Cela n’a l’air de rien, mais l’accès aux toilettes n’est pas le même pour les hommes et les femmes, ni pour les riches ni pour les pauvres. Deux de nos journalistes s’étaient d’ailleurs penchées sur le sujet en 2018, en interrogeant les inégalités du petit coin (lire: «Les inégalités jusqu’au petit coin», Alter Échos n°467, septembre 2018).
«Aussi trivial cela puisse-t-il paraître, à y regarder de plus près, le ‘droit d’uriner’ révèle bien des inégalités. La plus évidente est bien sûr celle qui distingue les hommes des femmes. Ces dernières passeraient 2,3 fois plus de temps aux toilettes que leurs homologues masculins, notamment parce qu’elles ont des pratiques différentes des hommes pour se libérer la vessie, parce que les infrastructures diffèrent, mais aussi parce qu’elles s’occupent majoritairement des enfants, avec pour conséquence des temps d’attente incomparables entre les uns et les autres. Or, dans les gares ou les aires d’autoroute, le nombre de toilettes qui leur sont destinées est souvent similaire à celui des toilettes ‘hommes’. Et dans la rue, la quantité d’urinoirs disponibles l’emporte haut la main.»
Aussi trivial puisse-t-il paraître, à y regarder de plus près, le «droit d’uriner» révèle bien des inégalités.
Des inégalités qui ne sont pas sans rappeler celles de la précarité menstruelle (lire: «Précarité menstruelle: quand l’intimité féminine a un prix», Alter Échos n°472, mars 2019). «On estime entre 5 et 15 euros les dépenses mensuelles des femmes en protections hygiéniques», indique Veronica Martinez, cofondatrice de BruZelle, qui distribue des protections aux femmes sans abri. Au-delà du prix des serviettes hygiéniques, des tampons ou des coupes menstruelles, des visites gynécologiques sont parfois nécessaires. S’ajoutent à cela une utilisation et une sensation physique et mentale différentes en fonction de chacune d’entre elles. «Il est très difficile d’estimer une dépense moyenne précise. Il y a autant de flux qu’il existe de femmes. La consommation en protections varie donc d’une femme à l’autre. Dans la rue, les femmes se retrouvent obligées de confectionner leurs propres serviettes, en déchirant bien souvent leurs propres vêtements.»
Accès aux sanitaires
Les inégalités face au «droit de se soulager» ne se limitent pas au genre. Dans le monde, 4,5 millions de personnes continuent de vivre sans toilettes ou latrines à la maison, engendrant de graves conséquences sanitaires, les excréments humains étant des vecteurs de maladies potentiellement mortelles. Se pose alors la question plus générale de l’accès à l’eau ou aux sanitaires. À défaut de salle de bain chez soi, ou d’eau, c’est la débrouille pour pouvoir trouver un endroit pour se laver, pour nettoyer son linge. Les bains publics – infrastructures qui se sont multipliées au siècle dernier – permettent au public privé d’eau d’accéder à des douches. Mais ils se comptent aujourd’hui sur les doigts de la main (lire: «Bains publics: se laver hors de ‘chez soi’», Alter Échos n°494, juin 2021). «Ça a toujours été lié à une population assez modeste, mais, à une époque, ça concernait beaucoup de monde», explique Sophie Richelle, historienne qui réalise sa recherche postdoctorale sur les bains publics aux XIXe et XXe siècles. «Jusqu’au début des années 90, la salle de bains n’était pas considérée de l’ordre du confort minimum du logement. En 2001, la salle de bain est consacrée au rang des ‘besoins de base’. Mais 3 jusqu’à 7% de logements, en fonction des endroits, continuent d’en être dépourvus à l’aube du XXIe siècle», poursuit-elle.
Pointés du doigt par les associations de parents depuis de nombreuses années, les sanitaires scolaires se sont imposés à l’agenda politique suite à la crise du Covid-19.
L’enjeu de l’accès aux sanitaires concerne aussi les écoles. Un sujet tabou, souvent synonyme de malaise chez les élèves (lire «Les toilettes à l’école, ça pue, ça glisse!», Alter Échos n°455, novembre 2017). Depuis 2013, la Fondation Roi Baudouin s’est associée à l’asbl «Question Santé», chargée de réaliser un état des lieux de la situation, d’élaborer des outils pédagogiques et de lancer une campagne de sensibilisation intitulée «Ne tournons pas autour du pot!» Selon Bernadette Taeymans, directrice de l’asbl, le plus difficile a été de «lever le tabou, car le sujet n’est pas très attirant a priori, et beaucoup pensaient qu’on ne pouvait rien faire; il règne une sorte de défaitisme au sujet des toilettes». Et pourtant, les enfants interpellent vite l’association au sujet de leur mal-être. «Souvent, ils n’osent pas aller aux toilettes, ils disent que ça pue, que ça glisse, que ce n’est pas propre, ajoute Bernadette Taeymans. Mais il existe aussi des problèmes d’accès, d’intimité. Et parfois les toilettes sont des zones de non-droit, et même de harcèlement.» Cette réalité, parfois mal vécue par les élèves, peut avoir des impacts physiques (comme des infections urinaires) et des effets néfastes sur le bien-être à l’école et sur la concentration.
Pointés du doigt par les associations de parents depuis de nombreuses années, les sanitaires scolaires se sont imposés à l’agenda politique suite à la crise du Covid-19. Dix millions ont été débloqués l’an dernier par le ministre du Budget Frédéric Daerden (PS) pour soutenir l’amélioration des équipements dans les établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles. D’ici là, la petite machinerie rénale et alentour devra faire avec les moyens du bord: réduits (lire: «Sanitaires scolaires: la chasse est ouverte», Alter Échos n°486, septembre 2020).
«Le problème a toujours été laissé de côté. Grâce à la crise sanitaire, les pouvoirs organisateurs ont enfin dû consentir à de grosses dépenses pour l’entretien des sanitaires, soit en engageant du personnel, soit en faisant appel à des sociétés de sous-traitance.» Sauf dans les écoles sans le sou où il faudra peut-être continuer à faire avec les moyens du bord. «Il y a des directrices qui nettoient elles-mêmes les toilettes», rapporte France De Staercke, détachée pédagogique à la Fapeo, la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel.
«Sale boulot»
Un lieu qu’il faut nettoyer aussi, tâche effectuée par des travailleuses toujours plus isolées. Dans son ouvrage Deux millions de travailleurs et des poussières, l’économiste français François-Xavier Devetter propose des solutions pour revaloriser le travail de ceux qui nettoient, alors même que l’épidémie a révélé leur utilité publique (lire: «Ménage et entretien des espaces: mieux répartir le ‘sale boulot’», Alter Échos n°495).
«Car la démarche initiale du nettoyage, c’est toujours de nettoyer pour quelqu’un, pour quelque chose, pour permettre une autre activité, pour permettre de vivre dignement ou correctement, pour vivre dans un environnement plus sain et agréable, etc. C’est le travail d’isolement par rapport à la population à qui il est destiné qui le transforme en sale boulot, ce n’est absolument pas l’acte en lui-même.»