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S’outiller pour se défendre

Depuis l’automne, et face à la hausse des prix de l’énergie, Seraing met en place des ateliers collectifs gratuits dans plusieurs quartiers de la commune pour aider les citoyens à faire des économies. La démarche réunit la cellule énergie du CPAS et le service logement conseil de la Ville, en ayant des objectifs évidents: permettre aux participants de comprendre, d’analyser une facture, de choisir un fournisseur ou d’apprendre à économiser l’énergie pour alléger leurs dépenses.

© Fanny Monier

«Surtout, n’attendez pas que la situation se dégrade», lance Maria Barrientos, éducatrice spécialisée au CPAS de Seraing qui anime le service cellule énergie. Devant le PowerPoint, elle ouvre l’atelier de trois journées en présentant à la petite dizaine de citoyens le rôle de cette cellule: intermédiaire entre clients et fournisseurs, aide pour l’obtention d’un moyen de chauffage ou d’électroménagers, rôle d’information, de conseil, de guidance ou de prévention… Maria continue sur les aides possibles en matière d’énergie proposées par le CPAS.

«C’est que le non-recours est frappant en la matière», constate-t-elle. «En passant par cet atelier collectif, ouvert à tous, sans obligation, c’est un moyen d’ôter des barrières, d’autant que les citoyens sont très demandeurs de ce type d’accompagnement», renchérit Nathalie Bastin, cheffe de projet au Plan de cohésion sociale. «L’importance des dépenses énergétiques est telle dans le budget des ménages – plus d’un tiers du budget – qu’on s’est rendu compte qu’il fallait mener un gros travail en termes d’informations et de propositions de solution pour les citoyens», ajoute Edith Giurato, directrice de l’action sociale du CPAS. «Cette manière collective de travailler sur des problématiques individuelles a plus d’impact qu’un suivi personnalisé classique. On espère de la sorte sur le long terme diminuer le nombre d’interventions d’urgence en travaillant sur le comportement des citoyens», poursuit Nathalie Bastin. «Aujourd’hui, les citoyens viennent vers nous quand ils sont coincés par des factures problématiques; c’est pourquoi nous cherchons vraiment à les rendre acteurs d’un changement de comportement en leur donnant toutes les clés possibles», continue Edith Giurato.

«On ne juge pas»

Dans la salle communale, on rencontre autant de locataires que de propriétaires. Pendant l’explication, le dialogue est crucial avec les participants: «On échange, on ne juge pas», rappelle Maria Barrientos, histoire de rassurer tout le monde. «L’idée est de vous outiller pour vous défendre!» D’ailleurs, il ne faut pas attendre longtemps pour que les questions fusent, les demandes aussi. Notamment à l’évocation du statut de client protégé ou du tarif social. «S’il y a une chose à retenir de cette séance, ce sont bien ces notions», insiste l’éducatrice.

Pour cause, en Belgique, deux millions de personnes en bénéficient, soit plus d’un ménage sur cinq – en particulier, les personnes avec de faibles revenus ou sans emploi, les familles monoparentales et les femmes isolées de plus de 65 ans. Avant la crise Covid, c’était un sur dix! Pour en bénéficier, jusqu’en février 2021, il fallait recevoir une allocation d’un CPAS, une allocation d’aide aux personnes âgées ou encore une allocation d’aide pour personne handicapée. Depuis l’an dernier, il a été élargi aux personnes ayant droit à l’intervention majorée. Le tarif est calculé quatre fois par an par la CREG (Commission de régulation de l’électricité et du gaz) sur la base du tarif commercial le plus bas, et son augmentation est plafonnée. Résultat, dans le contexte actuel, le tarif social du gaz est cinq fois moins élevé que le tarif le moins cher du marché.

«Mais même bénéficier de ce tarif social est loin d’être une ‘sinécure’», déplore Maria. Et elle est loin d’être la seule à s’en plaindre. Dans ses dernières recommandations, la Plateforme de lutte contre la précarité énergétique émettait une série de recommandations pour l’optimaliser, notamment en renforçant l’accès à l’information, en mentionnant par exemple sur la facture si l’usager bénéficie de ce tarif. «Actuellement, l’usager ne peut pas vérifier si son fournisseur a été informé de son statut de client protégé et que ce dernier a pu lui appliquer le tarif social. Cette situation engendre des questionnements et des incertitudes pour le ménage, qui doit dès lors contacter le fournisseur ou une institution pour avoir confirmation de son statut», rappelait la Plateforme.

En Belgique, deux millions de personnes en bénéficient, soit plus d’un ménage sur cinq – en particulier, les personnes avec de faibles revenus ou sans emploi, les familles monoparentales et les femmes isolées de plus de 65 ans.

Dans l’assemblée, certains découvrent cette information et se demandent s’ils ne peuvent pas bénéficier de ce statut. Poursuivant sur le sujet, Maria prévient surtout: «N’allez pas voir ailleurs si vous avez ce tarif social, même si un fournisseur vous propose des réductions de 150 ou 200 euros sur votre facture. Il n’y a pas de prix plus intéressant!» Un des participants explique alors son réflexe face à ces promotions: «Chaque fois qu’on me propose une réduction, je change…» Et l’éducatrice de le reprendre: «C’est un fantasme que de vouloir changer sans cesse de fournisseur. Car si l’offre paraît intéressante sur papier, faites attention aux frais de clôture de contrat. Il faut vraiment garder le contrôle!» Elle présente alors le comparateur de prix de la CWaPE, le régulateur wallon. «Ce n’est pas tant la mensualité qui est importante pour définir l’offre la plus intéressante, c’est surtout le prix du kilowattheure qu’il faut garder à l’esprit», précise Maria avant d’évoquer sa situation personnelle à la suite de l’augmentation de sa facture d’énergie qui est passée de 52 à 200 euros, rien que pour le gaz. Et sa collègue du service logement conseil Stéphanie Montulet, assistante sociale, de renchérir: «Beaucoup de personnes, par fidélité à un fournisseur ou parce qu’ils ne savent pas comment changer de fournisseur, n’en changent pas. Aujourd’hui, on parle beaucoup de taux fixe, variable, nos séances vous permettent de jouer sur la concurrence entre les fournisseurs et de réaliser des économies qui ne sont pas négligeables.» Chacun y va alors de son expérience. «J’avais des problèmes de facture chez Lampiris, évoque une des participantes. Suite à une séparation, et comme le contrat était à mon nom, je me retrouve avec une facture de clôture du contrat de 2.800 euros. Évidemment, étant sur la mutuelle, j’ai demandé un plan de paiement. Le fournisseur voulait que je règle en dix fois ce montant, ce qui était évidemment impossible vu mes revenus. Faute d’accord, la situation est passée devant le juge et j’ai pu rembourser 50 euros par mois. Mais cela a été difficile!»

«Ne signez rien»

Maria Barrientos reprend alors le fil de la séance pour évoquer le démarchage sur la base de situations rencontrées par la cellule énergie du CPAS de Seraing. Tantôt il s’agit d’un démarcheur qui se présente au domicile pour relever l’index et qui propose un contrat de fourniture, tantôt d’un démarcheur qui fait signer un contrat d’entretien de chaudière au gaz à un ménage qui n’est pas relié au gaz de ville… Les exemples sont légion. «Je suis persuadée que vous avez tous et toutes rencontré de telles situations!», rappelle-t-elle, en précisant les conditions à respecter par le démarcheur. «Il ne doit pas insister, il ne doit pas abuser de votre faiblesse, il doit décliner son identité… Dans tous les cas, ne signez rien et ne communiquez aucune information personnelle. Il faut que vous ayez conscience des règles.»

Puis elle aborde le cas du compteur à budget, compteur qui peut être placé et activé après un défaut de paiement. Si le ménage n’apure pas sa dette, le fournisseur peut demander le placement d’un tel compteur qui fonctionne selon un mode de prépaiement avec carte. Le client doit recharger la carte de son compteur à budget avant d’utiliser l’énergie. Le compteur à budget peut aussi être placé à la demande d’un CPAS ou du client lui-même, mais ces cas sont bien moins fréquents. «Même si de plus en plus de personnes viennent nous trouver pour pouvoir l’installer chez eux, car ils veulent contrôler leur consommation d’énergie», constate Maria.

D’ailleurs, selon les chiffres de l’IWEPS, Seraing est la commune de Wallonie qui compte le plus de compteurs à budget actifs avec 9,69 %, la moyenne régionale étant de 4,25 %. Un taux qui permet de rendre compte de la précarité énergétique. Comme le relève l’Institut wallon, on observe une tendance à l’augmentation, depuis une dizaine d’années, de la proportion de compteurs à budget actifs, tant en gaz qu’en électricité. Témoignage d’une paupérisation accrue d’une partie de la population wallonne. «J’ai déjà pensé à en installer un», confie une mère de famille pendant la séance. «Avec mes ados, la facture d’électricité est de plus en plus élevée. Mais vu la situation, on va devoir bousculer nos habitudes, revoir aussi la façon dont on consomme l’énergie. On n’a pas le choix…»

Seraing est la commune de Wallonie qui compte le plus de compteurs à budget actifs avec 9,69%, la moyenne régionale étant de 4,25%.

La séance s’achève. En guise de devoir, Maria invite les participants à amener leurs factures pour la prochaine séance. «Il faut dire que déchiffrer sa facture d’énergie relève de la gageure pour le commun des mortels», explique-t-elle. Pourtant, «une facture claire permettrait, pour les ménages les plus précarisés, de mesurer l’état de la dette, de comparer les prix des différents fournisseurs d’énergie». Bref, être concise pour rester lisible. «Cette séance vous permettra aussi de connaître le prix de l’énergie consommée et les différents tarifs. Pour rappel, comme le prix de l’énergie est fixé par le fournisseur d’énergie, c’est le seul montant sur lequel vous pouvez avoir une influence en comparant les prix de l’énergie», termine Maria.

Lors de la troisième et dernière séance, il s’agira alors d’aborder des trucs et astuces pour réaliser des économies d’énergie. «Ces ateliers collectifs amènent les gens à changer petit à petit de comportement dans leur manière de consommer l’énergie, mais il faut aussi se rendre compte que beaucoup de citoyens se trouvent dans des logements mal isolés, voire insalubres avec un gros problème de déperdition énergétique», confie Stéphanie Montulet. «Même s’ils se retrouvent dans des logements difficiles à chauffer parce que mal isolés, trop humides, il y a quand même des petits comportements qui permettent de diminuer leur facture d’énergie et de rendre leur consommation plus rationnelle», conclut-elle. Un petit miracle, en somme.

Des mesures fédérales pour faire face à la crise ?

Le gouvernement fédéral a décidé une série de mesures pour réduire la facture énergétique. Ainsi, le tarif social élargi a été prolongé jusque fin septembre. Cette mesure avait été mise en place à la suite de la crise sanitaire, un million de ménages à bas revenus bénéficient de cet élargissement. D’autres politiques fédérales ont été prévues :
• Une prime de 100 euros qui sera déduite de la facture d’électricité pour tous les ménages ;
• Une baisse de la TVA sur l’électricité et le gaz de 21% à 6%  jusqu’à fin septembre ;
• Pour les personnes qui se chauffent au mazout, une réduction de 200 euros s’appliquera à la facture. Même chose pour celles se chauffant au gaz propane ;
• Une réduction de la cotisation spéciale pour la sécurité sociale pour les bas et moyens salaires.
E. Dehon et C. Jeanmart, Échos du crédit et de l’endettement, n° 73

Des CPAS qui doivent s’adapter

Les ménages ne sont pas les seuls dépassés par la situation, les CPAS ont aussi du mal à suivre la cadence avec l’explosion de la demande d’aides. Comme expliqué par la Fédération des CPAS, la multiplication des mesures de soutien et de dispositifs d’aides complique encore plus la compréhension des citoyens et le travail des aides sociales. Il faut aussi faire face aux retards de prise en charge causés par la crise sanitaire. En effet, il était interdit en plein confinement d’effectuer des visites domiciliaires, sauf en cas d’urgence. Plusieurs situations jugées non impératives se sont dès lors détériorées. Dans ce contexte, les CPAS doivent recruter. Le processus est en marche, mais les renforts tardent à arriver. Le télétravail a aussi créé une fracture numérique et freiné la cohésion d’équipe. À tout cela s’ajoute un épuisement généralisé des travailleurs, certains changent d’orientation professionnelle ou vivent des burn-out à la suite de la charge massive de travail. D’autres s’interrogent sur le sens de leur travail en raison de l’incohérence et de l’incompréhension des mesures prises.

Nathalie Cobbaut, Échos du crédit et de l’endettement, n°73

Une précarité énergétique qui va aller croissant

 

Un ménage est énergétiquement précaire lorsque payer sa facture de chauffage ou d’électricité le met en difficulté financière. Pour le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté, il s’agit de l’incapacité pour un ménage d’accéder – dans son logement – à l’énergie qui lui est nécessaire, pour un coût abordable au regard de ses revenus.

D’après les derniers chiffres publiés par la Fondation Roi Baudouin, 20,7 % d’entre eux étaient ainsi concernés en 2019, donc bien avant la pandémie de Covid-19. À l’époque, ce constat était fait alors même que le climat était doux et une baisse importante du tarif payé par les ménages pour le gaz naturel était observée. Selon ce Baromètre, 15,1% ont une facture énergétique trop lourde par rapport aux revenus disponibles, un chiffre qui révèle la précarité énergétique mesurée. Qui plus est, 4,2% ont une facture énergétique anormalement basse par rapport aux ménages semblables, ce qui révèle cette fois une précarité énergétique cachée, avec pour ces ménages la nécessité de faire des économies drastiques sur ce poste ou encore celle de renoncer à se chauffer. Enfin, 3,6% craignent ne plus être capables de chauffer correctement leur logement pour raison financière (précarité énergétique ressentie).

Ce chiffre s’alourdit d’autant plus si l’on regarde de façon isolée la Wallonie et Bruxelles (respectivement 28,3 % et 27,6 %). Les ménages flamands, par contre, s’en tirent mieux (15,1 %).

Nathalie Cobbaut, Échos du crédit et de l’endettement, n°73

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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