Le programme européen d’aide alimentaire est menacé. Réformes agricoles et austérité budgétaire diviseront probablement par cinq lesquantités livrées l’an prochain.
Acheminer les excédents agricoles européens vers les organisations caritatives. Cette idée simple, promue en son temps par Coluche et mise en œuvre par laCommission de Jacques Delors, permet aux Restos du Cœur, aux banques alimentaires et à d’autres associations à travers le continent de bénéficier d’une aide ennature bienvenue. Dans les années 1980, cette politique semblait couler de source. En raison d’une Politique agricole commune (PAC) mal ajustée, les agriculteurs produisaient en effetbeaucoup plus de nourriture qu’ils ne pouvaient en écouler sur les marchés européens et même mondiaux. Stocker ces excédents, avec notamment des coûts deréfrigération importants, revenait plus cher que de les donner. On les donna donc, à travers le Programme européen d’aide aux démunis (PEAD). La valeur marchande duprogramme a évolué d’un peu moins de 100 millions d’euros en 1987 à plus de 500 millions ces dernières années.
Le problème, c’est que l’Europe a fini, après plusieurs réformes, par mettre au diapason la production alimentaire avec la demande (au prix de pertes de revenus pour denombreux agriculteurs, mais c’est une autre histoire…). Les stocks d’excédents ont fondu comme neige au soleil et avec eux, les dons en nature.
Pour conserver ce programme emblématique, la Commission européenne a mis la main au portefeuille et financé en liquide les achats de nourriture par les organisations. Maisplusieurs Etats (notamment l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède) ne l’entendent pas de cette oreille. S’ils étaient prêts à accepter que les excédents soientdistribués, ils ne veulent pas prélever des fonds sur le budget pour les remplacer. Ils ont intenté – et gagné – un procès devant la Coureuropéenne de Luxembourg. Le tribunal de première instance a estimé que la base juridique actuelle ne permettait pas d’acheter sur le marché des produits destinésau régime d’aide. Dès lors, la Commission sera tenue de limiter le financement prévu en 2012 aux stocks d’intervention, soit environ 113 millions d’euros,alors même qu’elle en avait budgété 500. Elle craint que la disparition complète des stocks attendue en 2013 ne réduise à néant le PEAD.
Depuis quelques semaines, des négociations sont en cours entre les 27 pour débloquer le dossier. La question devait être évoquée lors des récents sommetseuropéens, mais elle a été évacuée de l’agenda en raison d’une actualité financière plus pressante.
Davantage de ventres vides l’an prochain
Les organisations d’aide aux démunis s’inquiètent du blocage européen qui menace d’amputer sérieusement leurs sources d’approvisionnement. EnFrance, les associations se mobilisent pour réclamer le maintien du PEAD, sans hésiter à faire la comparaison avec les milliards d’euros dépensés pourrecapitaliser les banques et aider la Grèce : « Mesdames et messieurs les chefs d’Etat, ne vous reste-t-il pas 500 millions d’euros pour sauver les pauvresd’Europe ? »
En Belgique aussi, la situation inquiète. « On va être affectés très concrètement durant l’hiver 2012-2013 », avertit Patrick Dejace,le directeur de la fédération belge des Restos du Cœur, l’un des pôles de distribution de l’aide dans le pays. L’aide européenne représenteentre 10 et 20 % des ressources en marchandise de la fédération, qui devra acheter les biens pour compenser la baisse.
La ministre fédérale de l’Agriculture, Sabine Laruelle, a tenté de rassurer les associations en leur promettant une aide exceptionnelle si le programme européenn’est pas relancé. Le niveau régional serait sollicité. « On espère que ça va être tenu », dit Patrick Dejace. Vu le budgetserré des Régions, c’est loin d’être gagné.