Prendre de la distance, prendre le temps, donner de soi. Voilà, selon le cabinet Fonck, les trois clés d’une resocialisation pour des jeunes en décrochage ouancrés dans la délinquance. Un projet pilote « Séjours humanitaires de rupture » vient de démarrer avec des partenaires installés au Bénin, auBurkina Faso et au Maroc.
Ils ont tout essayé. Le dialogue, les remontrances polies, les semonces d’un juge, parfois même des séjours en IPPJ, l’enfermement. Il y a des jeunes qui semontrent rétifs autant à la clémence qu’à la sévérité, qui décrochent de leur famille, de l’école, de toute vie sociale. Deceux dont on dit : « Mais qu’est-ce qu’on peut inventer pour leur faire remonter la pente ? Comment faire en sorte qu’ils choisissent le droit chemin plutôt que lesméandres de la délinquance ? » Ils sont une minorité pour qui tout, ou presque, a été tenté. Marc Coupez, conseiller Aide à la jeunesseauprès de la ministre Fonck1, voulait encore jouer une dernière carte avant de laisser ces gamins gâcher irrémédiablement leur vie. Un atoutcœur.
Éducateur de formation, l’homme réfléchit depuis des années à ce qui pourrait enclencher ce « cercle vertueux » de la socialisation chez desjeunes qui ne trouvent plus de repères que dans les marges. « Nous avons essayé de les encadrer dans une logique éducative et structurante. Mais ils sont tellement »dénarcissisés » qu’ils restent en échec permanent. Pour eux, il faut une véritable rupture : une distance avec un milieu de vie quotidiendélétère. Et surtout, leur permettre de reprendre confiance en leur capacité à construire des choses positives », explique Marc Coupez. Il y a une vingtained’années, déjà, il avait eu l’occasion d’emmener des jeunes en décrochage total dans des pays en voie de développement et constaté àquel point cela pouvait être bénéfique.
De Braine-le-Château à Ouagadougou
Le terrain de prédilection choisi par le cabinet Fonck, c’est le continent africain. Des structures d’accueil ont été installées au Bénin, au BurkinaFasso et au Maroc. Au risque de tomber dans les poncifs, les arguments ne manquent pas pour justifier ces choix. « Sur le plan humanitaire, les besoins sont gigantesques et, par ailleurs, lescultures africaines sont très ouvertes. Il y a une hospitalité et une ouverture par rapport à l’étranger qui sont essentielles pour des jeunes habituésà être rejetés », plaide Marc Coupez. Les quatre services qui organisent les séjours – la Pommeraie2, le Chenal de l’Amarrage3, le Domainede Beauplateau4 et Vent Debout5 – ont envoyé un ou deux permanents sur place et des formateurs locaux complètent le dispositif encadrant. En amont, untravail important a consisté à « préparer les terrain » avec les autorités des pays accueillants : envoyer des jeunes « aux comportementsdélinquants » en terre inconnue ne s’improvise pas. Il faut rassurer et veiller à ce que l’encadrement soit adéquat.
L’idée n’est pas nouvelle, elle a fait ses preuves, notamment en France où les juges de la jeunesse imposent parfois ce type de séjour. « En Belgique, ilexiste des services qui organisent des séjours de rupture depuis de nombreuses années. Mais il s’agit plutôt de sport-aventure. Il nous paraissait importantd’introduire la notion humanitaire dans le projet. Ce travail concret au bénéfice de quelqu’un d’autre donne aux jeunes un sentiment d’utilité. Ils sont,parfois pour la première fois de leur vie, regardés comme des gens qui ont un comportement, une action positive. » Une première expérience avait déjàété menée il y a cinq ans, lorsque quelques jeunes issus d’IPPJ étaient partis au Bénin, encadrés par l’armée belge, pour aider àla construction d’un orphelinat. Cette fois, le projet pilote « séjours humanitaires de rupture » est conçu pour durer. Le premier contingent de jeunes est partià l’automne 2008 et devrait rentrer au début du printemps 2009. Les capacités d’accueil sont de 17 jeunes simultanément, ce qui devrait permettre à aumoins 34 adolescents de partir tous les ans. Concrètement, ces séjours s’adressent à des adolescents de plus de quinze ans et ils ne peuvent bénéficierqu’une seule fois de la mesure. Un premier bilan sera dressé au bout de deux années d’exercice avant de déterminer si, oui ou non, le projet estpérennisé.
À en croire les premiers échos de l’expérience, la valorisation par le travail humanitaire produit un véritable électrochoc chez les adolescents. Avec,c’est du moins l’espoir des promoteurs du projet, des effets sur le long terme. Car l’on ne peut pas revenir indemne d’un tel voyage… « Je sais que certains vontencore caricaturer en disant que l’on offre des vacances à des jeunes délinquants. Il ne s’agit pas de cela, mais de séjours encadrés. Nous sommes toujoursdans l’aide contrainte, même s’il est évidemment préférable que le jeune soit d’accord avec la mesure proposée par le mandant. »
Les jeunes travaillent avec des associations locales, plusieurs mois durant, à des milliers de kilomètres de leur famille, de leur cadre de vie et de leurs habitudes. Ils ont uneformation préalable pour définir leur projet et se préparer psychologiquement à l’expatriation. À leur retour, ils seront encore suivis pendant plusieurssemaines pour évaluer le projet et poursuivre l’encadrement. Au total, la « rupture » dure six mois maximum dont quatre à cinq mois passés sur le terrain.Travail dans les champs, avec des ferronniers, dans des écoles… L’objectif est d’aider des populations locales, mais aussi, pour le jeune, de se former, d’apprendre denouvelles techniques et un savoir-être plus constructif. Afin de revenir « différent ».
Les sceptiques pourront toujours se demander pourquoi on n’envoie pas ces jeunes travailler dans nos contrées qui ne manquent pas de misère sociale. Pour le cabinet, lapertinence du projet et son efficacité tiennent dans l’association de ses trois paramètres : l’éloignement géographique qui induit la perte des repères,la durée qui permet une métamorphose profonde des comportements et le travail humanitaire qui améliore l’image de soi. Utopique ? « En tout cas, il faut essayer demettre de nouvelles choses en place au bénéfice de ces jeunes. J’ai fait de nombreux séjours de rupture et, d’expérience, je sais quel impact posit
if cela peutavoir sur la vie d’un adolescent, à quel point cela lui permet de reconstruire ses rapports sociaux et de trouver une place dans la société. Même si on se trompe,ça vaut le coup d’essayer ». Surtout si cela évite à certains de passer par la case prison.
Dès le retour du premier « contingent », Alter Échos reviendra sur ces stages de rupture pour recueillir les échos du terrain.
1. Cabinet Fonck :
– adresse : bd du Régent, 37-40 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 788 83 11
– courriel : cabinet.fonck@cfwb.be
2. La Pommeraie :
– adresse : rue de Gesves, 10 à 5340 Faulx-les-Tombes
– tél. : 081 57 07 46
– site : www.pommeraie.be
3. Le Chenal de l’Amarrage :
– adresse : rue de Virginal 15 à 7090 Hennuyères
– tél. : 067 64 60 77
4. Vent Debout :
– rue des Trois Rivages, 39 à 4020 Wandre
– tél. : 04 362 40 43
– site : www.ventdebout.be
5. Le Domaine de Beauplateau
– adresse : Beauplateau, 1 à 6680 Sainte-Ode
– tél. : 061 68 80 43
– site : www.beauplateau.com