Économiste de formation, Thibaud De Menten travaille depuis sept ans sur les questions relatives à l’énergie. Il s’y est d’abord intéressé en partantde la question environnementale chez Inter-Environnement Wallonie. Actif au sein du Rwadé (Réseau wallon pour l’accès durable à l’énergie)1depuis sa création en octobre 2005, il observe depuis un an les difficultés relatives aux paiements de factures énergétiques.
Alter Échos : Pourquoi avoir créé le Rwadé ?
Thibaud De Menten : « C’est avec Michele Di Nanno des Équipes populaires qu’a été constitué le Rwadé au départ. Il existait déjà unecoordination gaz électricité eau à Bruxelles depuis les années ’80 et on s’est dit qu’il était nécessaire de créer un réseau similaire enWallonie. On a vu arriver la libéralisation en même temps que l’augmentation du prix du baril de pétrole. Ce qui nous a fait craindre pour l’accès futurà l’énergie. En fait, ce n’est pas forcément l’accès à l’énergie qui pose problème, c’est l’accès auxservices que l’énergie permet de produire. Dans le même temps, on s’est aperçu qu’il était parfois plus intéressant d’agir sur laqualité du logement que sur les factures. Puis, avec la libéralisation, des questions sont aussi rapidement apparues sur le terrain : Comment s’adresser à un fournisseur ?C’est quoi, le marché ? »
AE : Comment les travailleurs sociaux gèrent-ils cette nouvelle situation ?
TDM : « Tout cela était inconnu des travailleurs sociaux il y a un an. Dans les cycles de formation du Rwadé, on constate une méconnaissance des textes et de laréglementation. Les travailleurs sociaux sont souvent livrés à eux-mêmes. On est surpris du succès des formations. On a eu 170 inscrits alors que les délaisétaient très courts. Les travailleurs sociaux commencent aussi à se renseigner ailleurs qu’à la Cwape (Commission wallonne pour l’énergie). À Tournai, desassistants sociaux ont par exemple décidé de se voir régulièrement pour partager leurs expériences et les difficultés qu’ils ont rencontrées. Lecroisement des informations et des réglementations ne se fait pas toujours. Il y a des conflits d’interprétation sur les législations fédérale et wallonne. Unoutil comme un médiateur fédéral de l’Énergie tarde à arriver. La Cwape n’a pas mis sur pied un service de médiation équivalent pour lesménages, elle se contente pour le moment d’enregistrer les plaintes. Deux nouveaux décrets devraient améliorer la situation2, mais en attendant les travailleurssociaux qui connaissent bien les dispositifs sont un peu découragés :
• Tout d’abord, il est difficile de contester les factures auprès des fournisseurs. C’est seulement lorsqu’un CPAS menace de porter plainte auprès du SPFÉconomie que cela bouge.
• Du côté des plans d’apurement de dettes, il n’existe pas grand chose. Avec la libéralisation, on constate surtout que les fournisseurs ne souhaitent plus ces plansd’apurement.
• La législation est floue.
• Lors du placement d’un compteur à budget, on ne relève pas le compteur. En fait, les dettes sont calculées sur la base des factures mensuelles impayées quicorrespondent à une estimation de ce que sera la consommation annuelle. Ce n’est que lors du relevé annuel du compteur qu’il y a régularisation. Du coup, au lieu d’agir surdes dettes réelles, on agit sur des dettes estimées.
• Enfin, il y a des délais importants entre la modification des arrêtés et leur concrétisation sur le terrain.
Quant à nous, au Rwadé, on essaie de faire partie de ce dispositif pour faire remonter l’information plus vite auprès des autorités publiques. »
AE : Sur quoi portent les formations « Quel accès au kWh libéralisé » ?
TDM : « Elles sont destinées aux travailleurs et aux animateurs sociaux. On y aborde la question de l’évolution des secteurs électriques et gaziers, ce que signifiepasser un contrat (implications, changer de fournisseur, résilier un contrat), ce qu’est un ‘client protégé’, les procédures en cas de difficultés de paiement, leplacement de compteurs à budget, l’intérêt ou non d’aller en justice ou encore les aides ponctuelles (chèques mazout, etc.) et structurelles (amélioration dulogement et de ses équipements). »
AE : Y a-t-il des limites à l’action des travailleurs sociaux ?
TDM : « Bien sûr. Les travailleurs sociaux ne sont pas des techniciens. Et inversement. L’enjeu est qu’ils parviennent à identifier si la surconsommationrésulte de comportements. Or, ce n’est pas forcément le cas. Le bâtiment joue aussi. Il faut donc des compétences techniques. Maintenant, si c’est un technicienqui visite le logement, ce n’est pas simple pour lui d’établir une relation de confiance. Le fait de différencier les acteurs ne facilite pas le relationnel.
Il y a aussi des travailleurs sociaux qui en ont marre d’essayer de contacter les fournisseurs ou les gestionnaires de réseau de distribution (GRD) – qui placent les compteursà budget – qui sont tout simplement injoignables, pour régler des choses dont on peut se demander si elles relèvent encore de l’aide sociale. Du coup, les facturestéléphoniques de certains CPAS augmentent considérablement. Pire, il a fallu ajouter des lignes supplémentaires parce que les supérieurs hiérarchiquesn’arrivaient plus à joindre leurs assistants sociaux qui passent leur temps à essayer de joindre les fournisseurs ou les GRD. »
AE : Justement, vous soulevez la question : est-ce qu’accompagner un ménage dans le choix d’un fournisseur d’énergie fait partie de la tâche d’untravailleur social ?
TDM : « C’est délicat. Dans certains cas, cela peut s’avérer nécessaire. Mais est-ce vraiment son travail ? Et si le contrat choisi avec l’assistant socialest inadapté à la consommation du ménage ? Quand je donne des séances d’information, le public est étonné d’apprendre que le contenu porte surles pratiques de commerce, de ce qu’est un GRD… Les gens sont en général choqués. Ils veulent des réponses simples : qu’est-ce qui est le moins cher, etc. Maisen même temps, ils comprennent mieux à quel point c’est compliqué. Ils sont impressionnés par le nombre d’informations dont il faut disposer pour pouvoir serenseigner correctement. On dit que 50 % des ménages wallons ont changé de fournisseur, mais en quoi est-ce un choix réfléchi ? Se sont-ils seulement renseignés surle fournisseur qui offrait la possibilit&eacu
te; d’un plan d’apurement de dettes ? Les gens changent parce qu’ils ne sont pas contents du service chez l’un, mais rien ne leurpermet de comparer avec les services offerts chez l’autre. Les démarches qui impliquent un choix assumé sont assez importantes, donc ce n’est pas à la portée detous. La liberté de choisir, c’est bien, mais c’est contraignant. Le coût d’opportunité n’est pas intéressant. Ce serait intéressant de chiffrer le tempsconsacré à faire ce choix. »
AE : La libéralisation n’a donc pas été favorable aux ménages ?
TDM : « La libéralisation a été négative en termes de démarchages abusifs et négative pour les personnes n’ayant pas accès à Internet,car elles ne peuvent pas comparer les prix avec les calculateurs. Et puis, il y a encore beaucoup d’impacts non mesurés, qui vont devoir faire l’objet de législations. Des gens se sontvus couper le gaz ou placer un compteur d’électricité à budget alors qu’ils contestaient le montant de leur facture. Bref, la libéralisation n’est pas une bonnechose pour les ménages. J’ai déjà entendu des politiques le dire. Il y a certainement des choses qui pourront s’améliorer, mais d’autres persisteront. Je suiscurieux de voir les chiffres de 2007 concernant les demandes de coupure et les demandes de placement de compteurs d’électricité à budget. Apparemment, il n’y a pas eu decommissions locales d’avis de coupure (Clac) en 2007, entre autres parce que les CPAS étaient débordés à la fin 2006. Je suis aussi curieux de voir ce que donneral’évolution en 2008, avec les compteurs de gaz à budget qui commencent à arriver. »
1. Rwadé :
– adresse : route de Gembloux 48 à 5002 Saint-Servais
– tél. : 081 71 13 65
– courriel : thibaud.dementen@rwade.be
2. Ces textes sont encore au stade d’avant-projets, mais ils visent à améliorer la qualité des services des fournisseurs et des gestionnaires de réseau de distribution(service de gestion des plaintes, création d’un service régional de médiation, etc.), instaurer des mécanismes d’indemnisation du client final lésé,renforcer les mesures de protection sociale existantes et améliorer le fonctionnement du marché.