L’équipe multidisciplinaire du Pont des arts apporte un peu de culture et de bonne humeur dans les services pédiatriques des hôpitaux bruxellois. Nous avons suivi l’un de cesartistes, David le magicien, dans les couloirs de l’hôpital Reine Fabiola.
Avant d’entamer sa tournée des chambres, David Dugnoille vide consciencieusement le contenu de sa veste dans son casier au sous-sol : des clefs, un portefeuille, quelquespièces de monnaie et des cartes de visite. Pour travailler, un magicien a besoin de toutes ses poches. T-shirt vert pomme sous un simple veston, le jeune homme arbore une alluredécontractée qui cadre peu avec l’image guindée que l’on se fait habituellement d’un magicien. Point de lavallière ni de chevalière, de haut-de-forme ou de boutonsde manchette scintillants. Seule la baguette n’a pas dérogé à la tradition. Avec la chaleur régnant dans les hôpitaux, explique l’illusionniste, mieux vautéviter les cartes qui collent entre des mains moites. Pas la peine non plus d’effrayer les gamins avec des airs de mage noir. « Tous ces accessoires sont autant de codes que lemagicien utilise pour montrer sa puissance. Mais à l’hôpital qu’est-ce qui compte vraiment ? Impressionner les enfants ou les rencontrer ? »
Six étages plus haut, au service de pédiatrie, Audrey Durand, la comédienne a déjà commencé ses visites. L’équipe du Pont desarts1 se compose de six artistes professionnels qui mettent leur talent au service des enfants hospitalisés. Outre David et Audrey, il y a aussi Inghe Van den Borre la conteuse,Régine Galle la chanteuse, Véro Vandegh la plasticienne et Javier Suarèz le danseur. Ainsi, les petits patients ont le choix entre différentes disciplines artistiques. Oule choix de ne rien choisir du tout ! « C’est important de respecter l’espace personnel de l’enfant, précise David. Le cadre médical est contraignant. On rentredans votre chambre pour des soins. Personne ne vous demande votre avis avant de vous faire une piqûre. A l’hôpital, nous sommes les seuls à qui les enfants peuvent dire non.»
Tours pour tous
La magie, David est tombé dedans quand il était petit. A huit ans déjà, il s’entraînait à faire ses premiers tours. Ses parents le voyaientdéjà accomplir de brillantes études universitaires, mais l’appel de la scène fut le plus fort. Au début, l’artiste doit enchaîner les petits contrats.Animations dans des mariages, des hôtels, des parcs d’attractions… Il lui arrive même de jouer les conseillers pour une émission de caméras cachées ou defaire apparaître une voiture pour les besoins d’une publicité.
Depuis qu’il travaille au Pont des arts, le magicien bénéficie d’un statut plus confortable. Mais son entrée dans l’association, on s’en doutera,signifie bien plus pour lui que la sécurité de l’emploi. « Ce travail m’a appris à être attentif à la personne en face de moi. Dans les spectacles demagie classique, on ne donne pas assez de place aux spectateurs. Il faut leur permettre de participer, de se positionner autrement que comme des spectateurs dupés obligés de s’extasierà tout bout de champ sur des effets magiques ! »
Au départ, la magie est plutôt un produit de luxe. Se payer un spectacle de magicien n’est pas à la portée de toutes les bourses. A l’hôpital, enrevanche, des enfants de toutes les origines sociales se côtoient. « On joue devant des gens qui n’ont pas toujours l’habitude de ce genre de spectacles. C’esttrès gai de voir leur émerveillement. Bien sûr, tous les enfants riches ne sont pas blasés. Mais parfois vous êtes le cinquième spectacle de magie qu’ilsvoient. Et c’est à peine s’il ne faut pas arracher la prise de la Nintendo pour avoir leur attention ! »
Dans les couloirs des services de pédiatries, le magicien croise des enfants originaires des quatre coins du monde. La rencontre avec un enfant touareg, qui venait d’arriver enBelgique directement de son bidonville, l’a particulièrement marqué. « Il n’avait jamais vu l’eau courante, alors vous imaginez, un tour de magie »,s’exclame-t-il. Mais la dimension multiculturelle impose aussi quelques précautions. « Certaines personnes peuvent avoir peur du magicien ou le confondent avec unguérisseur. Ils savent souvent que c’est truqué. Mais, pour eux, la magie a gardé un sens religieux, sacré, parfois curatif… »
Quelques minutes de bonne humeur
Avant de rentrer dans les chambres, le magicien jette un œil au topo soigneusement préparé par les animatrices, éducatrices ou infirmières. Elles ontindiqué sur une liste quel patient souffre d’un handicap particulier, lequel a subi un choc récent, lequel doit être visité en dernier parce qu’il estcontagieux…
Elodie, blondinette un peu farouche, accepte de nous recevoir dans sa chambre. Enfoncée dans ses coussins, elle observe d’un air prudent ce drôle de monsieur qui faitdisparaître des cartes et des pièces de monnaie sous son nez. Et cette journaliste curieuse qui l’accompagne avec son carnet de notes. L’illusionniste crée la surpriseen faisant apparaître un bouquet de balles multicolores de nulle part. La fillette s’avance sur le bord du lit pour mieux profiter du spectacle. Son sourire reste timide, mais elle al’air plus détendue qu’à notre arrivée.
« A l’hôpital, les gens vivent dans une situation de stress et d’attente. De quoi souffre-t-on ? Quand est-ce qu’on sortira ? Les parents font de leur mieux pour cacher leurinquiétude, mais les enfants la ressentent forcément. Mon objectif est d’apporter un peu de bonne humeur. Même si l’effet ne dure qu’une heure et demie, le tempsque le médecin revienne, confie le magicien. Mais cela ne fonctionne que si l’on crée les conditions appropriées. Avant de détourner l’attention, il faut d’abord lacapter. Obtenir le silence, éteindre la télé. Je demande aux parents de rester. Souvent, quand j’arrive, la maman se dit « chouette un clown, je vais pouvoir aller fumer ma clopeet téléphoner à papa ». Mais si je montre un tour à l’enfant et que sa maman revient complètement stressée deux minutes après, tout l’effet retombeà terre. »
Magie et revalidation
Le magicien ne fait pas que montrer des tours aux enfants, il leur apprend à les réaliser. Au centre de traumatologie et de réadaptation de l’hôpital Brugmann, il animeun projet qui utilise l’illusionnisme comme complément à la thérapie. « Il y a un point commun entre la magie et l’ergothérapie, c’est larépétition, observe-t-il. Plutôt que reproduire des mouvements qui ne sont pas significatifs, on apprend aux enfants à faire des tours. » Les exercices se fonttoujours sous la supervision attentive des ergothérapeutes, qui corrigent les mouvements et leur amplitude en fonction des besoins des patients. L’activit&
eacute;, aussi divertissantesoit-elle, doit toujours être utile et faire travailler les bonnes parties du corps et du cerveau. David tient ainsi à se distinguer de l’art thérapie. « L’artn’est pas un moyen de se soigner, tout au plus un outil au service des spécialistes. »
Pour les jeunes patients, qui passent souvent de longues périodes en revalidation, le projet devient aussi un prétexte pour créer des liens. Les enfants sont fiers de semontrer les tours appris les uns aux autres. Et encore plus de pouvoir impressionner leur médecin. « A Erasme, j’ai appris un tour de mentalisme à une petite fille quicommuniquait avec un logiciel à commande rétinienne, juste en clignant des yeux », se souvient l’illusionniste.
David ne révèle jamais le secret d’un tour, il le transmet. « La différence est fondamentale », précise l’illusionniste. Des magiciensrévèlent leurs trucs dans des émissions de télé, leurs secrets sont diffusés en boucle sur Youtube… Un débinage qui rend notre magicien inquietquant à l’avenir de son art. « A l’ère d’Internet, les gens ne veulent plus être émerveillés. Ils veulent tout comprendre. Mais il ne suffit pas deconnaître l’astuce pour être un magicien. La magie est un art complexe, basé, comme la musique, sur des rythmes, des respirations, des temps forts. »
1 Le Pont des arts :
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