Gilles Vernet, trader reconverti en instituteur, interroge, dans son documentaire Tout s’accélère, la course effrénée que mène notre société à travers le regard d’enfants de 5ème primaire.
Tout s’accélère, s’inquiète Gilles Vernet dans son premier documentaire. La course, il sait ce que c’est. Gilles Vernet a travaillé comme trader durant de longues années avant de quitter ce milieu frénétique, suite à l’annonce de la maladie de sa mère, et de devenir instituteur. Pour ce premier documentaire, il a décidé de questionner l’accélération vertigineuse de notre société à travers le regard d’enfants de 5ème primaire. Tour à tour, ses élèves de 10 et 11 ans livrent leurs réflexions sur les raisons qui nous poussent à courir toujours plus et soulignent les limites de cette croissance exponentielle. Le réalisateur met en perspective les paroles tantôt naïves tantôt lucides des enfants avec les analyses de cinq experts, dont Hartmurt Rosa, sociologue, philosophe et auteur du livre Accélération, qui a inspiré ce documentaire. Une pause nécessaire.
Alter Échos: Les enfants semblent comprendre et faire preuve de beaucoup de lucidité par rapport aux dangers de cette accélération. Comment l’expliquez-vous?
Gilles Vernet: Les enfants sont très connectés. Ils sont au courant des menaces par la télévision ou Internet. De plus, l’Éducation nationale consacre des cours à l’environnement ou la nature. La menace environnementale intrigue et questionne les enfants. Les enfants captent aussi la menace que fait peser l’accélération dans le domaine du travail. Ils observent leurs parents, stressés, nerveux. Ils comprennent le rythme que vivent et que leur imposent leurs parents, ils observent leur souffrance liée au manque de temps de qualité, d’autant que c’est dans le cadre familial que les adultes relâchent la pression, enlèvent le masque.
A.É.: Les enfants sont eux-même déjà victimes de ce manque de temps de qualité, entraînés dans la course à la compétitivité à l’école par exemple…
G.V.: Il arrive que les parents (en particulier des milieux favorisés) projettent leur stress et mettent la pression sur leurs enfants pour qu’ils réussissent, qu’ils soient les meilleurs. L’Éducation nationale s’est aussi engagée dans cette course à l’excellence.
A.É.: L’accélération touche toute une série de champs de l’activité humaines (démographique, social, technologie,etc.). Comment se manifeste-t-elle concrètement dans nos quotidiens?
G.V.: Le problème n’est pas la vitesse mais l’augmentation de la vitesse et le manque d’alternance: on a plus temps de récupérer, de reprendre son souffle. Les sollicitations sont de plus en plus nombreuses, si bien que les gens atteignent très vite leurs limites. Exemple avec les mails qui s’accumulent. On n’est plus capable aujourd’hui de répondre à tout. Il est impossible aujourd’hui de tout faire, tout vivre. Cette société nous impose d’apprendre à renoncer… Même notre sommeil est raccourci. On a perdu trois heures trente de sommeil en un siècle. Certains considèrent d’ailleurs que le sommeil est du temps perdu. Nous sommes en déconnexion totale avec les cycles naturels et internes, qui nous sont nécessaires pour ne pas saturer mentalement. Il incombe à chacun, à chaque organisation de comprendre, face à un flux exponentiel, qu’il faut se garder du temps pour soi. Il faut cesser d’être rivés sur l’instant présent, et adopter une vision large sur l’état du monde et de planète.
A.E.: Peut-on encore accélérer?
G.V.: Oui, mais il y a des limites terrestres et psychiques. En fait, nous sommes dans un nouveau darwinisme qui exclut les retraités, les chômeurs, les SDF… Tous ceux qui ne tiennent pas le rythme.
A.É.: Comment en est-on arrivé à courir autant? Les différents experts interrogés dans votre film pointent du doigt la responsabilité de la finance dans cette croissance exponentielle.
G.V.: La finance est responsable de l’accélération oui, mais c’est surtout l’alliance de la finance et de la technologie qui l’a rendue possible. La finance a pu devenir très puissante aujourd’hui grâce à l’immédiateté permise par la technologie, qui a permis les transferts de fonds en une seconde et donc, contribué aux paradis fiscaux. La finance est aussi devenue très puissante suite aux épargnes. Quand on place ou on prête de l’argent, on fait un pari sur l’avenir. Il n’est dès lors plus question que l’État ralentisse, il faut garantir le rendement. Notre système très endetté nous oblige à accélérer.
A.É.: La technologie est ambivalente. Elle participe à l’accélération mais nous libère aussi du temps…
G.V.: La technologie portait un idéal émancipateur au départ, celui de dégager du temps aux hommes et aux femmes pour qu’ils aient la possibilité de grandir mentalement. Mais la finance est passée par là.
A.É.: Notre responsabilité est aussi soulignée par l’un des intervenants le physicien Étienne Klein. «Quand vous êtes débordés, vous existez», dit-il. Ou encore: «Nous disons que nous manquons de temps parce que nous sommes libres.» Qu’en pensez-vous?
G.V.: Blaise Pascal disait: «Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.» Ce que dit Étienne Klein me fait réfléchir sur l’ego. On veut toujours le faire croître, on se compare sans cesse. Pour se défaire de ça, je crois au pouvoir de la nature qui nous renvoie à ce que nous sommes, tous petits. L’amour peut aussi dissoudre l’égo ainsi que la spiritualité, au sens large, dans l’idée que l’homme serait subordonné à quelque de plus grand que lui. L’accélération nous empêche de nous poser la question du sens. C’est beaucoup plus important pour moi que de se battre pour la conquête des étoiles ou l’immortalité. J’ai de l’espoir. Le système ne fonctionne pas et ne rend pas heureux, il suffit de regarder le nombre de burn-out. L’envie de changement est en train de gagner les consciences.
EN SAVOIR PLUS :
Des projections sont prévues à Couvin et Bruxelles le 29.09, Ottignies le 30.09, Mons le 01.10, Tournai le 02.10 et Namur le 10.10. Toutes les informations sur toutsaccelere.com. Il est aussi possible d’organiser des projections.
Un dossier pédagogique accompagne le documentaire, téléchargeable ici.