Quatre compétences viennent d’être transférées du fédéral vers le Forem. Elles sont «petites», mais ce sont les premières.
Voilà des années que l’on parle du transfert de certaines compétences du fédéral vers les Régions. Le tout à la suite de la sixième réforme de l’État. Rayon emploi et chômage, elles sont plus que nombreuses. Mais voilà, il y a un hic. Si la plupart d’entre elles sont officiellement transférées, dans les faits, c’est autre chose. Bien souvent, pour de gros dossiers comme les titres-services, les ALE, les articles 60 ou encore le contrôle de la disponibilité des chômeurs, les Régions ne sont pas prêtes. Et c’est toujours le fédéral qui assure le travail en attendant.
Malgré cela, quatre «petites» compétences en provenance du fédéral viennent enfin d’atterrir dans l’escarcelle du Forem le 1er avril 2015. Et ici, on parle bien d’opérationnel. Le Forem a donc pris la main alors que pour les plus grosses matières citées auparavant, on en est encore aux travaux préparatoires. Petite précision: il ne s’agit pas d’un poisson d’avril, puisque les équipes de travailleurs ont également été transférées du fédéral vers la Région wallonne.
Éviter une rupture de service
Pour marquer le coup, le Forem avait décidé de mettre les petits plats dans les grands ce 3 avril. Flanquée d’Éliane Tillieux (PS), la ministre wallonne de l’Emploi, Marie-Kristine Vanbockestal, administratrice générale du Forem, s’est réjouie: «Il s’agit des quatre premières compétences transférées au Forem sur les onze prévues au total.» Il s’agit du Fonds de l’expérience professionnelle, du congé-éducation payé, du Fonds de formation titres-services et de la réduction groupe cible pour tuteurs. Certes, celles-ci sont moins «ronflantes» que les articles 60 ou le contrôle de la disponibilité des chômeurs, qui devraient suivre. Mais qu’importe, l’intérêt des premières fois tient parfois plus à leur nouveauté qu’à leur côté spectaculaire…
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Le Fonds de l’expérience professionnelle conseille les employeurs du secteur privé et soutient financièrement leurs projets d’amélioration des conditions de travail des travailleurs de 45 ans et plus;
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Le Fonds de formation titres-services permet aux entreprises agréées du secteur titres-services d’obtenir des subventions pour organiser des formations à destination de leurs travailleurs sous contrat titres-services;
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Le congé-éducation payé est une aide permettant au travailleur du privé de suivre une formation reconnue et de s’absenter de son travail, avec maintien de sa rémunération;
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La réduction groupe cible pour tuteurs est une réduction de cotisation sociale destinée aux employeurs affectant certains de leurs travailleurs à la formation ou à l’accompagnement de personnes suivant une formation ou un stage en milieu professionnel.
Pourtant, soyons de bon compte, ces mécanismes ont leur intérêt. Le congé-éducation payé et le Fonds de formation titres-services sont importants et représentent tout de même – en y ajoutant les deux autres mécanismes transférés – près de 18 millions d’euros au total. «Ces dossiers peuvent paraître ‘faciles’ en regard de ce qui va arriver dans les prochains mois, mais ce n’était pas si évident. Il ne fallait pas qu’il y ait une rupture de service. Nous devions de plus accueillir le personnel en provenance du fédéral», a précisé Marie-Kristine Vanbockestal. Dix agents ont effectivement été transférés du fédéral vers le Forem pour gérer ces nouvelles compétences transférées «à l’identique». «Le service public fédéral se défaisait à ce moment de prérogatives et de travailleurs. Ce qui peut ne pas être évident d’un point de vue psychologique, a enchaîné l’administratrice générale du Forem. Pourtant, à aucun moment le SPF n’a eu la volonté de freiner le processus.»
Tension dramatique
Dans ce concert de bons points, un gros dossier en préparation est cependant venu instiller un peu de tension dramatique. On pense ici au contrôle de la disponibilité des chômeurs. Pour rappel, les Régions sont en effet compétentes en la matière depuis le 1er juillet 2014. Et dans les faits, c’est aux services régionaux de l’emploi qu’il reviendra de s’acquitter de cette tâche. Alors qu’ils sont déjà en charge de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Il leur faudra donc manier la carotte et le bâton. Avec un risque de confusion des genres et un manque de lisibilité de la situation dans l’esprit des chômeurs? C’est ce que semble craindre beaucoup de monde. Pourtant, certains syndicats – et certains décideurs politiques – tentent de trouver des avantages à cette nouvelle situation. Parmi ceux-ci: la possibilité pour les services régionaux d’adapter le contrôle de la disponibilité des chômeurs aux spécificités régionales. Quand on parle de spécificités régionales, on pense notamment aux caractéristiques des chômeurs. Et à une certaine «souplesse», ou pas, vis-à-vis d’eux. Déjà réputés plus «coulants» que le fédéral ou le VDAB dans leur attitude vis-à-vis des chômeurs, Actiris et le Forem pourraient être tentés de mettre en place un contrôle de la disponibilité plus «soft». Un problème risque néanmoins de se poser à ce niveau. Le contrôle de la disponibilité est passé aux Régions, mais la capacité de réglementation est quant à elle restée au fédéral. Dans ce contexte, la marge de manœuvre des services régionaux pourrait être limitée…
C’est cette question qui est revenue sur la table ce 3 avril. Interrogée à ce sujet, Éliane Tillieux a répondu… mais pas trop. La ministre a annoncé qu’elle allait rencontrer son homologue du fédéral, Kris Peeters (CD&V). «Nous allons devoir conclure un accord de coopération et baliser avec Kris Peeters la manière dont le contrôle va se faire au niveau des Régions», a-t-elle expliqué. «Nous devons faire évoluer les critères du contrôle vers une personnalisation de celui-ci en rapport avec le chômeur et les réalités socio-économiques. La nouvelle réalité doit être prise en compte. Pour cela, chaque Région devra aller expliquer au fédéral comme rédiger cet accord.» La voix wallonne sera-t-elle audible jusqu’aux méandres fédéraux? «J’espère», a conclu la ministre…
À voir leurs mines satisfaites, certains des travailleurs «transférés» du fédéral vers la Région wallonne n’étaient pas peu contents d’être enfin arrivés au boulevard Tirou de Charleroi, siège du Forem. Il faut dire que d’après Vanessa Fleury, une des travailleuses transférées, «les deux dernières années ont été longues». «On se posait effectivement beaucoup de questions concernant nos statuts, nos salaires et surtout qui allait aller dans quelle Région», renchérit Christophe Van Hecke. Une situation un peu stressante, alors que les réponses sont arrivées «au compte-gouttes».
Détail important: d’après Marie-Kristine Vanbockestal, administratrice générale du Forem, six travailleurs transférés sur dix avaient fait la demande explicite de se voir transférés en Wallonie. Ce qui est le cas des personnes que nous avons pu rencontrer. «Pour moi, c’est un changement de vie, souligne Christophe Van Hecke. J’habite Namur et je gagne une heure de train par jour.» D’autres travailleurs auraient par contre vu leur temps de trajet augmenter.
Globalement, les travailleurs estiment avoir été bien accueillis par le Forem. Un accueil qui a été préparé de longue date. «Le SPF avait déjà rassemblé sur un même étage tous les ‘régionalisés’ pendant afin que nous puissions tisser des liens», explique Yvette Charlet. Avant d’ajouter: «Nous avons de plus préparé le terrain avec le Forem depuis septembre 2014.»
Aller plus loin
Alter Échos n°400 du 08.04.2015 : «Accompagner et contrôler: casse-tête insoluble pour les services régionaux de l’emploi?»
Alter Échos n°398 du 01.03.2015 : «Titres-services, l’heure des choix».
Alter Échos n°392 du 11.11.2014 : «Articles 60 : une régionalisation dans le vague?»
Alter Échos n°340 du 08.06.2012 : «Les ALE, enjeu ignoré de la réforme institutionnelle?»