Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Tours bruxelloises : the sky is the limit ?

Pour ou contre les tours ? Désavantages techniques contre arguments paysagers et qualitatifs. Un enjeu de taille pour Bruxelles.

21-11-2010 Alter Échos n° 305

Bruxelles devra faire face, dans les dix prochaines années, à une augmentation importante de sa population. Comment répondre aux besoins nouveaux de logements, dans uneRégion où la majeure partie du territoire est déjà urbanisée ? Comment augmenter la densité de population à Bruxelles sachant que celle-ci estactuellement assez faible par rapport à d’autres villes européennes ? Des questions qui ont servi de fil rouge au colloque « Tours et densité » qui s’est tenuà Bruxelles le 16 novembre.

La construction de nouvelles tours a été la principale préoccupation de cette journée. Un sujet sensible et passionnel dans une ville où l’histoire des toursrime avec spéculation immobilière effrénée et urbanisme chaotique. La journée a permis de dresser un riche panorama de l’actualité des tours en Europe et demontrer les différents regards, souvent complexes, portés sur cet « objet architectural ».

A la question de savoir s’il faut construire de nouvelles tours à Bruxelles, le ministre-président de la Région, Charles Picqué (PS)1 se montre ouvert :« C’est une solution parmi d’autres pour densifier Bruxelles. Dans tous les cas, il faut pouvoir intégrer la construction de tours dans la planificationrégionale ». Le ministre-président plaide en ce sens pour un « plan stratégique global, avec des critères d’appréciation des projets detours ».

Un objet difficile à définir

Comment apprécier une tour ? Et plus précisément, qu’est-ce qu’une tour ? Sur ce point, le colloque aura pu laisser sur sa faim. Car selon le domaine decompétence et l’origine des intervenants, la tour ne recouvre pas la même définition. Tout d’abord, la question de la taille fait débat. Pour certains, il s’agit d’unbâtiment dont la hauteur est supérieure à quatre-vingts mètres, pour d’autres à cinquante mètres, pour d’autres encore on compte en nombre d’étages.Certains se sont focalisés sur les tours de bureaux tandis que d’autres mettaient l’accent sur les tours de logements. Dans cette confusion autour de l’objet même de laconférence, pas toujours facile de s’y retrouver, notamment par rapport à la question initiale, à savoir comment augmenter la densité à Bruxelles.

En revanche, là où la plupart des orateurs se sont retrouvés, c’est sur les nombreux handicaps techniques, économiques, environnementaux que rencontrent les tours.

De nombreux handicaps

D’un point de vue urbanistique, Bernard Declève2, professeur d’urbanisme à l’UCL, soulève les difficultés d’intégration de tels bâtiments dansle tissu urbain : « les tours ne sont pas un objet urbain mais un objet architectural. On peut construire des tours à Bruxelles mais pas n’importe où. Elles doivents’implanter sur des éléments structurels de la ville. Le long du canal ou des anciennes chaussées. Une autre difficulté, c’est l’acceptation par la population de telséléments architecturaux. » Les tours sont difficiles à intégrer dans la ville et, de surcroît, elles ne sont pas automatiquement synonymes dedensité. En effet, plus on construit en hauteur, plus il faut dégager le sol à la base de la tour pour préserver les vues et l’ensoleillement.

Philippe Boland3, chercheur en architecture, également à l’UCL, va plus loin. Selon lui, les tours cumulent une série de désavantages qui doivent dissuaderles architectes de se lancer dans une course à la verticalité. « Les tours ne représentent aucun avantage en termes de consommation d’énergie, estime lechercheur, elles perturbent par ailleurs le microclimat environnant. Les vents et l’ensoleillement sont largement modifiés par les bâtiments de haute taille. Plus on monte et plus cesperturbations sont importantes. »
Les nouvelles tours « écologiques », apparues à partir des années nonante, n’apportent-elles aucune solution à ces désagréments ?« C’est du greenwashing [NDLR : du « blanchiment vert »], considère Philippe Boland, l’installation d’éoliennes ou de panneaux solaires au sommet des tours ne permet pasde répondre à leur consommation énergétique. » Autre argument en défaveur des tours : plus on construit en hauteur, plus les structures dubâtiment sont surdimensionnées : « Il s’agit de lois physiques. Cela représente des surcoûts importants et une surconsommation d’énergie grise [NDLRc’est-à-dire nécessaire à la fabrication et au recyclage des matériaux]. »

La critique des tours ne s’arrête pas à des aspects techniques liés à la construction ou à l’urbanisme. Leur gestion future, notamment lorsqu’elles sontdestinées au logement, pose problème. Comme l’a rappelé Jean-Claude Croizé, professeur à l’école d’architecture de Paris Val-de-Seine, « lacopropriété est un statut d’occupation qui peut rapidement poser problème. Dans les tours, la gestion des espaces communs, des ascenseurs, de la sécuritéreprésente des coûts plus élevés, à la charge des occupants. »

Du paysage et de l’image

Tout serait-il à jeter dans les tours ? « Il faut sortir du blanc et du noir », estime cependant Jean-Michel Roux, consultant en urbanisme, qui reconnaîtune part d’irrationalité dans les débats autour des tours. Un constat qui trouve un écho dans les propos de Géry Leloutre4, architecte et urbaniste àl’ULB et de Léo Van Broeck5, professeur d’architecture à la KUL, pour lesquels la tour souffre « de stigmatisation » à Bruxelles. Pourquoi tantd’a priori ? « Plusieurs éléments peuvent expliquer cette mauvaise réputation, expliquent les deux architectes. Les tours sont souvent assimilées àdu logement forcé, à du logement social que les résidents n’ont pas choisi. Il y a aussi une certaine culture architecturale propre à la Belgique où la maisonindividuelle reste bien souvent un modèle indépassable. Dans cette culture, la tour, l’appartement, ne seraient pas adaptés aux familles avec enfants. Ils nuiraient à la »privacy » familiale ». Des arguments qui ne sont pas valides pour les deux intervenants : « Quand on analyse certains plans de tours de logements, on découvre queles architectes ont imaginé des lieux de vie très bien adaptés aux familles. »
Les tours ont aussi l’avantage de respecter les espaces ouverts, les franges urbaines, là où la ville rencontre les espaces agricoles. « Prenez les grands ensembles de tours,situés dans la partie ouest de Bruxelles, sur les communes de Jette ou de Ganshoren. Ces constructions ont permis de conserve
r de grands espaces verts et de respecter les paysagesagricoles », estime Géry Lepoutre. Les relations aux paysages peuvent être, en effet, un argument en faveur des tours en ville. Symboles du dynamisme d’une ville,éléments de lisibilité, création de repères urbains, composition d’un « skyline », les tours peuvent changer « l’image desmétropoles ».

En arrière-plan, le réaménagement de la rue de la Loi

Au cours de cette journée, Christian de Portzamparc6 aura été le plus grand défenseur de la tour. L’architecte star français, lauréat duconcours sur le réaménagement de la rue de la Loi à Bruxelles, est le concepteur de nombreuses tours à travers le monde. Pour lui, « construire en hauteurpermet de libérer de l’espace au sol. Cela permet de porter une plus grande attention à la relation entre les tours et la rue », élément incontournable del’« urbanité ». S’expliquant sur son projet pour la rue de la Loi, il s’est attaché à démontrer que si l’on augmentait les gabarits sur cet axe, onpourrait justement libérer de l’espace pour implanter des espaces verts et des espaces publics. Dans la salle, le public s’est montré plutôt dubitatif face aux arguments del’architecte. La question de la mobilité et de la faisabilité financière d’un tel projet restant toujours en suspens.

Pour ou contre les tours ? Désavantages techniques contre arguments paysagers et qualitatifs. Chacun restera sur ses positions. L’implantation de tours sera, en tout cas, unélément pris en compte dans le futur plan régional de développement durable (PRDD), en cours d’élaboration en Région bruxelloise, où cette vision nemanquera pas d’être confrontée à ses alternatives, et aux avis des habitants.

1. Cabinet du ministre-président Charles Picqué :
– adresse : rue Ducale, 7-9 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 506.32.11
– fax : 02 514.40.22
– courriel : info@picque.irisnet.be
– site : www.pourbruxellesavecvous.be
2. Bernard Declève, Habitat & Développement :
– adresse : place du Levant, 1 à 1348 Louvain-la-Neuve
– tél. : +32 10 47 2347
– fax : +32 10 47 3043
– courriel : bernard.decleve@uclouvain.be
– site : www.urba.ucl.ac.be/hd/index.htm
3. Philippe Boland : Architecture et Climat :
– adresse : place du Levant, 1 à 1348 Louvain-La-Neuve
– tél. : + 32 10 47 21 42
– fax : + 32 10 47 21 50
– courriel : philippe.boland@uclouvain.be
– site : www.climat.arch.ucl.ac.be
4. Géry Leloutre : ULB, Campus de la Plaine, bâtiment S, Accès 5, bd du Triomphe – CP 248 à 1050 Bruxelles
– tél. : +32 (2) 650 50 52
– fax : +32 (2) 650 50 93
– courriel : gery.leloutre@mail.be
– site : www.archi.ulb.ac.be
5. Leo Van Broeck : Bogdan & Van Broeck Architects bvba :
– adresse : quai au Foin, 55 à 1000 Brussel
– tél. : +32 2 609 00 65
– fax : +32 2 609 00 89
– courriel : office@bvbarchitects.com
– site : www.bvbarchitects.com
6. Atelier Christian de Portzamparc :
– adresse : 1, rue de l’Aude à
75014 Paris
– tél. +33 1 40 64 80 00
– fax +33 1 43 27 74 79
– courriel : mail@chportzamparc.com
– site : www.portzamparc.com

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