La Fédération des maisons médicales (FMM)1, en collaboration avec Jean Macq (Institut de recherche santé et société, UCL), aréalisé à l’attention du SPF Santé publique une étude2 sur l’évolution des métiers des soins de santé de première ligne.
Le secteur des soins de santé doit faire face à de multiples évolutions. La première d’entre elles : un accroissement des besoins, dû au vieillissement de lapopulation, à l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques mais aussi à l’exacerbation des situations de précarité. Les liens entre le contexte de vie,social ou physique, et les risques pour la santé étant aujourd’hui largement reconnus.
Seconde évolution : une pénurie des professions de médecin généraliste et d’infirmier. « Les raisons de ces pénuries ne sont pas les mêmes,nous précise Isabelle Heymans, secrétaire générale de la Fédération. Nous avons tous en tête l’image du médecin généralistetravaillant, par vocation, 70 heures par semaine et tout le temps de garde pour ses patients. Les jeunes médecins n’ont plus du tout envie de travailler de la même manière queleurs prédécesseurs. Beaucoup ont mis cette évolution sur le dos de la féminisation du métier. C’est sans doute vrai, mais on constate la mêmeévolution chez les jeunes hommes. » Les médecins ont à présent envie d’accorder plus de place à leur vie privée, de travailler de manière plusorganisée, et parfois de manière collective.
La fonction infirmière est quant à elle touchée par un manque de valorisation, que ce soit au niveau salarial, de ses conditions de travail et de la reconnaissance de sescompétences et des actes qui sont posés. « C’est le métier sur lequel il est le plus urgent de travailler. Il y a aujourd’hui des milliers d’infirmiers qui ne pratiquentplus ! Une des difficultés, analyse Isabelle Heymans, c’est que c’est une fonction qui a un très gros potentiel en termes d’activités à réaliser, mais qu’elle neréalise pas ». En Angleterre, ce sont les infirmières et non le médecin généraliste qui réalisent le suivi chronique des patients diabétiquesquand la maladie est maîtrisée. Autres exemples, le dépistage du cancer du col de l’utérus pourrait être fait par une infirmière, tandis que le suivi degrossesses normales peut être fait par une sage-femme. Or en Belgique, ces actes sont pour la plupart réalisés par des gynécologues, alors que pour ce métier aussila pénurie guette.
Troisième évolution, le « virage ambulatoire », à savoir un transfert de la prise en charge de cas « complexes » du secteur institutionnel vers lesecteur ambulatoire des soins. Cette évolution est due tant aux limites dans les financements disponibles pour les soins de santé qu’à la recherche d’une meilleure qualitéde vie des patients. Exemple typique, la réforme actuelle du secteur de la santé mentale. « Le projet de réforme des soins de santé mentale est un vrai projet devirage ambulatoire, commente Isabelle Heymans. C’est une très bonne initiative. Mais c’est dommage que, notamment pour des raisons de transferts financiers difficiles entre les niveauxfédéral et régional, ce soit aux hôpitaux qu’on ait confié le fait de prendre en charge les patients en ambulatoire. Quel rôle donner aux équipes depremière ligne pour ces patients ? »
Santé globale vs santé segmentée
Liée entre autres à ce « virage ambulatoire », la tendance est aujourd’hui à la spécialisation : infirmier diabétique, infirmier santémentale, infirmier en soins palliatifs… On constate l’émergence de programmes qui portent attention à des maladies prioritaires : cancers, maladies chroniques, problèmes desanté mentale (c’est l’exemple des trajets de soins) ou à des populations vulnérables.
L’étude de la Fédération fait le procès de cette logique de segmentation car elle comporte le risque du saucissonnage des patients, au détriment d’une prise encharge globale et généraliste. Si une personne fume, est diabétique et a une maladie cardio-vasculaire, elle devra rencontrer autant de professionnels qu’elle a de maladies. Or,souligne l’étude, il existe dans d’autres pays des fonctions d’infirmiers de soins généralistes, qui renforcent une approche globale de la santé individuelle et qui fontl’interface avec des programmes de soins plus spécifiques.
Pour la FMM, toutes ces évolutions plaident pour un renforcement de la première ligne de soins. « Aujourd’hui, tout le monde dit soutenir la première ligne de soins. Lediscours est là, mais les actes ont du mal à suivre. » La tendance serait même parfois inverse. Les hôpitaux, dans un contexte semi-concurrentiel et en l’absence dedirectives des pouvoirs publics, tendent à fournir de plus en plus de services qui devraient rester en première ligne. Et si à certains endroits des professionnelsmanœuvrent à contre-courant (ici un endocrinologue, là une gynécologue qui, surchargés, travaillent de plus en plus en collaboration avec des médecinsgénéralistes), ces situations restent davantage liées à des personnes plutôt qu’à un changement global.
Un besoin accru de coordination
De ce contexte en mutation découlent des modifications des différentes fonctions de soins de santé. « On observe le développement de plusieurs disciplines, denouvelles fonctions. Les profils de poste habituellement connus s’adaptent souvent aux réalités de terrain locales. De nouveaux métiers émergent, des métiersanciens voient leur champ d’action évoluer en fonction de besoins perçus sur le terrain ou des interactions avec d’autres professions. Des formations nouvelles aussi se créent», peut-on lire dans l’étude. Des transformations qui posent la question de la délégation et de la répartition des tâches entre ces fonctions. « Laquestion est de savoir comment on arrive à cette délégation des tâches. Il faut travailler avec l’ensemble des professionnels sur la question de qui pourrait faire quoi ettravailler sur la valorisation des professions, explique Isabelle Heymans. Ce n’est pas facile parce que cela implique des frottements, des négociations, des débats. Cela toucheà la question de l’émancipation de certaines professions. » Les changements à l’œuvre interrogent aussi les modèles d’organisation et les interactions entreces métiers.
Un rôle d’interface et de coordination est de plus en plus souvent nécessaire. Mais cette idée de coordination recouvre en fait plusieurs réalités. Lacoordination des soins d’un patient tout d’abord. Un coordinateur de soins gère les trajets de soins, veille à ce que le patient ait autour de lui tous les i
ntervenants professionnelsnécessaires (ambulatoires et hospitaliers, généralistes et spécialistes). « Aujourd’hui, ce sont les médecins généralistes, des infirmiers, desassistants sociaux ou encore les coordinations de soins à domicile qui réalisent cette mission, explique Isabelle Heymans. Mais c’est une fonction qui va prendre de l’importance dans lecadre du vieillissement de la population et du développement des maladies chroniques. Cela va devenir trop important pour que ce soit le médecin généraliste qui continueà gérer cela. »
Deuxième acceptation de cette notion : une coordination centrée sur le territoire, qui fait le lien entre tous les services de santé autour de problématiques plusgénérales. « Il existe aujourd’hui des initiatives de réseaux, mais qui ne sont pas toujours très structurées. Et il y a des régions où lesacteurs ne se parlent pas, ne se sont jamais vus, jamais rencontrés, continue-t-elle. Cela évolue, mais ça ne va pas encore de soi. » Enfin, il s’agit de coordonner lapromotion de la santé. Une coordination qui dépasse largement les services de soins puisqu’elle touche à une panoplie d’autres secteurs : l’école, le logement, letravail…
Nouveaux métiers en maisons médicales
Si l’étude s’intéresse au système de santé dans sa globalité, un des objectifs poursuivis demeurait de questionner les métiers de demain dans les maisonsmédicales. D’interroger un modèle mis en place il y a trente ans. Aujourd’hui, la FMM souhaite poursuivre ses travaux sur le partage des tâches en maison médicale etprolonger sa réflexion sur les métiers qui ne sont pas des fonctions de soins classiques : les accueillants, les assistants sociaux, mais aussi les fonctions de gestionfinancière, administrative et de pilotage, de plus en plus répandues. « Les maisons médicales ont tendance à professionnaliser les fonctions d’appui, de gestion. Latendance pourrait aller de plus en plus vers l’embauche de coordinateurs généraux, comme c’est le cas du côté flamand, tout en conservant un modèle d’autogestion», précise la secrétaire générale de la fédération.
1. Fédération des maisons médicales :
– adresse : boulevard du Midi, 25 bte 5 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 514 40 14
– courriel : fmm@fmm.be
– site : www.maisonmedicale.org
2. L’étude « Les métiers de demain de la première ligne de soins » est disponible sur le site www.maisonmedicale.org/Les-metiers-de-demain.html