Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Terre en vue, sol en vie

Des citoyens et des mouvements s’organisent pour rendre à la terre son titre de mère nourricière. Le projet « Terre en vue » intègre unevision de société.

15-11-2011 Alter Échos n° 326

Face à l’accaparement des sols pour des pratiques non culturales, des citoyens et mouvements s’organisent pour rendre à la terre son titre de mèrenourricière. Mais le projet « Terre en vue » dépasse le simple cadre agricole. Il intègre, dans sa manière de se construire, une vision desociété.

« En sept ans, la Wallonie a perdu 20 % de ses productions agricoles », « la Belgique perd en moyenne 450 hectares destinés àl’agriculture par semaine ». Maarten Roels1, chercheur géographe à l’université de Gand, égrène les chiffres de notre agriculturecomme un chapelet de mauvaises nouvelles.

A 200 kilomètres de là, le directeur pensionné et néo-rural Jean Vanderelst2 pose les mêmes constats. Responsable d’un GAC (groupe d’achatcommun) dans la région de Rochefort, il croise les lamentations de jeunes agriculteurs de plus en plus dépités par des terres inaccessibles. « En Ardenne, laspéculation foncière joue à fond. De gros capitaux viennent investir et sortent des terres de l’agriculture »

Mais Maarten et Jean ne se contentent pas de diagnostiquer la santé défaillante des exploitations agricoles. Leurs réflexions se sont croisées au sein de« Terre en vue », un mouvement rassemblant une quarantaine d’individus et d’associations. L’originalité de l’initiative est de travailler autantl’objectif (permettre à des agriculteurs l’accès à la terre selon des pratiques d’agroécologie) que la cohésion des acteurs (via des pratiquesd’économie sociale) et le processus de mise en place (via des pratiques de sociocratie). En bref, le cheminement et la rencontre ont autant de valeurs que la destination finale.

Sur le champ

Reste à concrétiser dans la terre ce qui est sur papier. Pour y parvenir, trois structures ont vu ou verront le jour. D’abord l’asbl « Terre envue ». Sa création est imminente. Les statuts sont prêts. Les signatures arrivent. Son rôle est avant tout d’accompagner l’agriculteur, d’informer lecitoyen et de sensibiliser le politique à la cause d’une terre dédiée à l’agriculture.

Ensuite, une coopérative sera créée en 2012. Elle rassemblera les épargnes pour l’achat de terres qu’elle proposera en location aux agriculteurs. Sil’idée émane de Bruxelles, cette coopérative semblait tout aussi nécessaire pour les Ardennais. « Dès le départ, dans la région, nousavons réfléchi à la notion de coopérative avec le groupe Colibri Famenne [NDLR en référence au mouvement initié en 2006 par Pierre Rabhi], maisl’initiative uniquement au niveau local n’avait pas beaucoup de sens, explique Jean Vanderelst. Si la dynamique locale est privilégiée, la gestion nationale des ressourcesfinancières permet de pérenniser les projets ».

L’expertise financière de Crédal sera la bienvenue sur ce volet. « L’accès au foncier est un des angles sur lequel nous travaillons, expliqueJérôme Rassart3, agronome et conseiller à Crédal. Crédal prêtera également des fonds aux candidats agriculteurs. « Le secteur bancaireclassique finance l’agriculture traditionnelle. Un producteur de lait ne pourra valoriser sa production dans son plan financier qu’à hauteur de 33 centimes d’euros du litre. Ets’il envisage de garder une part pour produire du fromage à vendre sur marché local, ce paramètre ne sera pas pris en compte. Trop risqué. Mais si on veut uneagriculture plus familiale, locale et soutenable, on doit pouvoir avoir une maîtrise sur la vente directe. »

Troisième structure qui verra le jour en 2012 à côté de l’asbl et de la coopérative, une Fondation permettra de recueillir les dons de terres oud’argent.

Et ensuite ? La vision des « Terre en vue » dépasse les champs ardennais. Pour Maarten, « si on peut montrer qu’une agriculture est vivable etviable sans subsides, avec un ancrage local, on démontre que la condition primordiale économique est de relocaliser les activités dans un circuit court, de tisser des liens entrela production et la consommation, avec des méthodes participatives. A terme, d’autres secteurs pourront s’en inspirer ». Reste à disséminer lesgraines.

1. Marteen Roels, Universiteit Gent, Vakgroep Geografie,

– Krijgslaan 281, S8 à 9000 Gent
– tél. : 09 264 46 95
– courriel : maarten.roels@ugent.be
2. Jean Vanderelst :
– adresse : rue de Tellin, 73 à 5580 Wavreille
3. Jérôme Rassart, Crédal :
– place de l’Université, 16 à 1348 Louvain-la-Neuve
– tél. : 010 48 35 98
– couriel : jerome.rassart@credal.be

– site : www.credal.be

Olivier Bailly

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