Les 1er, 2 et 5 décembre dernier, cinq comédiens ont présenté le spectacle de théâtre-action « Amorces » aux détenus desprisons de Namur et de Marneffe : cinq représentations de leur vécu sur le travail. Le spectacle, créé et mis en scène grâce à un partenariat entre leThéâtre de la Communauté1 et la cellule « Réinser » du CPAS de Liège, fait coup double dans le sens de la réinsertion, tant pour lescomédiens sous contrat article 60 que pour les détenus. Voilà une manière artistique de rencontrer une population pour laquelle la réinsertion après laprison n’est pas le moindre des problèmes.
Créer des liens avec la société et ceux qui sont hors société
Soutenus par l’expertise des professionnels du Théâtre de la Communauté, les cinq comédiens – Anne Deville, Ramunia Duobaite, Jean Ditende, Mario Guzman Fairas, JulieBurg – mettent en jeu dans ce spectacle leurs expériences de vie et de travail. Dans la chapelle de la prison de Marneffe, en dessous d’une vaste bâche en plastique transparent, ilsémergent pour raconter leurs expériences bousculées de travail ou de non-travail. L’une a chanté dans les restaurants pour se faire quelques sous. L’autre, originaire duCongo, préfère écrire sur des murs imaginaires la violence destructrice « des militaires qui empêchent les paysans de travailler dans les champs ». Un autreraconte son périple d’immigré. Une autre met en scène son petit boulot sous les yeux voyeurs de son patron de passage. Les comédiens se racontent en plein milieu du publicdes détenus installés en face à face. Chacun peut lire sur les visages placés comme en miroir.
À la fin de la représentation, les détenu(e)s ne se sont pas privés d’intervenir : « Si on n’a pas de travail, on est vus comme des insectes, on n’est rien dutout », dit un détenu, ingénieur de formation. Un autre a vu dans le jeu du comédien originaire du Congo comme une « métaphore du génocide des millionsde juifs ». « Et que l’Afrique est un grand terrain de jeu pour la mondialisation. » « Il faut inculquer partout un système d’éducation car la communication peutnous sauver, ici comme en Afrique. » Et encore : « Les fils de pauvres, c’est dans la rue que tu les trouves. »
Marie, âgée d’une trentaine d’années et qui n’est plus qu’à quelques semaines de sa sortie de la prison de Namur, nous a communiqué ses impressions : « J’aiété très touchée que les comédiens expriment leur expérience personnelle. Cela nous montre que l’on peut s’en sortir malgré les difficultés.Comme la chanteuse qui nous a fait voir ce qu’est sa vie. On doit prouver que l’on est capable de s’en sortir. On peut être perdu si on n’est pas dirigé du bon côté. J’aiaimé que les acteurs prennent le micro pour se faire entendre. Il ne faut pas perdre espoir. Il faut se battre pour parvenir à un minimum. »
Permettre aux détenus de devenir acteurs plutôt que victimes
Mêlée au public à Marneffe, Valérie Ducat, consultante en justice réparatrice, nous a exprimé son intérêt pour le projet : « Ma fonctionconsiste à faire évoluer la structure pénitentiaire pour parvenir à une justice réparatrice. Pour faire en sorte que le détenu vive dans des conditionsproches de la vie réelle. Je suis partante pour des projets qui donnent du sens, qui permettent aux détenus de devenir des acteurs plutôt que de se poser en victimes. »Catherine Vaisière, chargée de la coordination des activités culturelles et sportives dans les prisons de Huy et de Marneffe a insisté sur le fait qu’un détenun’est pas privé de tous ses droits. « Excepté la privation de liberté, il a droit à une vie normale et a accès à la culture, au sport. »
Séverine Delcominette, consultante en justice réparatrice à la prison de Namur, est elle aussi enthousiaste : « Le travail après leur détentionpréoccupe les détenus. Sur tous les détenus qui travaillent ou se forment dans l’établissement (plusieurs centaines), il y a une quarantaine d’hommes et une quinzaine defemmes qui ont choisi d’assister à la représentation au lieu de travailler ou de se former et ils ont été payés comme s’ils travaillaient ou se formaient (quelquescentimes de l’heure). Certains ont maintenant envie de participer à un atelier de théâtre en prison. Certaines détenues qui ont déjà vécu plusieurssorties de prison ont exprimé les difficultés qu’elles rencontrent face aux exigences de plus en plus grandes pour trouver du travail, un logement, retrouver une place dans lasociété – avec, en plus, le handicap de la détention. »
Faire exister une culture des gens de tous les jours
Le spectacle « Amorces » n’est qu’une étape d’un vaste projet, qui prévoit en juin 2006 la rencontre de tous les publics auxquels aura étéprésenté le spectacle. Un second spectacle sera composé avec les apports de chaque public. Le scénographe, Daniel Lesage, exprime ainsi la philosophie duThéâtre de la Communauté : « Créer c’est faire exister toute une culture qui n’existe pas, une culture des gens de tous les jours. Faire un spectacle qui soit le plusfort, le plus juste possible pour transformer, pour interpeller les gens. Pour ne pas laisser les autres penser à sa place. Pour faire de l’art dans le sens de créer desreprésentations du monde qui soient interpellantes, interdites, nouvelles, subversives. »
1. Théâtre de la Communauté, av. du Progrès, 17 à Seraing – courriel : ac.tc@teledisnet.be – fax. : 04/33809 35 – GSM : 0497 54 96 17 (Marie Vienne). Le spectacle est reconnu par les tournées Art et Vie. Claire Vienne (metteuse en scène) , Daniel Lesage (scénographe), Roxane Stubbe(animatrice).