Sans optimisme exagéré, il semble que l’on puisse annoncer la mise en service du fichier centralisé des avis de saisie pour le mois de novembre 2010. La Chambrenationale des huissiers de justice1, maître du fichier, communique en ce sens. Interview d’Éric Choquet, vice-président de la Chambre nationale des huissiers dejustice, qui n’exclut pas des maladies de jeunesse pour ce système unique en Europe.
– La loi du 29 mai 2000 vous a confié la mission de créer un fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession et de règlement collectif dedettes. Il a fallu dix ans pour qu’il voie le jour. Comment expliquer ce délai faramineux ?
On a souvent parlé de la mauvaise volonté des huissiers ou de leur frilosité à l’égard de cette idée de fichier centralisé. Je pensequ’il faut relativiser cette information. Pendant longtemps, il y a surtout eu des incertitudes très pesantes sur la faisabilité d’un tel projet. Il faut savoir que latraduction sur le plan technique d’actes juridiques n’a rien d’évident et qu’un tel fichier n’existe nulle part ailleurs en Europe : c’est unepremière. Par ailleurs, le nombre de partenaires autour de la table issus de secteurs variés n’a pas facilité les choses : cela nécessite beaucoup decoordination. La recherche d’un partenaire qui présente les reins assez solides sur le plan technique tout en ayant une connaissance de la terminologie et des contraintes juridiquesn’a pas non plus été évidente. S’il faut bien reconnaître que le dossier est resté en sommeil jusqu’en 2005, la réactivation de celui-cià cette époque a alors buté sur des accordages avec les ministres de la Justice successifs. Avec Laurette Onkelinx, les discussions furent laborieuses, notamment sur le plan dufinancement qui a été mis totalement à charge de la Chambre nationale : à l’époque, on parlait de 500.000 euros, on est au-delà aujourd’hui.La chute du gouvernement en 2007 n’a rien arrangé et la nouvelle équipe gouvernementale ne considérait plus ce dossier parmi ses priorités. Avec le remplacement duministre Jo Vandeurzen par Stefaan De Clerck et la mise en place du nouveau comité de direction de la Chambre nationale, le dossier a été relancé de manière activeet a permis d’avancer rapidement.
– Avec ce fichier centralisé et informatisé, qu’est-ce qui va changer ?
En réalité, le principe consiste à centraliser les informations consignées actuellement de manière manuelle dans les différents greffesd’arrondissement, dans une banque de données électronique unique qui reprendra les avis de saisie de biens meubles ou immeubles, les avis de commandement préalable àune saisie-exécution immobilière, les constats de carence, les délégations de sommes, les cessions de rémunération ou de sommes et les décisionsd’admissibilité d’un règlement collectif de dettes.
L’organisation d’un tel fichier va donc permettre à terme l’encodage, ainsi que la consultation électronique de ces avis pour tout le pays, par une séried’utilisateurs dûment accrédités. Pour ce qui est de l’encodage, ce seront les mêmes acteurs que pour le fichier papier qui sont visés : leshuissiers de justice et les receveurs des Finances de manière prépondérante et pour certaines mentions, les greffiers et les médiateurs de dettes (en matière dedécision d’admissibilité d’un RCD).
La loi prévoit une consultation possible par les avocats, les huissiers de justice, les receveurs des Finances, les notaires, les médiateurs de dettes, les juges des saisies et leursgreffiers, ainsi que la Banque nationale. C’est via cette dernière que les prêteurs accéderont aux données du fichier des avis de saisie (loi du 10 août 2001,article 10), consultation qui sera obligatoire au même titre que celle de la Centrale positive. Cette consultation ne sera autorisée qu’aux détenteurs de codes individuelsd’accès, pour leur usage exclusif. Toute demande nécessitera l’identification du requérant, l’identification précise de la personne sur qui porte laconsultation et l’objet de la demande. Pour certaines professions comme les avocats ou les notaires, cette consultation se fera à l’intervention de leur ordre professionnel, que cesoit l’OBFG ou l’OBV pour les avocats ou la Fédération royale des notaires de Belgique pour ces derniers. Pour ce qui est des médiateurs de dettes, s’ils sontavocats ou notaires, ils accéderont au fichier via ces ordres. Pour les travailleurs sociaux, cet accès s’effectuera à l’intervention du greffe du tribunal depremière instance concerné ou le CPAS.
– Tout le monde est prêt ? Le fichier sera opérationnel à quelle date ?
La mise en œuvre du fichier sera effective pour le mois de novembre : avant cela, le projet d’arrêté d’exécution de la loi de 2000, soumis à lasanction royale en septembre, doit paraître au Moniteur belge et le comité de gestion et de surveillance doit être installé : la date du 23 octobre estprévue pour ce faire et celle du 25 octobre, pour le lancement officiel du fichier. Durant le mois d’octobre, une phase de testing du système va être opéréecar il ne faut pas exclure des maladies de jeunesse d’un tel dispositif. Il faudra sans doute un peu d’indulgence dans les premiers temps d’utilisation. Le comité de gestionet de surveillance devra aussi faire une proposition pour le coût de la consultation qui sera payante pour une série d’utilisateurs, dans le but d’amortir le coût dusystème.
Il y aura de toute façon une phase transitoire de trois ans durant laquelle coexisteront le fichier papier et le fichier informatisé, étant donné que la solution descanning des avis existants s’est avérée irréalisable. Étant donné la durée de validité de trois ans des avis et le fait que tous les nouveauxavis seront enregistrés électroniquement, le fichier électronique sera optimal à l’issue de cette période, à l’exception peut-être pour lesdécisions d’admissibilité des RCD du fichier papier, dont les plans portent sur plus de trois ans. Pendant trois ans, une double consultation – sans fraissupplémentaires – sera en tout cas nécessaire.
Quant aux différents partenaires, d’après nos informations, la Banque nationale et le SPF Finances ne seraient pas prêts à offrir l’accès avant2011.
– Quels sont les atouts d’un tel fichier centralisé ? On dit que les huissiers ont traîné car une telle information centralisée ne leur serait pasprofitable. Est-ce exact ?
On parle de ce fichier comme un outil de lutte contre le surendettement car il va permettre une meille
ure visibilité de la santé financière des particuliers. Le fait que lesprêteurs soient amenés à consulter ce fichier représentera une mesure de prévention supplémentaire pour éviter l’octroi de prêts demanière excessive. Par ailleurs, des analyses statistiques pourront être effectuées : la réglementation prévoit la possibilité de transmettrecertaines données à la demande d’autorités, telles que le SPF Économie, le Bureau du Plan, la Banque nationale et les Chambres législatives,fédérales et fédérées.
En matière de saisies, si la consultation du fichier papier avait déjà pour but de s’enquérir des procédures déjà en cours oueffectuées récemment, le fichier centralisé devrait permettre une efficacité renforcée de cet objectif car le système actuel n’était pasoptimal. C’était notamment le cas pour les RCD dont les huissiers n’avaient pas toujours connaissance, ce qui pouvait créer des tensions avec les médiateurs de dettesen cas de saisies lancées dans l’ignorance de l’existence d’un règlement collectif. L’accès au fichier sera également bien plus aisépuisqu’une simple consultation en ligne sera possible à terme, consultation 24 h sur 24 alors qu’actuellement les greffes ne sont ouverts que de 8 h 30 à 16 h. Lesdonnées, actualisées en ligne également, devraient être plus précises.
Certains disent aussi que les saisies à répétition devraient diminuer, mais je ne suis pas sûr qu’elles soient si fréquentes. Je tiens tout de mêmeà rappeler que le rôle de l’huissier n’est pas d’effectuer des saisies à tour de bras, mais de trouver une solution. Dans les dossiers relatifs à despersonnes surendettées ou en situation de grande précarité, une meilleure évaluation de la situation pourra certes éviter l’utilisation de la saisie quin’est pas un bon outil dans ces circonstances, mais pour les autres dossiers, il s’avère efficace et continuera d’être mis en œuvre.
1. Chambre nationale des huissiers de justice :
– adresse : av. Henri Jaspar, 93 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 538 00 92
– site : www.gerechtsdeurwaarders.be