En se promenant dans les rues de Bruxelles, il est presque impossible de ne pas apercevoir quelques skateurs à la recherche de la figure parfaite. Pourtant, la Région de Bruxelles-Capitale manque cruellement d’infrastructures: à l’exception d’Evere, le skateboard ne fait pas partie des plans d’investissements des dix-neuf communes bruxelloises. D’Anderlecht à Haren, skater en toute liberté et sécurité, mais surtout à l’abri, repose sur des initiatives citoyennes.
«Il est évident que Bruxelles manque d’infrastructures consacrées au skate mais il est difficile d’expliquer pourquoi certaines communes ont choisi d’investir dans un skatepark et d’autres non. À la Région en tout cas, nous sommes prêts à les soutenir. Mais ce sont d’abord à elles de faire la demande», résume en quelques mots Fadila Laanan, secrétaire d’État à la Région et ministre-présidente du Collège de la Commission communautaire française (Cocof). Si on compte tout de même plus d’une dizaine de skateparks dans la Région, les aficionados de la planche à roulettes ne disposent que de deux lieux intérieurs temporaires où ils peuvent pratiquer pendant la saison hivernale.
Skateboard et politique n’ont jamais vraiment roulé ensemble. Le skate, très souvent réprimé dans les centres-villes, est devenu un véritable enjeu politique pour certains rassemblements et collectifs de skateurs. La plupart d’entre eux ont adopté des manières de vivre communes et se distinguent par la pratique de formes d’art «underground». Ces caractéristiques marginales et contestataires envers l’autorité amènent la communauté du skate à vouloir autoconstruire une nouvelle vision de l’espace. Survenue à la fin des années nonante, l’affaire des Brigittines a pourtant remis la pratique du skate bruxellois en question. Construit en 1991, il s’agit à ce moment-là du seul espace public destiné à la planche à roulettes. Cependant, il se dégrade rapidement. Des skateurs proposent à la Ville de Bruxelles un projet de rénovation. Les services communaux font leur enquête de leur côté. Au regard des normes de sécurité, ils décident que l’endroit n’est pas rénovable car dangereux. Au bout du compte, ils en empêchent l’accès en remplissant les «bowls» (modules issus des piscines vidées) de terre. Les skateurs se rassemblent et créent le collectif Brusk. Une mobilisation qui réussit rapidement à montrer que l’absence de skatepark gratuit devient problématique. L’association se met finalement d’accord avec la seule institution à son écoute: l’Institut bruxellois de gestion de l’environnement (IBGE). L’espace des Ursulines, place de la Chapelle, qui appartient à cette époque à l’IBGE, est rapidement proposé aux skateurs. À l’heure actuelle, il s’agit bien du seul projet de skatepark réalisé à la suite d’une bonne collaboration entre skateurs, pouvoirs publics et acteurs culturels locaux.
«On s’est retrouvé dehors avec notre matériel, nos rampes, et l’ensemble de nos modules sur le parking.» Anthony Aymard, asbl Planet Park.
Le droit de skater à l’abri
En Belgique, rouler sous la pluie et dans le froid est compliqué, mais surtout dangereux. Depuis de nombreuses années, les associations de «riders» bruxellois se lancent à la recherche de salles intérieures à Bruxelles. Des projets qui peinent à se réaliser, notamment face aux problèmes de sécurité. C’est le cas de l’asbl Planet Park, qui avait trouvé un espace dans une usine désaffectée à Anderlecht, rue de la Petite-Île. Coup de tonnerre, le tribunal de première instance de Bruxelles ordonne la fermeture du lieu le 18 août 2017 sur la base d’une étude de stabilité menée par la Société du logement de la Région bruxelloise (SLRB), qui venait d’acquérir le bâtiment. L’asbl s’était alors fermement opposée au jugement, estimant que cette étude ne concernait pas la partie qu’elle occupait. Elle n’obtiendra pas gain de cause.
Face à cette décision, les skateurs plient bagage, skate sous le bras. «On s’est retrouvé dehors avec notre matériel, nos rampes, et l’ensemble de nos modules sur le parking», se rappelle Anthony Aymard, président de l’association. Heureusement Planet Park reçoit, le jour même, le feu vert pour s’installer dans un nouvel espace beaucoup plus imposant à Haren, chaussée de Haecht.
«Tout se joue entre les promoteurs immobiliers et la Région. Nous, on occupe le plus souvent l’espace temporairement en attendant que la société qui a racheté le bâtiment mette en place son projet.» Youssef Abaoud, asbl Byrrh & Skate
Le skate soumis aux baux précaires
La Société de développement pour la Région de Bruxelles-Capitale, aujourd’hui citydev.brussels, a peut-être sauvé le projet de Planet Park, mais ne lui assure pas une occupation sur du long terme. «Citydev est la seule organisation à nous proposer des espaces vacants. Ils ont été honnêtes avec nous en expliquant que le bâtiment allait être détruit dans quelques années pour en faire une surface commerciale.» Ensuite? «Il faudra à nouveau faire ses valises.» Anthony Aymard est franc, au bout d’un moment, les associations de skate ne pourront plus supporter cette vie nomade.
Retour à Anderlecht, rue de la Petite-Île. Peu après le départ de Planet Park du même endroit, le projet «Byrrh & Skate new» a réussi à voir le jour dans une autre partie de l’usine désaffectée. Agacé par le manque de prises de décision, Youssef Abaoud décide de créer un skatepark intérieur de ses propres mains. «Par chance, nous avions un contact à Citydev qui nous a permis de construire dans une autre salle ici, à la Petite-Île.» Espace de 1.000 m2 avec plusieurs modules en bois, jardin avec skatepark extérieur, les amateurs de la planche à roulettes bénéficient d’un espace particulièrement adapté. «On connaît tous cette situation: devoir changer d’endroit très régulièrement. Auparavant, on avait essayé de construire des salles sur le long terme à Evere, Laeken, Bruxelles-Midi. Évidemment sans succès.»
Pour Youssef et ses collègues skateurs, vagabonder entre les salles bruxelloises est une perte de temps. «Tout se joue entre les promoteurs immobiliers et la Région. Nous, on occupe le plus souvent l’espace temporairement en attendant que la société qui a racheté le bâtiment mette en place son projet. Parfois, on peut se retrouver dans une occupation de transition. Dans ce cas de figure, nous avons l’opportunité de faire partie du projet final. Mais on ne va pas se mentir, le plus souvent, ce n’est pas le cas.» Après des années d’errance, les skateurs bruxellois aperçoivent tout de même l’ombre d’un espoir. «Nous avons l’opportunité de nous installer ici. Le bâtiment entier va devenir un endroit voué aux loisirs: escalade, danse et d’autres performances artistiques.» Le collectif Volta, d’Anderlecht, y anime déjà de nombreuses soirées. En plein air, on retrouve également le potager de Wonderlecht, accolé au skatepark, où des personnes se forment à l’agriculture urbaine.
Une poignée d’élus compréhensifs
«Il est important de soutenir ces associations dans leurs délocalisations fréquentes, indique Fadila Laanan. Le skate, comme n’importe quelle activité, doit se pratiquer dans une salle où l’état du bâtiment est pérenne.» Qu’en est-il de la volonté des communes? Du côté d’Ixelles, les élus se montrent favorables à la construction d’infrastructures pour les sports de glisse terrestre, mais le manque de place et de terrains disponibles est un véritable frein. Ne subsistent que des espaces privés, comme celui de l’ex Delhaize-Molière, dont le coût est important.
La commune d’Evere, au nord de Bruxelles, reste alors la seule à investir pleinement dans un espace voué à la pratique de la planche à roulette. Suite à un appel à projets de la Région en 2015, la commune a obtenu 54.000 euros de la Région de Bruxelles-Capitale, allongeant de son côté les 20.000 euros supplémentaires nécessaires à la rénovation de son skatepark. «Au départ, la construction d’un skatepark n’était pas du tout prioritaire. Cependant, j’avais remarqué que l’espace à côté du Triton était fort utilisé par les jeunes. Je me suis rapidement dit qu’il fallait investir dans un outil qui sera vraiment amorti. Un skatepark, c’était donc le meilleur investissement», souligne Ridouane Chahid, premier échevin de la commune.
«Un skatepark intérieur? Je suis pour à 100%»
La politique d’Evere est claire: ne pas axer le développement sur un seul sport et discriminer les autres communautés sportives. Si le skatepark s’est facilement installé au cœur de la commune, les skateurs bruxellois critiquent souvent sa petite taille et le fait qu’il s’agisse une fois de plus d’une infrastructure extérieure. L’échevin a, depuis quelque temps, lancé un dialogue avec ses utilisateurs. «J’ai reçu un mail d’utilisateurs qui veulent me rencontrer. Ils veulent proposer une modification de l’emplacement de la structure, rajouter des modules, etc. Je les accueille volontiers.» Ridouane Chahid ne s’oppose pas à l’implantation d’un lieu intérieur et a déjà sa petite idée concernant la question. «Je suis à 100% derrière un projet en intérieur. lI y a un bâtiment de 2.000 m2, un ancien dépôt de l’entreprise Coca Cola sur l’avenue Henri Dunant, proche du cimetière de Bruxelles. On pourrait imaginer que les instances de la Région ainsi que des partenaires privés s’associent pour y réaliser, pourquoi pas, une partie destinée au skate et une autre au football.» Pour l’instant, il ne s’agit que d’une possibilité sans engagement. Elle permettrait pourtant aux skateurs bruxellois de rouler toute l’année(1).
Où peuvent skater les Bruxellois? Découvrez la carte des skateparks.
(1) Selon Anthony Aymard, président de l’asbl Planet Park, la construction d’un skatepark intérieur de la même taille que celui de Haren se chiffre entre 2 et 3 millions d’euros. Pour ce qui est de la gestion du skatepark, le budget investi la première année s’élèverait à 1, voire 1,5 million d’euros, matériel et rémunération des employés compris.