Après plus de 15 ans d’existence, l’asbl SMart (Société mutuelle aux artistes), qui propose un soutien administratif des artistes et créateurs, est en voie d’opérer un grand changement : devenir une coopérative, la plus grande d’Europe. Une assemblée générale, le 30 juin dernier, a marqué le départ d’une réflexion participative d’une année pour définir ce nouveau fonctionnement. Un projet auquel croit dur comme fer Sandrino Graceffa, administrateur délégué depuis avril 2014.
A.É. : Vous ne devenez pas une coopérative du jour en lendemain. C’est un long processus qui s’engage.
S.G. : Le processus a en fait démarré il y a un an avec une réorganisation de la gouvernance. La SMart comprenait deux entités : une ASBL rassemblant tous les membres et une fondation de droit privé en charge de la gestion économique des activités et la gouvernance globale. Depuis un an, il existe un CA unique aux deux entités pour ne plus distinguer l’économique du politique, avec l’objectif de lancer une coopérative qui regroupe ces deux dimensions prévue pour juin 2016. Nous nous donnons un an pour redéfinir un projet d’entreprise avec l’ensemble de nos membres. L’assemblée générale du 30 juin a marqué le début du processus. La coopérative n’est pas une fin en soi mais un moyen de faire en sorte que la SMart, née de la volonté des membres, le reste.
A.É. : SMart, c’est près de 60.000 membres en Belgique, des implantations dans 10 pays européens, 2500 équivalents temps pleins. Il s’agira donc d’une coopérative à grande échelle. Quels modèles de coopératives vous inspirent ?
S.G. : Certains projets nous inspirent mais aucun n’est à « copier » car il n’existe pas de coopératives de taille si importante. Nous allons devoir inventer des choses avec plusieurs dizaines de milliers de membres. Un modèle d’assurance mutuelle pour motards implanté en France depuis 30 ans a retenu notamment notre attention. Contrairement aux autres mutuelles, ils ont réussi à créer une belle dynamique. Malgré le nombre de sociétaires, ils maintiennent un lien important qui dépasse le fait d’acheter une assurance.
A.É. : Comment impliquer les membres qui pourraient être davantage dans une logique de service ?
S.G. : On s’est contenté pendant longtemps de dire que nos membres voulaient un service. Or, la force de SMart, contrairement à d’autres sociétés intérimaires, est de développer des services bien adaptés aux besoins, en dialogue avec la base. Si l’on veut être performant, on doit construire des services avec nos membres. D’ailleurs les plus grandes innovations sont issues du travail avec les membres.
A.É. : Des exemples…
S.G. : Je pense notamment au fonds de garantie salariale qui permet de garantir le paiement 7 jours après le travail presté en cas de non-paiement des salaires. SMart a également développé la gestion d’activités. Auparavant, nous étions juste dans la gestion des contrats. Ces deux exemples sont la preuve que nous ne sonmes pas dans une réflexion technocratique. C’est du « bottom up ».
A.É. : Outre la dimension philosophique du projet de coopérative, la motivation n’est-elle pas également économique ?
S.G. : Le passage à la coopérative correspond à une période où nous devons investir dans plusieurs domaines comme la recherche et le développement, le système informatique et le lobbying afin de défendre nos idées. Nous désirons aussi encourager notre développement international parce que nos membres le réclament de plus en plus. L’ensemble de ces projets nécessite des fonds. Nos fonds propres sont insuffisants. Trois options s’offrent alors à nous. Soit on renonce. Mais renoncer, c’est prendre le risque qu’un acteur classique comme une société d’interim ne reprenne notre activité. Nous pourrions également succomber à la tentation de faire appel à un investisseur financier. Si on n’avait pas le choix on le ferait, mais nous sommes conscients que ce deuxième choix entraîne une perte importante des valeurs de notre groupe. La troisième idée, rendre nos membres actionnaires, nous a semblé être la plus pertinente. L’option est séduisante d’autant que le risque est diffus avec le grand nombre d’actionnaires que nous avons.
A.É. : Concrètement, comment présentez-vous le projet à vos membres ?
On veut éviter de tenir le discours : au lieu de payer une cotisation sociale, achetez une part sociale. L’idée est d’aller plus loin, d’inviter à la participation. On ne veut pas dicter nos idées mais réfléchir ensemble : évaluer les services, les besoins, réfléchir à notre modèle économique. La démarche s’apparente à de l’éducation permanente. C’est un nouveau modèle de gouvernance que nous proposons.
A.É. : Y a-t-il déjà des changements concrets ?
Le travail est entamé. On a supprimé toute la hiérarchie. De 4 niveaux hiérarchiques en 2014, nous sommes passés à un seul. Aujourd’hui, nous fonctionnons avec des équipes autonomes. Nous avons gagné en efficacité. L’idée est passée que nous travaillons tous sur un seul et même projet.
A.É. : Quels profils se dégageaient-ils lors de l’AG ?
S.G. : J’ai pu observer une forte présence de membres historiques issus du secteur artistique et énormément de personnes liées aux nouveaux métiers de l’écrit (journalisme, traduction…)
A.É. : Des métiers qui ne sont pas a-priori la « marque de fabrique » de SMart, allez-vous vous ouvrir à de nouvelles activités ?
Jusqu’à présent, on a fait l’autruche. On a accepté de nombreux métiers non-artistiques mais nous avons continué à tenir un discours rapprochant la smart et les artistes. Or, ce qui m’intéresse, c’est d’aider les personnes à vivre d’un métier qui les passionne. Nous n’allons pas nous éloigner de notre ADN – le secteur artistique- mais nous ouvrir et répondre aux besoin des autres professions, sans se substituer aux organisations existantes comme les syndicats. Il y a des mutations importantes à mener.
A.É. : Etre une coopérative, c’est aussi accepter les critiques…
S.G. : Oui il faut pouvoir se remettre en question. Il faut jouer le jeu, accepter les bons et mauvais côtés. Lors de l’Assemblée générale du 30 juin, nous avons réalisé un sondage en ligne auprès des travailleurs, avec des résultats qui apparaissaient directement sur grand écran. C’est une façon de se « déshabiller ». Pour oser cette transparence, il faut avoir la confiance de tout le monde, être sur la même longueur d’ondes. Il faut aussi accepter que la participation ne soit pas égalitaire. Tout le monde ne peut pas s’investir de la même manière. Il faut faire preuve de souplesse.
A.É. : A l’issue de votre année de chantier, si vous constatez que le projet ne fonctionne pas, qu’envisagez—vous ?
S.G. : Faire appel à un fonds de pension américain (rires). Je ne crois pas que le projet peut échouer, à condition de se donner les moyens de nos ambitions. Néanmoins, si on n’a pas cette volonté, je choisirais de faire rentrer un actionnaire au lieu de conduire SMart droit dans le mur. Mais dans ce cas, je laisserai ma place à un vrai CIO.
Aller plus loin
Relire :
Sandrino Graceffa : «Les coopératives remettent en cause le contrat social», par Rafal Nacczyk, 30 octobre 214.
Il était une fois l’économie social et entrepreneuriat social, par Julien Winkel, AE n°406, 8 juillet 2015.
La Louve, un autre modèle de supermarché, par Manon Legrand, 19 juin 2015.