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Emploi/formation

Titres-services : tournez ménages

Depuis son lancement en 2001, le système des titres-services n’a cessé de faire parler de lui. Avec des constantes notamment pour les travailleurs, celles d’un métier mal payé, pénible et peu considéré alors que le secteur est largement financé par les pouvoirs publics. Si la Wallonie a réformé ce système pour améliorer les conditions de travail des aides ménagères, on attend toujours la même chose à Bruxelles.

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Les négociations ont été longues, trop longues même entre les interlocuteurs sociaux des titres-services. Il a fallu attendre le mois de juin pour qu’un projet d’accord sur les salaires, les frais de déplacement et les conditions de travail des aides ménagères puisse voir le jour tandis que les négociations sectorielles étaient à l’arrêt depuis l’hiver dernier. La principale pierre d’achoppement concernait le remboursement des frais de déplacement, une vieille revendication que la flambée des prix des carburants a rendue plus urgente que jamais. Les déplacements entre deux clients n’étaient pas considérés comme du temps de travail. Ce n’est pas la première fois que les négociations traînent dans un secteur où trois aides ménagères sur quatre rencontrent des difficultés financières, comme l’indiquait une étude de la CSC Alimentation et Services parue en 2021, le salaire horaire dans le secteur étant l’un des plus bas comparé à d’autres secteurs d’emploi féminin et peu qualifié. Et cette situation risque de se dégrader, vu l’inflation en Belgique qui rencontre son niveau le plus élevé depuis plus de 40 ans.

À ce sujet, Alter Échos résumait le système à ces mots en 2005: «un peu de rose et beaucoup de noir» pour décrire un secteur «au succès aussi inattendu que grandissant» – plus de huit consommateurs sur dix utilisent des titres-services pour le nettoyage de leur maison, mais mis au service d’une «logique de précarisation et de flexibilisation du travail» (Alter Échos, n°192). Tout au long de ces années, la «souffrance» du système des titres-services a été mise en avant dans nos articles. Une souffrance liée aux conditions de travail des aides ménagères, mêlant à la fois faiblesse salariale et pénibilité dans un secteur majoritairement féminin (98%) et peu qualifié (46%). De plus, les aides ménagères sont en moyenne plus âgées que les autres femmes professionnellement actives: près d’un tiers ont plus de 50 ans. D’ailleurs, comme nous l’indiquait en 2020 Barbara Lazaridis, déléguée syndicale FGTB et employée de l’entreprise Trixxo, «c’est un métier très pénible physiquement, car les gestes sont répétitifs. Beaucoup de femmes ont des tendinites, des douleurs au dos et aux genoux. Il n’est pas rare d’avoir des collègues en congé maladie pour des problèmes de santé ou de souffrance psychologique» (, n°480). Plusieurs études abondent en ce sens. Selon celle d’Idea Consult, 72% des aides ménagères en Wallonie ont été absentes au moins une fois en 2017 pour raison médicale contre 63% dans la population belge, et 19% l’ont été pour plus d’un mois. Mais outre les douleurs physiques, il y a aussi le stress. «Nous sommes coincées entre, d’une part, les clients, qui attendent un service pour lequel ils paient, et, d’autre part, les entreprises qui veulent la rentabilité à tout prix», dénonçait encore la déléguée syndicale.

Système trop flou

Dans ses pages, Alter Échos s’est souvent penché sur cette course aux bénéfices engendrés par certains opérateurs alors que les titres-services sont largement financés par des deniers publics, à hauteur de 70%. «Les bénéfices sont une réalité, il ne faut pas le cacher», déclarait alors la Fédération wallonne des entreprises d’insertion en 2008 (, n°249). «La vraie question n’est pas de savoir qui en engrange le plus, mais plutôt de savoir ce que l’on va faire de cet argent. Le système des titres-services est beaucoup trop flou à ce niveau-là…»

«Nous sommes coincées entre, d’une part, les clients, qui attendent un service pour lequel ils paient, et, d’autre part, les entreprises qui veulent la rentabilité à tout prix.» Barbara Lazaridis, déléguée syndicale FGTB et employée de l’entreprise Trixxo

Avec des disparités entre Régions: ainsi, à Bruxelles, et contrairement à la Wallonie, la grande majorité des sociétés de titres-services relèvent du privé commercial. C’est le cas de 81% d’entre elles, selon une étude d’Idea Consult en 2020. Le reste se répartit entre asbl, agences locales pour l’emploi et CPAS. Mais, entre les deux, les régimes peuvent varier fortement avec des conditions plus disparates dans le privé commercial que dans le non-marchand. D’où aussi certaines tensions internes au secteur, y compris entre les acteurs commerciaux, comme nous le révélions en 2020, entre des acteurs historiques (Randstad, Daoust, e.a.) et ceux qu’on appelle dans le secteur les «nouveaux riches»: des entreprises nées après la régionalisation en 2015, ayant senti le bon filon. Selon les partenaires sociaux, ce serait ces dernières qui refuseraient de financer les augmentations de salaire des aides ménagères (, n°480).

Risque d’implosion

Et quand la crispation ne repose pas sur les bénéfices engrangés par certains opérateurs, c’est sur le risque d’implosion du système en tant que tel que les tensions peuvent apparaître. Et la régionalisation en 2015 n’a fait qu’accentuer la tendance, la question étant de savoir comment la Wallonie et Bruxelles allaient pouvoir maintenir un système qui coûte cher sans devoir venir serrer l’un ou l’autre boulon. Pour cause: le secteur des titres-services pèse de plus en plus lourd dans les budgets régionaux. Depuis la régionalisation du secteur, «la consommation des titres-services augmente davantage que les recettes des Régions», soulignait en 2020 le ministre bruxellois de l’Emploi, Bernard Clerfayt (DéFI). À titre d’exemple: les titres-services avaient coûté 220 millions d’euros à Bruxelles en 2019 contre 206,7 en 2015. «Ce système nous coûte de plus en plus cher et appelle à davantage de maîtrise budgétaire», insistait le ministre. D’ailleurs, à Bruxelles, une réforme régionale est toujours sur la table du gouvernement pour améliorer les conditions de travail des aides ménagères. Sans doute faudra-t-il s’attendre à une augmentation du prix du titre-service, actuellement fixé à neuf euros. Un levier financier souvent considéré comme «trop risqué», car il pourrait diminuer le nombre d’utilisateurs en les faisant revenir au travail au noir (, n°463). En attendant, en Wallonie, sous l’égide de la ministre de l’Emploi Christie Morreale (PS), une réforme du secteur a été votée par le gouvernement en 202. Elle prévoit de nouvelles obligations pour les entreprises comme le fait d’offrir aux travailleuses au moins neuf heures de formation chaque année, ou encore de veiller à ce que la moyenne de la durée de travail des travailleuses titres-services atteigne au moins 19 heures par semaine pour leur garantir un salaire suffisant.

De quoi rendre ce secteur imparfait un peu meilleur en somme, même si les travailleuses restent «enfermées» dans un système qui – lors de sa création en 2001 – devait sortir ces personnes du travail au noir en leur donnant accès à la protection sociale, mais aussi en leur permettant d’évoluer dans leur carrière vers des métiers moins pénibles et plus valorisés. Un peu de rose et beaucoup de noir, donc.

 

 

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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