Jérôme Van Ruychevelt, du festival Esperanzah, est une des « chevilles ouvrières » du mouvement « Tout autre chose ». Il évoque pour Alter échos les contours de ce projet engagé contre les politiques d’austérité. Leur but : imaginer d’autres politiques en mobilisant largement les citoyens.
Alter échos : Pouvez-vous nous expliquer ce qui a été à l’origine du mouvement « Tout autre chose » ?
Jérôme Van Ruychevelt : La flamme du côté francophone a été allumée par le mouvement Hart Boven Hard, côté néerlandophone. Leur constat est qu’il existe déjà des initiatives contre le discours dominant, contre l’austérité, mais leur impact est limité. Des intellectuels, des citoyens, des responsables associatifs se sont réunis pour faire un mouvement, en partie pour parler des mêmes thèmes que d’autres, mais d’une manière différente. Certes, il existe des syndicats qui se mobilisent, mais certains citoyens leur reprochent de se centrer uniquement sur des questions socio-économiques. Ce qui est bien normal, vu que c’est leur rôle. Mais l’idée ici, c’est d’élargir les thèmes de débat et d’action, de parler d’environnement, de santé, d’éducation. Du côté francophone c’est la même volonté de se constituer en mouvement qui nous anime. Un mouvement à l’image des gens, avec des personnes issues du monde associatif, des artistes, des universitaires, et des citoyens.
AE : Vous vous différenciez donc des mouvements déjà existants ?
JVR : « Tout autre chose » s’inscrit dans la même logique que Hart Boven Hard, avec comme idée de sortir de l’institutionnalisation du mouvement social pour que les citoyens se réapproprient ce mouvement. Le mouvement social a évolué et doit évoluer. Il est nécessaire de proposer de nouvelles idées, d’innover, d’être avant-gardistes dans nos actions, en organisant des rencontres conviviales, pour mettre un peu de bonheur dans le débat public.
AE : Concrètement ?
JVR : Pour l’instant il s’agit d’intentions, avec comme objectif de laisser place à la spontanéité, à la créativité des citoyens. Toujours en lien avec une idée : retisser du lien social autour du débat politique. En se réappropriant des thématiques souvent jugées complexes. C’est là qu’il faudra être innovants. Car le but est de toucher des personnes sensibilisées aux dégâts causés par l’austérité… mais pas forcément mobilisées. Si on ne touche que des gens sensibilisés et déjà mobilisés, alors nous n’aurons rien inventé.
AE : Avez-vous un exemple concret d’actions envisagées ?
JVR : Le 15 décembre, jour de la grève nationale, nous allons faire le tour des piquets de grève à vélo, pour rencontrer les grévistes, discuter avec eux, débattre. Cela se fera à Bruxelles, à Liège et à la Louvière. A Saint-Josse, par exemple, le réseau Adès, composés de jeunes engagés, se joint à cette action, sous la bannière de « Tout autre chose ».
AE : Vous souhaitez parler d’éducation, de santé, d’environnement mais aussi de socio-économique. N’est-ce pas un catalogue fourre-tout, ou, pour vous, toutes ces thématiques sont liées ?
JVR : Ma réponse pourra paraître un peu populiste, mais l’idée de « Tout autre chose » est de remettre au centre de la société la vie du citoyen. Pour nous le rôle de l’Etat n’est pas simplement d’ordre socio-économique. Son rôle est aussi d’aider chaque citoyen à avoir les moyens de vivre dignement et de s’émanciper, notamment en mettant à disposition des services publics, en préservant les biens communs. Dès lors, nos discussions touchent à de nombreux thèmes, comme le transport public, la culture, l’enseignement. Ce qui est central, c’est la vie, pas l’économique.
AE : Votre initiative est-elle proche du G1000, lancé par David Van Reybrouck ?
JVR : Qu’il s’agisse de Hart Boven Hard ou du G1000, on trouve les semences de ces mouvements dans des constats communs : un large pan de la population ne croit plus vraiment que les partis politiques répondent aux problèmes socio-économiques qui les concernent. Ils ont le sentiment que ces partis ne se préoccupent plus de l’intérêt général mais prennent des décisions en fonction d’intérêts particuliers. Et que l’on vote à droite ou à gauche, la politique ne changera pas beaucoup. Il y a donc des idées en commun entre tous ces mouvements : faire à nouveau confiance aux citoyens pour parler de l’intérêt général.
AE : Votre initiative tombe à point nommé, dans un contexte de tensions sociales. Votre mouvement vise-t-il en particulier le gouvernement actuel ?
JVR : Les mesures que compte adopter le gouvernement actuel sont des mesures idéologiques, en rien pragmatiques. On peut les déconstruire aisément. Mais ne nous leurrons pas, le précédent gouvernement avait déjà enclenché la marche arrière. Les politiques d’austérité ne sont pas le seul fait du gouvernement Fédéral. Au niveau des entités fédérées, la culture, par exemple, pâti aussi de cette doxa néolibérale.
AE : Mais alors, vous parlez d’alternatives, quelles sont-elles ?
JVR : C’est la question qu’on nous pose le plus souvent. « Mais qu’est-ce que vous proposez ? » Les alternatives, elles existent, elles ont été écrites, théorisées, certaines sont vécues. Notre idée est d’établir une connexion entre les alternatives politiques, comme une réforme de la fiscalité par exemple, avec des alternatives à des niveaux locaux, qui sont autant de réponses aux priorités des gens. Pour le moment on ne vient pas vendre un projet de société clef sur porte. Nous regardons avec intérêt les réformes qui ont lieu en Amérique latine ou en Islande, tout ce qui permet aux gens de se réapproprier le bien commun, y compris au niveau local. Tout ce qui va à l’encontre des politiques d’austérité. Là où l’on choisit plutôt d’investir dans le social, les services publics. Mais attention, nous sommes dans un processus, nous lançons les discussions. Nous verrons dans quelques mois ce qui en sort.