Absentes des invités au séminaire consacré à la thématique des titres-services (voir encadré), les entreprises d’insertion sociale wallonnes ontnéanmoins un avis sur la question. Jean-Pierre Pollénus, directeur de la Fédération wallonne des entreprises d’insertion1, défend une voie médianeet prône un recadrage.
Sujet abondamment débattu ces dernières semaines, la question des titres-services est de celles que l’on peut qualifier de controversées… En effet, si le gouvernementfédéral, par l’entremise de la ministre de l’Emploi, Joëlle Milquet (CDH), songe sérieusement à étendre la « recette » à la garde d’enfantsavant, qui sait, l’extension à d’autres domaines, un nombre grandissant de voix dénoncent de leur côté les dérives et abus supposés, engendrés par unsystème qui fêtera son septième anniversaire le 20 juillet prochain. Précarité des emplois créés, coût élevé pour l’État,concurrence déloyale à l’égard des entreprises n’utilisant pas les titres-services ou encore possibilité de cumul avec des mesures d’aide à l’emploi sont ainsi aurang des doléances évoquées par les « anti ».
Aussi, au sein de ce débat houleux, la Fédération des entreprises d’insertion sociale défend une position qui, si elle n’est peut-être pas dénuéed’arrière-pensées, prône néanmoins une « voie du milieu » non dénuée d’intérêt. « Nous nous sentons quelquefois mal àl’aise dans le débat qui est fait autour des titres-services. Entre le « tout aux titres » et le niet absolu, nous pensons qu’il serait bon de recadrer quelque peu ledébat », affirme Jean-Pierre Pollénus, directeur d’Atout EI, la Fédération des entreprises d’insertion sociale. En fait, à bien écouter ce dernier,l’essentiel des questions soulevées par le système des titres-services proviendrait de son succès fulgurant et non attendu. « Quand ce système a étémis en place, personne ne pensait qu’il fonctionnerait aussi bien, continue Jean-Pierre Pollénus. Avec le succès qui est le sien, les politiques sont dès lors tentés del’étendre à tous les domaines, comme une sorte de recette miracle. Or, nous pensons que cette success story est peut-être due à une conjoncture bienparticulière [NDLR : un grand nombre d’aides ménagères « attendaient » de pouvoir sortir du travail au noir] et à la spécificité del’activité d’aide ménagère qui, rappelons-le, est la principale activité « à succès » des titres-services, qui s’y adaptentparticulièrement bien. Ce qui n’est pas forcément le cas pour les activités de repassage aujourd’hui reconnues [NDLR : rappelons que les titres-services couvrent des tranchesd’activité d’une heure. Le repassage, se comptant en « pièces repassées », est dès lors peu susceptible d’être adapté à ce systèmehoraire] ou pour la garde d’enfants qui nécessite des personnes plus qualifiées… »
En ce qui concerne les critiques du système, le constat est le même. Ainsi, à propos de la mauvaise « qualité » du travail offert ou de la possibilitéde cumul avec d’autres mesures d’aide à l’emploi, le directeur d’Atout EI déclare : « Les géniteurs de ce système étaient tellement convaincus que cela nefonctionnerait que de manière marginale, qu’ils ont offert la possibilité à quasi tout le monde de devenir employeur par le biais des titres-services. De facto, tout typed’employeur est donc devenu porteur d’une mission d’insertion socioprofessionnelle… Ce qui pose bien sûr de nombreux problèmes parce que tout le monde n’est peut-être pastrès scrupuleux au niveau de la qualité des emplois proposés… La possibilité de cumul avec d’autres aides à l’emploi participe du mêmephénomène. On a tellement voulu encourager la mesure, on était tellement peu sûr qu’elle était viable, que l’on a tout fait pour la pousser, quelquefois un peuà l’excès… » La question du devenir des personnes remises à l’emploi reste également posée. Limite des aides à l’emploi dans le temps, projet devie des prestataires de service (s’imaginent-ils « employés titres-services » pour longtemps ?), pénibilité du travail entraînant une indisponibilité,à terme, sur ce type de marché bien particulier. Autant de questions qui restent à régler.
Des effets positifs…
Néanmoins, Jean-Pierre Pollénus se garde bien de tirer sur l’ambulance. Les titres-services auraient également des points positifs : « Cette mesure a tout de mêmepermis d’offrir des emplois à un grand nombre de personnes qui travaillaient auparavant au noir et étaient exclues du marché de l’emploi « traditionnel ». Cela coûte biensûr de l’argent à l’État mais il faut savoir ce que l’on veut. Pour ce qui est de l’accusation de concurrence déloyale avec d’éventuelles entreprises fonctionnant endehors des titres-services, je crois que cela reste très marginal. Si l’on prend le secteur des aides ménagères, je connais bien peu d’entreprises qui pourraient êtrerentables en pratiquant le coût réel d’un tel service, qui est de plus ou moins 20 euros de l’heure. Il y a peu de monde qui peut se payer ça… Donc, la plupart desaides-ménagères, avant les titres-services, travaillaient au noir, pour pratiquer des prix abordables. Les entreprises d’aides-ménagères « classiques » étaient donc,et sont, très marginales. »
Cependant, malgré ce constat positif, la Fédération wallonne des entreprises d’insertion semble convaincue que l’âge d’or des titres-services est révolu. Etplaide, de ce fait, pour un maintien de la possibilité de cumuler les aides à l’emploi. « Il y a deux ou trois ans, on aurait peut-être pu envisager de supprimer cettepossibilité. Mais maintenant, cela me paraît utopique. Le système des titres-services se dirige vers une phase de ralentissement. » Et la fédération deprôner, dans ce cadre, pour une pérennisation des activités déjà développées avant de songer à étendre le système. « Si onn’augmente pas le budget, il nous paraît difficile d’élargir le champ d’action des titres-services. Il faut d’abord penser à pérenniser ce qui existe et puis recadrer lesystème, qui est un peu victime de son succès… »
Titres-services : chausse-trappe ou marche-pied pour les personnes pauvres ?
Le 27 mai dernier, à l’invitation du Service de lutte contre la pauvreté2, se tenait à Bruxelles un séminaire consacré àl’intérêt des titres-services pour l
es personnes pauvres.
Pour les uns, les titres-services sont un fabuleux cheval de Troie de la dérégulation des rapports de travail. Le Rapport 2007 du Service de lutte contre la pauvretérelève la proportion énorme de CDD successifs et la multiplication des prestations inférieures à un tiers-temps en l’absence d’une norme minimale dedurée du travail. Éric Buyssens, directeur du Service d’étude de la FGTB Bruxelles, pointe l’individualisation excessive du rapport au travail, donc la fragilisationde la défense des intérêts des travailleurs. Pour Lucca Ciccia, vice-président du Collectif solidarité contre l’exclusion, il y a un risque dedétricoter des métiers existants, comme celui d’aide familiale ou d’accueil à la petite enfance, plus onéreux pour les usagers mais poursuivant des objectifsspécifiques et reposant sur des compétences requises plus exigeantes.
Pour d’autres, c’est un vecteur d’insertion et un instrument de flexibilité au service des travailleuses. Johan Blonde, qui gère une équipe de 50 à 60nettoyeuses d’origine allochtone, relève que les titres-services leur permettent d’obtenir un permis de travail, de gagner de l’argent et d’améliorer leurcondition sociale par rapport à leur conjoint. Selon d’autres responsables d’entreprises agréées, les travailleuses seraient les premières demandeusesd’horaires très réduits et flexibles afin de concilier travail et responsabilités familiales. L’opportunité ne se retourne-t-elle pas lorsqu’elle semblerenforcer le traditionnel partage des rôles hommes/femmes ? Si Vie féminine penche pour cette hypothèse, selon les autres, les perspectives d’émancipation restentouvertes.
Balançant entre critique et intérêt, Koen Repriels reproche surtout aux pouvoirs publics d’opter pour un financement linéaire, désavantageux pour lesentreprises d’économie sociale dès lors confrontées à un problème de compétitivité.
À faire
Parmi les plus sceptiques, seule Vie féminine ose prôner la suppression pure et simple des titres-services pour les remplacer par un dispositif d’offre de services collectifs.Par la voix d’un de ses membres, le mouvement de lutte contre la misère, Lutte solidarité travail, a estimé que les titres-services ne faisaient qu’entretenir unefrange des travailleurs dans la précarité à cause de tarifs pratiqués ne reflétant pas l’ensemble des coûts effectifs.
Pour d’autres, il faut recadrer sérieusement le dispositif. À tout le moins, réclament la plupart des interlocuteurs, agréer les entreprises sur la based’une véritable évaluation et contrôler le dispositif a posteriori. Mais aussi exclure du dispositif les sociétés d’intérim qui privatisentdes bénéfices réalisés sur de l’argent public, préconisent Jan Hertogen, sociologue, et Lucca Ciccia. Saskia De Bruyn, coordinatrice des services deproximité chez Leren Ondernemen, et Sophie Zaman, manager chez Randstad Titres-services, se rejoignent pour demander l’extension du champs des formations dispensées auxtravailleurs dans le cadre des titres-services afin d’accroître leurs possibilités d’insertion. Marie-Caroline Collard, directrice de Solidarité des alternativeswallonnes et bruxelloises, a insisté sur la spécificité des entreprises d’économie sociale et, en conséquence, revendiqué plus de soutien de la partdes Régions dans les missions d’accompagnement des travailleurs les plus difficiles à insérer. Faire financer par les pouvoirs publics le coût salarial et par lesutilisateurs le solde, sortir la concertation sociale sur les titres-services de la commission paritaire du travail intérimaire, garantir le libre choix des travailleurs qui yrecourent,… sont d’autres préconisations exposées par les intervenants. À ces conditions et à d’autres, seulement, il serait envisageabled’étendre le système des titres-services à de nouvelles activités estiment les plus pragmatiques.
Autant de préconisations et nuances enregistrées par Ides Nicaise, président du comité de gestion du Service de lutte contre la pauvreté, qui en faisait, en finde séance, des recommandations à destination des pouvoirs publics.
Reste qu’on a peu entendu les travailleurs titres-services eux-mêmes. Un comble pour une opération d’évaluation du caractère chausse-trappe ou marche-pied dusystème pour les personnes pauvres.
1. Atout EI, fédération wallonne des entreprises d’insertion :
– adresse : rue du téris, 45 à 4100 Seraing
– tél. : 04 330 39 86
– courriel : federation@atoutei.be
– site : www.atoutei.be
2. Service de lutte contre la pauvreté :
– adresse :rue Royale, 138 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 212 31 73
– courriel : luttepauvrete@cntr.be
– site : www.luttepauvrete.be