Le projet des Fermes d’insertion sociale propose à des personnes issues d’institutions diverses (un jeune placé, un adulte présentant un handicap mental léger, etc.) d’être accueillies dans une ferme pour quelques heures ou quelques jours par semaine. Une initiative pleine d’humanité qui sort des sentiers battus
Inspiré notamment des « Steunpunt Groene Zorg » menés en Flandre, le projet a été lancé fin 2010 par le Groupe d’action locale et le Parc naturel Haute-Sûre-Forêt d’Anlier1. « Le projet wallon s’est progressivement écarté du flamand. Pour nous, il s’agissait d’envoyer des personnes dans des fermes conventionnelles en activité, alors qu’en Flandre cette activité repose principalement sur des fermes à vocation sociale », explique Lætitia Stilmant, la cheville ouvrière du projet. Qui ajoute qu’avec cette initiative, on n’a pas inventé la roue : « Les fermes ont souvent été un lieu d’accueil où, dans le village, les personnes différentes, déficientes ou traversant des difficultés trouvaient une place et une utilité. »
Afin de mettre le projet en place, le premier acte de notre interlocutrice a été de rencontrer les acteurs d’un premier accueil, testé quelques mois auparavant. De cette première expérience au résultat mitigé vont découler les balises des Fermes d’Insertion sociale. Lætitia Stilmant élabore une convention de partenariat qui lui permet de mettre un cadre. « Il y avait eu, dans cette phase test, des problèmes de communication, explique la coordinatrice du projet. Peu de contacts avec les éducateurs de l’institution dont était issue la personne accueillie, peu de connaissances de la part de l’agriculteur des besoins et limites de la personne accueillie. L’institution n’avait pas vraiment pris ses responsabilités, mais elle n’avait pas non plus été suffisamment incitée à le faire. »
Rencontre entre deux mondes
Le projet génère donc des collaborations entre des agriculteurs et des institutions sociales. Des acteurs a priori bien éloignés les uns des autres. D’un côté, les institutions, dont le panel est varié : services d’aide à la jeunesse, services résidentiels et occupationnels pour personnes handicapées mentales légères ou modérées, etc. « Elles doivent avoir envie d’offrir un projet individualisé à la personne qu’elles encadrent et de s’y investir », précise Lætitia Stilmant.
De l’autre, les agriculteurs, qui doivent être motivés et avoir la fibre sociale. Ils offrent un accueil « à la carte » : « L’agriculteur nous dit : je suis prêt à accueillir une personne pour une période “x”, explique la coordinatrice du projet. Cela part de ce qu’il est prêt à faire, de ses limites aussi », souligne-t-elle, tout en précisant qu’il lui est arrivé de dire « non » à certains agriculteurs lorsqu’elle sentait que leur démarche était motivée par l’opportunité d’accéder à de la main-d’œuvre « bon marché ». Ce qui ne veut pas dire que les agriculteurs ne peuvent pas avoir des attentes par rapport à cet accueil. « La démarche peut aussi partir d’une souffrance de leur part dans leur vécu, d’une solitude qui est très prégnante dans le milieu, d’une volonté de se sentir utile ou d’ouvrir la ferme vers l’extérieur », illustre Lætitia Stilmant.
« Ce sont deux mondes parfois emplis de stéréotypes qui se heurtent. Dès le début, j’essaie de jouer la carte de la proximité, que les attentes des uns et des autres se rencontrent », explicite Lætitia Stilmant. D’où l’importante de la préparation et du suivi de l’accueil par le biais de supervisions mettant en présence l’agriculteur/agricultrice, l’accueilli(e) et l’éducateur/éducatrice. Notre interlocutrice joue alors le rôle de médiatrice entre les parties pour faciliter l’expression de chacun et réajuster l’accueil si nécessaire.
Lutrebois, un petit village près de Bastogne. Depuis plus d’un an, Jean-Pol est accueilli dans la ferme des frères Janssen, petite exploitation active dans l’élevage de vaches et le bûcheronnage. « Cela faisait deux ou trois ans que nous réfléchissions au fait d’accueillir quelqu’un de défavorisé à la ferme, raconte Alexis Janssen. Il y avait une envie de se rendre utiles, même si nous avions des craintes […]. J’avais peur que l’on pense que j’exploitais Jean-Pol. »
Jean-Pol est aujourd’hui devenu un agriculteur en herbe. « Il a fallu répéter les gestes plusieurs fois pour qu’il les apprenne. Cela a pris du temps au début, explique Daniel, un ouvrier agricole présent de manière régulière. Mais il est devenu une aide, ce que nous n’attendions pas à la base. Il soigne les chevaux, les vaches, leur donne à manger, nettoie le matériel au Kärcher, fait du débroussaillage […]. Notre ferme fonctionne encore à l’ancienne, il y a assez peu de mécanisation. Nous faisons encore beaucoup de choses à la main, ce qui rend la participation de Jean-Pol plus facile. »
Pour Jean-Pol, l’expérience s’est révélée enrichissante : « Cela m’apporte du bonheur, je suis en dehors du centre. Pour moi, ici, c’est l’avenir, je voudrais rester dans le milieu, j’ai envie d’avoir une vie comme celle de tout le monde. »
« Une bouffée d’oxygène »
« Le rythme de la ferme, le cadre familial, le travail physique et les relations avec les animaux et la nature ont un effet parfois impressionnant sur les personnes accueillies », s’enthousiasme Lætitia Stilmant. Les impacts positifs de l’accueil peuvent être de trois ordres : bénéfices physiques, en termes de bien-être moral, mais aussi de perspectives futures et d’ouverture. « Tout le monde me parle de ce projet comme d’une bouffée d’oxygène », sourit-elle. Car pour les agriculteurs aussi, l’accueil apporte son lot de bienfaits : il rompt le sentiment de solitude, casse la routine et redynamise la personne.
Des difficultés peuvent aussi émerger. L’« accueilli » peut parfois en arriver à remettre en question l’institution qui l’héberge. « Si ce n’est pas accompagné par l’institution, cela peut faire des dégâts, admet Lætitia Stilmant. Il peut y avoir une charge affective à gérer. Le projet crée de nouveaux repères, des rêves, mais peut-être aussi de la colère par rapport à sa propre histoire. » Du côté de l’agriculteur, également, accueillir génère questionnements et émotions. « Faire part de leurs émotions n’est pas toujours simple pour eux. En Ardenne, petit cliché, nous ne sommes pas connus pour être les rois de la communication, on parle beaucoup des “Tiestus d’Ardennais” ou des “Taiseux”, sourit Lætitia Stilmant. Il faut amener les gens à mettre des mots sur ce qu’ils pensent et ressentent. »
Inscrite dans le cadre du programme européen de développement rural « Leader », l’initiative entre aujourd’hui dans la dernière ligne droite de sa phase pilote (fin 2013). Il s’agira pour son équipe de trouver des pistes pour la pérenniser.
1. Groupe d’action locale et Parc naturel Haute-Sûre Forêt d’Anlier :
– adresse : chemin du Moulin, 2 à 6630 Martelange
– tél. : 063 45 74 77
– courriel : laetitia@parcnaturel.be
– site : http://www.parcnaturel.be
En savoir plus
Labiso « Fermes d’Insertion sociale » sur le site http://www.labiso.be
Marinette Mormont et Julien Winkel