passionnante de l’Histoire par l’un de ses acteurs.
« La cyberdissidence sans actions sociales sur place n’aurait pas pu faire grand-chose », raconte Sofiène Bel Haj, figure du cybermilitantisme tunisien. Nous donnionsde l’ampleur aux événements, nous étions une caisse de résonance. »
C’est une sacrée histoire de démocratie qui a été contée le mercredi 14 septembre, lors d’une conférence organisée par la fondation Anna Lindhà Bruxelles, intitulée « le rôle des nouveaux médias dans les révolutions arabes ». L’histoire de la chute du régime Ben Alidétaillée par l’un des acteurs de la révolution, Sofiène Bel Haj, par ailleurs en stage à Alter Echos.
C’est avant tout l’histoire d’un piège que s’était tendu lui-même le despote tunisien. Si les réseaux sociaux ont eu un tel poids dans la révolution, c’est que denombreux Tunisiens possédaient un ordinateur. « Ben Ali a beaucoup misé sur l’informatique, explique Sofiène Bel Haj. Il a proposé des ordinateurs à desprix défiant toute concurrence dans le but de récupérer l’argent via les fournisseurs Internet qui appartenaient à sa famille. » C’était l’époquedu « 1.0 », un internet peu participatif. Avec l’apparition du « 2.0 », les internautes se sont mis à construire eux-mêmes l’information etcette évolution a été « redoutable ».
A l’époque, dans un contexte de presse muselée, on entendait bien peu de voix dissidentes en Tunisie. Pour Sofiène Bel Haj, ce silence général étaitjustement une opportunité : « Le système de la peur nous a servi car les thèmes des droits de l’homme, les informations dérangeantes que nous diffusionsfaisaient du vacarme et nous donnaient une crédibilité. » La page Facebook créée par Sofiène Bel Haj, sous le pseudonyme de Hamadi Kaloutcha,« I have a dream, une Tunisie démocratique », a touché un auditoire de plus en plus large. Les cyberdissidents sont devenus une menace tangible pour la dictature.La preuve : les dix dernières arrestations du régime concernaient neuf activistes blogueurs.
« Les réseaux sociaux n’ont pas tout fait »
Bien sûr, les réseaux sociaux n’ont pas tout fait, mais leur poids ne peut être contesté. Sofiène Bel Haj l’affirme : « En 2008, lorsque le bassinminier de Gafsa a connu une insurrection étouffée par le gouvernement, il y avait des vidéos sur Internet mais les gens n’osaient pas les partager. En 2010, alors que lesréseaux sociaux s’étaient développés, les gens partageaient et diffusaient les informations, nous avions réussi à vaincre la peur. »
Malgré les intimidations, la censure et les arrestations, le mouvement s’est amplifié, permettant de libérer l’esprit critique, la discussion et l’échange, principesfondateurs des réseaux sociaux. Puis vint l’épisode Wikileaks. Les cyberactivistes tunisiens sont entrés en contact avec Julian Assange qui leur confia les câblesdiplomatiques rédigés par l’administration américaine sur le régime tunisien. Sofiène Bel Haj les a traduits en français et en arabe. En trois jours, sa pageFacebook reçoit 170 000 visites, un record. A tel point que Sofiène est arrêté rapidement. « Ces câbles sont tombés à pointnommé, se souvient-il. Ils ont confirmé ce que disaient les gens. Le gouvernement n’avait plus de légitimité interne ni externe, il ne manquait plus que l’étincelleet elle a eu lieu avec l’immolation de Mohamed Bouazizi. »
Reste maintenant à construire l’avenir. Sofiène Bel Haj siège à la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Il constate d’oreset déjà de nombreux changements. La société civile s’organise. En quelques mois, cinq cents associations ont fleuri. Une abondance qui rend d’autant plus complexes lespossibilités de trouver un financement. Au silence général succède un « brouhaha général » aux impacts non négligeables, quedécrit Sofiène : « Dans ce nouveau contexte, il est difficile de faire passer un message. Avec d’autres blogueurs, on tente de s’unir, de monter des associations. On aconscience qu’on doit se professionnaliser ou mourir. Car nous aussi, il faut qu’on s’adapte. » L’information est un créneau certainement porteur pour ces jeunes militants dans unesociété où les journalistes sont discrédités par des années de pratiques professionnelles pour le moins partiales.
Quant à l’avenir de la Tunisie, Sofiène Bel Haj se veut optimiste : « Aujourd’hui, il y a vraiment des perspectives qui devraient cartonner. »