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Démocratie

Tirage au sort: révolution
ou gadget démocratique?

A Bruxelles, 40 citoyens tirés au sort débattront de la mobilité. Une première pour la région, même si d’autres expériences ont vu le jour en Belgique comme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Laisser le hasard composer des assemblées délibératives, fortune assurée ?

À Bruxelles, 40 citoyens tirés au sort débattront de la mobilité. Une première pour la région, même si d’autres expériences ont vu le jour en Belgique comme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

À partir du 21 octobre, et à quatre reprises jusqu’au 19 novembre, 40 citoyens travailleront et formuleront des propositions sur la mobilité à Bruxelles. Un comité scientifique composé d’universitaires et d’experts supervisera les débats. Les recommandations citoyennes seront débattues au parlement et transmises au gouvernement et aux administrations afin d’alimenter le plan régional de mobilité, dont la finalisation est prévue en 2018.

«On se sent plus fort à porter une idée à plusieurs, fruit d’un consensus, que de garder la sienne pour soi.», Dimitri Lemaire, cofondateur de Particitiz

C’est l’association Particitiz qui est chargée de sélectionner les participants. Environ 8.000 citoyens habitant la région ont été extraits des pages blanches. Ensuite, le parlement bruxellois leur a envoyé une invitation à participer au panel et à s’inscrire sur un site web pour répondre à diverses questions sociologiques. En tout, 300 personnes se sont inscrites. Afin de représenter au mieux la population, le tirage au sort s’est basé sur divers critères comme le genre, le lieu de résidence, l’âge, le niveau d’études ou le mode de transport utilisé. Pour Dimitri Lemaire, cofondateur de Particitiz, une telle méthodologie permet de représenter globalement la population bruxelloise. «Même si l’idéal serait d’avoir accès au registre national», souligne-t-il, en précisant que son association fait du lobbying à ce sujet. Quand on lui parle de participation citoyenne, il vous reprend, en lui préférant le terme de délibération. «C’est une distinction importante: la participation, au sens large, permet à chacun d’avoir son mot à dire, de donner ses idées, mais cela reste généralement une collection d’avis individuels. La délibération permet aux citoyens, avec leurs avis, leurs opinions, de rencontrer d’autres citoyens, ce qui favorise l’échange et le débat pour formuler des propositions portées par un groupe.» Selon Dimitri Lemaire, il y a à travers ce processus délibératif le développement d’une nouvelle citoyenneté qui émerge de ces panels. «On se sent plus fort à porter une idée à plusieurs, fruit d’un consensus, que de garder la sienne pour soi.» Pour le cofondateur de Particitiz, ces processus délibératifs finiront tôt ou tard par s’institutionnaliser, en intéressant de plus en plus de citoyens. «C’est nécessaire parce que les citoyens ont envie de participer, d’avoir leur mot à dire… Le politique doit les reconquérir, en leur ouvrant la porte aux décisions de façon périodique et régulière.»

Un panel à quotas

Tandis que le parlement bruxellois lance ce premier panel citoyen, une autre assemblée vient presque d’en terminer avec cette initiative. En l’occurrence, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ici, il était question d’évoquer l’Europe et son avenir. Le débat s’est déroulé le 1er juillet et le 23 septembre et a rassemblé 94 citoyens. À l’instar d’une démarche parlementaire classique, la résolution tirée de ces deux journées a été présentée en commission et fera l’objet d’une présentation en séance plénière en novembre avant d’être transmise aux autorités européennes.

Contrairement au tirage au sort bruxellois sur la base des pages blanches, le panel francophone s’est fait sur celle d’un appel à candidatures, qui a intéressé un millier de citoyens. C’est l’ULB qui s’est chargée de la sélection. «On a essayé d’obtenir un panel qui se rapproche de la réalité francophone. On a eu une représentation proportionnelle en fonction des provinces, selon l’âge et le niveau de diplôme», précise Jean-Benoît Pilet, professeur de sciences politiques. Néanmoins, des corrections ont dû être apportées. «Par exemple, sur les 1.000 personnes candidates, on avait une surreprésentation de candidats diplômés de l’enseignement supérieur. On a corrigé cela, en fixant des quotas. On est arrivé aussi à constituer un panel avec 50% d’hommes, 50% de femmes alors qu’on sait qu’il y a des biais participatifs en défaveur des femmes.»

«Les personnes tirées au sort ont ressenti cette démarche comme un vrai travail, au-delà des clichés qu’on peut avoir sur le métier de parlementaire.», Philippe Courard (PS), le président du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles

De son côté, Philippe Courard (PS), le président du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, se réjouit de ce premier panel. «On est tous conscients que le citoyen a envie d’être entendu en dehors des périodes électorales, reconnaît-il. Une telle assemblée permet aux politiques d’être plus à l’écoute du citoyen, de pouvoir bénéficier de ses réflexions, de son travail. Pour les citoyens, c’est l’occasion de voir fonctionner les institutions, et surtout de découvrir qu’obtenir des consensus et de voter des textes, ce n’est pas aussi facile que cela. Les personnes tirées au sort ont ressenti cette démarche comme un vrai travail, au-delà des clichés qu’on peut avoir sur le métier de parlementaire. C’est tout aussi utile.»

Il a fallu deux années et quelques tractations politiques pour que le panel citoyen prenne forme: «Cela me tenait à cœur, mais c’était compliqué à organiser parce que certains députés étaient prudents, voire réticents face à cette démarche, par crainte qu’on vienne dénaturer le travail des élus, insiste le président de l’assemblée. Certes, il doit rester des élus et il ne faudrait pas non plus que les assemblées n’aient plus rien à dire et n’aient plus le courage politique d’aller à l’encontre de l’opinion publique sur certains sujets, mais cela ne doit pas dispenser de prévoir pendant la législature une association de citoyens sur certaines questions.»

Faire société

Pour Jean-Benoît Pilet, l’intérêt d’un tel panel est double tant en matière de production de résolution à destination des politiques qu’en matière de relations des citoyens à la société et à la politique. «Très régulièrement, pendant tout l’été, l’équipe de l’ULB a été sollicitée par les citoyens du panel pour avoir des informations complémentaires, pour recevoir de la documentation, pour poser des questions. En plus, certains ont fait un travail de relais de la population, en rencontrant des personnes qui avaient des profils différents du leur, en contactant dans leur commune ou leur province des chefs d’entreprise, des demandeurs d’emploi, etc. Ils ont pris à cœur ce relais des demandes citoyennes», constate le professeur de sciences politiques de l’ULB. Ce panel contribue aussi à donner aux participants une meilleure image des autres citoyens. «On constate dans nos enquêtes que les gens sont sceptiques, en arrivant, sur la capacité des autres citoyens à faire des compromis, à écouter les autres… Au final, ils sont beaucoup plus positifs sur les autres.» En revanche, là où il n’y a pas d’effet, c’est sur la vision des institutions représentatives: «On ne constate ni d’amélioration ni de détérioration du regard qu’ils portent sur les élus, les parlements… Ils comprennent que c’est compliqué, mais le regard sur le politique reste similaire alors que c’était une attente de départ de la démocratie participative de vouloir restaurer la confiance dans les élus.»

S’il faut voir ce processus comme une «manière de faire société» comme l’analyse le politologue, cela reste un mécanisme purement consultatif. «Le poids réel donné à ces initiatives dépend d’abord du bon vouloir des acteurs et de la pression publique ou médiatique qu’il pourrait y avoir autour de cette initiative, rappelle Jean-Benoît Pilet. Pour Bruxelles, on sent bien qu’à la fois la commission mobilité et Bruxelles Mobilité ont un grand intérêt à avoir cet ‘input’ participatif parce que les questions de mobilité sont des questions pour lesquelles les citoyens sont aussi des utilisateurs.» Mais, pour instituer un pouvoir formel autour de ces panels, il faudra qu’il y ait un retour positif sur les expériences actuelles et qu’il y ait une volonté politique d’aller plus loin dans ce processus. «Pour le moment, elle n’est pas présente en Belgique, mais, dans d’autres pays, elle existe comme en Irlande ou en Islande et a fait toutes ses preuves dans la prise de décision collective», conclut le politologue.

En savoir plus

«La participation, à quoi bon?», Alter Échos n°409, 9 septembre 2015, Olivier Bailly.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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