Vous voulez voir des thésards s’époumoner sur scène pour défendre leur travail en un temps record? Le concours «Ma thèse en 180 secondes» est pour vous.
Voilà 165 secondes qu’Aurore Demars s’échine sous les projecteurs d’un auditoire de l’ULB. Dans les travées, 700 personnes scrutent ses moindres gestes, tentent de déchiffrer son discours fait de «bactéries brucella melitensis» et d’infection pulmonaire. Alors qu’elle atteint le climax de son récit, Aurore Demars jette un œil au chrono situé à sa droite. Plus que dix secondes… Prise d’une impulsion, la jeune femme lâche une grosse punchline (phrase choc) – «Pour conclure, papa, maman, j’espère que vous avez enfin compris ce que je fais» – avant de quitter la scène au son énorme d’un gong et d’une salve d’applaudissements.
«Certains pensent qu’il est honteux de se rabaisser à un boulot de vulgarisation», Alice Ledent
Comme 18 autres candidats ce 24 mai, Aurore Demars (UNamur) participe à la finale du concours «Ma thèse en 180 secondes», organisé chaque année depuis 2014. Tout est dans le titre. Dix-neuf «thésards» issus de toutes les universités francophones du pays et triés sur le volet sont venus tenter d’expliquer leur thèse en trois minutes. À l’aide d’une seule diapositive, s’il vous plaît. Et en essayant de rendre le tout compréhensible, voire presque «funky». Une gageure quand on lit l’intitulé de certains travaux. On plaint notamment Guillaume Bayon Vincente (UMons), amené à défendre un exigeant «Influence de la balance redox sur la production de polyhydroxyalkanoates par la bactérie pourpre non sulfureuse Rhodospirillum rubrum S1H: une nouvelle vision métabolique». Spéciale dédicace, aussi, à Jennifer Watchi (ULB) et son hommage à peine déguisé aux frères Gallagher intitulé «OASYS (Opto-Active isolation SYStem)».
Précisons que, pour la bonne cause, chaque candidat a été amené à présenter un titre simplifié. Remaniée à la sauce «180 secondes», la thèse de Guillaume Bayon Vincente s’est ainsi transformée en un appétissant «Dis-moi ce que tu brasses… je te dirai de quoi sera fait le plastique de demain»…
La vulgarisation, une maladie honteuse?
Qu’est-ce qui peut bien pousser les candidats à prendre part à un concours dont le but est «d’informer le grand public de la richesse et de l’intérêt des recherches scientifiques»? Ceux-ci citent la rencontre avec des chercheurs issus de disciplines différentes, le fait d’apprendre à se présenter, de sortir de leur isolement de chercheurs. Et puis il y a la vulgarisation «dans un milieu universitaire où on a l’habitude de rester entre soi», d’après Alice Ledent, une des thésardes en lice ce soir-là. Un milieu qui ne verrait d’ailleurs pas toujours l’événement d’un très bon œil. «Certains pensent qu’il est honteux de se rabaisser à un boulot de vulgarisation, explique Alice Ledent. On entend aussi que nous participons à ce concours parce que nous ne sommes pas assez bons dans nos thèses.»
Pourtant, quand on voit le résultat sur scène, on se rend compte que les candidats ont dû bosser. Coaching, travail en solo de leur texte, ils ont été mis à toutes les sauces. Alice Ledent évoque ainsi «le plus gros stress de ma vie», rapporte les «trous» de 10 à 15 secondes de certains candidats morts de trouille lors des répétitions. Une situation qui n’a pas empêché Martin Delguste (UCL) de l’emporter. C’est lui qui représentera la Belgique à Lausanne le 27 septembre prochain pour la finale internationale francophone. On a hâte de savoir avec quels intitulés de thèse les Québécois ou les Marocains pointeront le bout de leur nez…