Trente sans-abri sont morts à Bruxelles-Ville en 2006. Usés et tués par la rue. Hommage leur était rendu ce 13 mars à l’hôtel de ville de Bruxelles.
En ce mardi matin, la salle gothique de l’hôtel de ville de Bruxelles est comble. Une foule bigarrée se presse pour venir rendre hommage aux 30 morts de la ruedécédés en 2006 sur le territoire de Bruxelles-Ville : familles, membres de l’associatif bruxellois, citoyens, SDF et ex-SDF venus en nombre. Contraste saisissant entre cessans-abri, dont certains ont emporté leurs cabas, et la luxuriance du lieu. Quel symbole surtout, ou quelle ironie diront certains, que de rendre hommage aux plus exclus de la Ville dans un deses lieux les plus prestigieux…
Au SDF inconnu
La cérémonie, organisée par les échevins de l’État civil et des Cultes et le « Collectif des morts de la rue à Bruxelles »1,était la 2e du genre, la précédente s’étant tenue en mai 2006. Une cérémonie d’une heure, sobre, digne et poignante quand amis etaccompagnateurs sociaux sont venus témoigner, en français et en néerlandais, de la vie de quelques-uns des 30 disparus. Trente prénoms (dont deux restés inconnus)et une moyenne d’âge terrifiante : 50 ans. Alors qu’en Belgique l’espérance de vie est de 75 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes. Certes, tous n’ont pastrouvé la mort dans la rue. Mais tous doivent leur sort à une période difficile de leur vie les privant de logement.
Des témoignages qui ont laissé place aussi à l’analyse et aux revendications, comme l’hommage rendu à Armand, mort à 52 ans. Une vie àrebondissements où Armand a alterné séjours à la rue, en maisons d’accueil et dans un logement. Comme souvent, les problèmes administratifs, financiers, delogement et de santé forment un nœud complexe, typique chez les sans-abri.
Une réalité rappelée pendant le témoignage : « La création d’un réseau autour de la personne sans-abri est importante. Les personnes qui ontlonguement vécu en rue n’ont plus souvent de relations stables. Pour la personne qui a trouvé un logement, il est important que tous les intervenants qui l’entourent soientsur la même longueur d’onde et soient cohérents. Mais ceci n’est pas encore le seul besoin des habitants de la rue. Souvent, leurs valeurs mêmes sontendommagées. Il existe des projets qui permettent aux personnes vivant dans la précarité de prendre la parole, et de réaliser un travail utile. Kodiel2 en estun exemple et il existe encore d’autres projets travaillant dans ce sens. Ils méritent plus de soutien. »
À l’issue des témoignages, les prénoms des morts de la rue 2006 ont été égrenés, avec en guise d’hommage, une minute de silence, un airde guitare, d’harmonica et quelques fleurs.
Faire contagion
À l’origine de cette cérémonie, le « Collectif des morts de la rue à Bruxelles », réseau informel né voici trois ans à la suitede la découverte de deux personnes sans-abri à la gare du Midi plusieurs mois après leur décès et, aux actions pour le droit au logement de 2004. Il regroupe desassociations de première ligne, des habitants de la rue, des institutions, l’AIC3, quelques hôpitaux, l’équipe Herscham (équipe de policespécialisée dans les contacts avec les habitants de la rue) et des citoyens « concernés ». À l’exemple des actions menées par les collectifs deParis, Québec et Quielce (Pologne), il a pour objectif « de tout mettre en œuvre pour assurer un traitement digne de la mort pour tous, de témoigner du sort des exclus etd’interpeller les autorités ».
Au-delà des mesures d’urgence, très médiatiques mais trop ponctuelles, les membres du Collectif demandent que soient envisagées des mesures structurelles,pensées avec ceux qui ont l’expérience de l’exclusion. « La réinsertion d’une personne désocialisée nécessite un suivi personnel etcontinu, inscrit dans la durée, notamment pour le logement, affirme le Collectif. Pouvoirs publics, institutions et acteurs de terrain doivent mieux collaborer pour que l’ensemble desdroits fondamentaux en termes de logement, de santé, d’éducation et de culture soient respectés. »
Concrètement, le réseau prend en charge le décès des « habitants de la rue ». Il est prévenu par la commune de Bruxelles de tout décèsdont le corps n’est pas réclamé. L’information est répercutée aux associations de terrain qui l’identifient et vont à la recherche d’amis et de parents. Lecollectif achète des fleurs, fait imprimer des faire-part et organise le déplacement des proches du défunt, grâce au soutien financier de la commune. Un accompagnementmoral est prévu et l’inhumation se fait dans la tradition religieuse ou philosophique du défunt (si elle est connue). Son nom et la date de sa mort sont inscrits sur la stèle, cequi met fin à l’anonymat que connaissaient beaucoup de SDF avant la mise en place de la collaboration entre le réseau et les autorités communales.
La Ville de Bruxelles s’est distinguée par sa collaboration active au réseau. Un exemple que le Collectif voudrait voir s’étendre à d’autres communes.Il sollicite ainsi l’engagement d’autres mandataires responsables et institutions, et continue à chercher des personnes disposées à être présentes lorsdes funérailles, et à avoir besoin du soutien de tous les cultes et de tous les citoyens. L’appel est lancé.
1. Collectif des morts de la rue à Bruxelles – coordination : Maureen Jordens – Diogènes asbl, place de Ninove, 10 à 1000 Bruxelles – tél. : 0486 53 71 32– courriel : mortsdelaruebxl@yahoo.fr
2. Kodiel est une ferme située en Flandre qui accueille les sans-abri plusieurs fois par semaine.
3. L’Association internationale des charités – Plus d’infos sur le site : www.aic-international.org