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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la directive Bolkestein

Au moment où les débats au Parlement européen sur le projet de directive Services (dite « Bolkestein ») semblent quelque peu s’enliser en raison du dépôt de plus demille amendements et de la difficulté à trouver un accord trans-partis, un cahier du Crisp1 permet de restituer les enjeux du texte – que des couches de débatsentremêlés ont parfois contribué à brouiller2.

28-10-2005 Alter Échos n° 196

Au moment où les débats au Parlement européen sur le projet de directive Services (dite « Bolkestein ») semblent quelque peu s’enliser en raison du dépôt de plus demille amendements et de la difficulté à trouver un accord trans-partis, un cahier du Crisp1 permet de restituer les enjeux du texte – que des couches de débatsentremêlés ont parfois contribué à brouiller2.

Cette mise au clair est due à la plume de Raoul Marc Jennar, chercheur à l’Urfig (Unité de recherche, de formation et d’information sur la globalisation) et àOxfam-Solidarité. À ce titre, il fut d’ailleurs un des acteurs les plus engagés dans la contestation de la directive et fut notamment auditionné par la commission »Marché intérieur » du Parlement européen. Il y avait défendu la position des « anti » sur la question de l’impact de la directive sur les services publics.

Définir avant d’agir

L’analyse qu’il propose du processus décisionnel suit un schéma classique. Dressant d’abord en arrière-fond la situation des services du point de vue de la législationeuropéenne, il pointe les manquements en matière de services publics : « Le Traité de Rome ignore donc la notion de service public comme élément constitutifdu projet européen, alors que les six pays fondateurs disposent de services publics nombreux (…). La mission d’intérêt général est ainsi conçue commesimplement dérogatoire à la règle de la concurrence. » Par ailleurs le « service d’intérêt général » auquel fait abondammentréférence la Commission n’a aucune existence juridique. Tout au long de l’étude revient d’ailleurs comme un leitmotiv la nécessité d’avancer sur cesdéfinitions préalablement à l’élaboration de toute directive concernant les « services ». L’actuelle directive ne faisant pas de distinction de statut ou definalité. Jennar montre ensuite comment le projet contesté s’intègre dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. Pour simple illustration, rappelons qu’à l’issue duConseil européen de Lisbonne de mars 2000, le Conseil européen demandait « à la Commission, au Conseil et aux États membres, eu égard à leurscompétences respectives, de définir avant la fin 2000 une stratégie pour l’élimination des entraves aux services. »

Le second chapitre est consacré à un résumé des articles de la directive incriminée : son champ d’application, la liberté d’établissement, laliberté de circulation (avec le fameux « principe du pays d’origine »), la qualité des services, le contrôle et la convergence. Pour chacun de ces points, sontprésentées les justifications de la commission. Ainsi, en ce qui concerne, le « principe du pays d’origine », ce sont la subsidiarité et la lutte contre labureaucratie qui servent d’arguments : « En général, ce sont les règles de l’État membre d’origine qui prévalent. Cela garantit le respect du principe de lasubsidiarité en évitant la mise en place d’une réglementation détaillée au niveau communautaire et en assurant un plus grand respect des traditions locales,régionales et nationales, et permet de maintenir la diversité des produits et des services. La reconnaissance mutuelle constitue ainsi un moyen pragmatique et puissantd’intégration économique. »

La société civile belge en pointe

Le chapitre suivant fait écho aux critiques suscitées par la directive, dans la société civile d’abord (avec une primauté temporelle à la Belgique, et lerôle moteur de la FGTB), dans des instances plus institutionnelles ensuite (Comité économique et social de l’Union européenne et Comité des régions).Approuvé à l’unanimité par la Commission le 13 janvier 2004, le projet de directive se voit progressivement contesté pour une série de raisons que Jennar rassembleen huit catégories :
• Le champ d’application de la directive (beaucoup réclament des exclusions pour des secteurs tels que la santé et la sécurité sociale). En fait, ne sont exclus duchamp de la directive que les services ne faisant l’objet d’aucune contrepartie économique – ce qu’on pourrait appeler le « non-marchand pur ». La notion de service qui sertde fondement à la directive est donc extrêmement large : « toute activité économique non salariée consistant à fournir une prestation qui fait l’objetd’une contrepartie économique ».
• L’abandon de l’harmonisation au profit de la compétition (s’écartant ainsi de la tradition suivie depuis 1957).
• Une application plus poussée de l’AGCS (dont la directive est considérée comme un cheval de Troie).
• Le renforcement des pouvoirs de la Commission.
• L’absence de toute initiative concernant les services publics.
• La disparition de toute politique de santé publique (« La directive veut supprimer les instruments qui permettent de planifier l’offre, de fixer les prix, de réglementerl’accès aux professions de santé, […] »).
• Les effets du principe du pays d’origine.
• La remise en cause de la directive sur le détachement des travailleurs.

L’auteur cite en outre des résolutions du Parlement européen et des prises de position du Conseil visant à concilier les libertés du marché avec lanécessité de préserver l’intérêt général. Selon Jennar, « Ce souci […] ne semble guère partagé par la Commissioneuropéenne qui manifeste de la sorte une autonomie qu’elle met au service d’une conception très orientée de la société. » Conception libérale, dont ladirective serait l’expression et l’aboutissement.

Deux rapporteuses critiques

C’est ensuite au traitement parlementaire et intergouvernemental de la directive (rappelons, au passage, qu’aucun État n’a formellement demandé le retrait du texte) quel’étude s’attache, avec une attention particulière aux rapports critiques des députées Gebhardt et Van Lancker. Transparaît également l’importance desprésidences semestrielles dans l’accélération (Irlande, Pays-Bas, Grande Bretagne) ou le ralentissement (Luxembourg) du processus.

Enfin, sont résumées les premières concessions de la Commission : Charlie McCreevy, successeur de Fritz Bolkestein au Marché intérieur, reconnaît en mars2005 la nécessité d’exclure du champ de la directive des secteurs comme la santé et les services d’intérêt général financés par les pouvoirspublics, insiste sur l’intention de ne pas affecter les conditions et normes de travail, et se dit prêt à « examiner les préoccupations relatives à la mise enœuvre du principe du pays d’origine. »

Valeur d’exemple

Au-delà de l’intérêt spécifique que revêt la directive Services, l’étude de Jennar a le mérite de décrire par le menu le processuslégislatif européen et d’en expliquer les rouages complexes aux non-initiés. Notons que le compte rendu s’arrête en juillet, au moment où s’interrompent les travauxparlementaires. La poursuite de la procédure législative, actuellement retardée par les profondes divergences parlementaires à propos de la directive, fera l’objet d’uneseconde étude qui couvrira les étapes ultérieures de la codécision en 2005 et 2006 et examinera le résultat final.

1. Raoul Marc Jennar, « La proposition de directive Bolkestein », in Courrier hebdomadaire du Crisp, n° 1890-1891, 68 pages.
2. En marge d’Alter Echos, l’Agence Alter publiera début novembre un dossier sur la directive Services et l’enjeu de la définition des services d’intérêtgénéraux au niveau européen. Ce dossier sera téléchargeable sur le site d’Alter Echos.

Edgar Szoc

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