Comment financer les titres-services régionalisés? La Wallonie diminuera la déductibilité fiscale. À Bruxelles, on temporise.
Entre le rhume et le choléra, le gouvernement wallon a tranché. Ce sera le rhume. Tiraillé entre deux options pour assurer le maintien du système des titres-services, le sud du pays a choisi celle qui est souvent présentée comme la moins mauvaise: diminuer la déductibilité fiscale des «TS» pour le consommateur. Celle-ci passera de 30% à 10%. L’autre option – augmenter le prix par titre pour le client – n’a pas été retenue. Du côté de Bruxelles, on en est par contre encore au stade de l’incubation. Le système sera maintenu en l’état jusqu’à 2016. Le temps pour la Région d’explorer toutes les pistes.
Un moindre mal
Voilà quelques mois que l’on se demandait comment les Régions allaient s’emparer des titres-services. Régionalisé depuis le 1er juillet 2014, le système coûte cher. Trop? Il apparaissait en tout cas clair que les Régions allaient devoir trouver des moyens pour garantir son maintien. Et pour cela, plusieurs options étaient sur la table. Stimuler l’usage de titres-services électroniques, moins coûteux. Augmenter le prix des titres pour le consommateur. Celui-ci était déjà passé de 7 euros pièce en 2008 à 9 euros aujourd’hui pour les 400 premiers TS et 10 euros pour les suivants. Ou encore jouer sur la déductibilité fiscale pour le consommateur. En Wallonie, on a donc choisi cette dernière option. Elle fera mal. Mais moins que l’augmentation du prix par titre. Un avis que l’on retrouve à peu près chez tous les opérateurs actifs dans le secteur. «C’est la meilleure façon de faire», confirme Laurence Barbaix, présidente de la plateforme wallonne des agences locales pour l’emploi (ALE). Pour elle, toucher au prix des titres aurait été pire. «Lors de la dernière augmentation de la valeur faciale – NDLR: le prix par titre –, nous avions perdu beaucoup de clients.» Du côté du cabinet d’Éliane Tillieux (PS), ministre wallonne de l’Emploi, on note d’ailleurs que «l’analyse du système tend à prouver que la valeur faciale actuelle approche le prix de rupture pour le consommateur au-delà duquel un risque réel existe de voir glisser le travail déclaré vers un retour du travail au noir». Tous les opérateurs soulignent l’impact psychologique sur les clients d’une augmentation du prix. Alors qu’une baisse de la déductibilité serait plus discrète… «Vous remarquerez d’ailleurs que le gouvernement wallon n’a pas beaucoup communiqué sur cette décision», suggère Arnaud Le Grelle, directeur Wallonie-Bruxelles chez Federgon, la fédération des prestataires de services RH.
Autre point important: les clients ressentiront les effets de la baisse de déductibilité dans un an et demi. De l’eau aura donc déjà coulé sous les ponts… Ne risque-t-on néanmoins pas d’avoir un effet de bombe à retardement? «Il y aura bien un effet retard, admet-on chez Unipso, l’Union des entreprises à profit social. Mais nous faisons le pari que cela n’impactera pas trop la consommation de titres. Le remboursement par le biais de la déductibilité est considéré comme une bonne surprise par les clients.» Cela étant, la baisse de déductibilité devrait tout de même avoir un effet sur la consommation des TS en Wallonie. Principalement pour les plus faibles revenus, d’après Laurence Barbaix. «Cette baisse de déductibilité n’aura pas le même effet sur les hauts ou les bas revenus. Pour ces derniers, ça va peut-être devenir compliqué.»
Remboursés à 100%?
Quoi qu’il en soit, la Région wallonne aura bien besoin de ces sous. Dans sa déclaration de politique régionale, elle s’est en effet engagée à «lier la valeur de remboursement du titre à l’entièreté de l’inflation afin de garantir la pérennité des emplois à long terme». Voilà des années que certains opérateurs TS se plaignent à ce propos. Entre 2006 et 2011, le salaire moyen d’un travailleur «TS» est passé de 8,76 euros de l’heure à 10,54 euros sous l’effet de l’indexation et de l’ancienneté. Une bonne nouvelle pour les travailleurs, moins bonne pour certains employeurs. La valeur de remboursement des titres-services (ce que l’opérateur reçoit pour chaque titre de la part du gouvernement) ne suit pas complètement cette évolution salariale. Aujourd’hui fixée à 22,04 euros, «elle devrait être d’au moins 25 euros si elle avait suivi l’indexation des salaires», nous expliquait en septembre 2014 Nathalie Garcia-Hamtiaux, directrice d’Unitis, l’Union des entreprises titres-services.
Les intentions contenues dans la déclaration de politique régionale semblent donc positives pour les opérateurs. Reste à savoir comment le gouvernement va s’y prendre. Les sous dégagés par la baisse de déductibilité seront-ils suffisants? «Avec l’indexation faible actuelle, le gouvernement ne prend pas beaucoup de risques, note Arnaud Le Grelle. Ce sera moins cher que la déductibilité.» Du côté du cabinet d’Éliane Tillieux, on est prudent. «La Région wallonne mettra cette proposition en œuvre dans la mesure des moyens disponibles, c’est d’ailleurs pour cela que cette indexation ne sera d’application qu’à partir de 2016», nous dit-on…
Élargir à l’extrascolaire?
À Bruxelles, on a plutôt choisi de patienter. Dans sa déclaration de politique régionale (DPR), le gouvernement avait décidé qu’il assurerait le maintien de la mesure «dans un cadre budgétaire maîtrisable». Une ligne qui laisse aussi toutes les portes ouvertes. Tout comme Didier Gosuin, ministre bruxellois de l’Emploi: «La DPR parle de cadre budgétaire maîtrisable. Cela ne veut donc pas dire que rien ne va bouger, explique-t-il. Il ne faut pas faire exploser le budget, mais il faut aussi penser au fait que le secteur est dans une situation compliquée. Je suis donc très attentif à la question de la valeur de remboursement. Mais en 2015, je pense qu’il est prématuré de toucher à l’un ou l’autre paramètre. Il faut d’abord finir les transferts aux Régions.»
Il est vrai que le travail n’est pas terminé. Notamment concernant la société censée émettre les titres-services. Au niveau fédéral, c’était Sodexho qui s’en chargeait. Ce sera encore le cas pour 2015. Mais à partir de 2016, ce sera aux Régions d’émettre les titres. En choisissant chacune un émetteur. «Or les marchés publics ne sont pas encore lancés au niveau régional. Il est presque déjà trop tard pour être prêt en 2016, s’inquiète-t-on du côté de Federgon. Et si les titres-services ne sont pas émis, cela veut dire que les travailleurs ne seront pas payés…»
Une fois les transferts finis, il faudra pourtant trancher. Et les choix seront peut-être compliqués à effectuer. Une analyse réalisée par Ipsos à Bruxelles montre que les Bruxellois sont logiquement très attachés à la déductibilité fiscale. Soixante pour cent d’entre eux la considèrent comme très importante. Pour le prix par TS, 62% des clients seraient prêts à payer plus que les 9 euros actuels… mais les 10 euros par titre constituent une frontière psychologique. Seulement 52% des clients accepteraient de payer ce prix. À 10,5 euros le titre, on passe à 21%… Le tout dans un système qui, d’après Didier Gosuin, continue de croître à Bruxelles.
Dans ce contexte, inutile de préciser qu’il accueille assez fraîchement une idée lancée fin janvier par Benoît Cerexhe, ex-ministre de l’Emploi à Bruxelles. Qui dit constater, lui, une baisse de l’activité TS à Bruxelles en 2014. Sans entrer dans une guerre des chiffres, notons que le chef du groupe CDH à la Chambre propose d’élargir les titres-services au secteur de l’accueil extrascolaire. «Attention, cela ne concerne pas la garde d’enfants en milieu scolaire, dans les heures d’école. On parle plutôt de baby-sitting, des personnes qui vont chercher les enfants à l’école, etc.», précise-t-on au cabinet de Benoît Cerexhe. Une proposition que Didier Gosuin balaye. «Nous en sommes à réfléchir aux moyens d’assurer le maintien du système. L’élargir, et le faire croître encore, ce n’est pas une bonne idée.»
Aller plus loin
Alter Échos n°387-388 du 08.09.2014 : «Quel financement pour les titres-services régionalisés?»
Alter Échos n°386 du 14.07.2014 : «Les titres-services à la croisée des chemins»