Les ambiguïtés de l’accord de gouvernement de la coalition Vivaldi au sujet de la politique migratoire agitent la scène politique et prennent toute la lumière. Mais il existe d’autres pans de cette feuille de route politique qui créent moins de remous et sont même accueillis avec une forme de bienveillance par des acteurs spécialisés. C’est le cas de la partie relative à la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, considérée comme «ambitieuse» par Myria, le Centre fédéral migration.
L’accord stipule que cette lutte sera intensifiée. Elle passera par un «investissement prioritaire dans la lutte contre les trafiquants et le démantèlement des réseaux».
Mais surtout, ce qui change un peu, c’est la volonté affichée d’accorder une attention prioritaire aux victimes et à leur détection, surtout lorsqu’elles sont mineures. «Dans cette optique le financement des centres d’accueil pour victimes sera pérennisé», lit-on dans l’accord. Myria se réjouit de cette mention car les centres pour victimes «jouent un rôle clef mais leur financement reste depuis trop longtemps incertain». Le centre fédéral rappelle au passage que traite et trafic sont deux notions différentes «qui méritent chacune une approche spécifique».
Petit rappel: la traite, c’est le recrutement, le transport, l’hébergement l’accueil d’une personne en vue de son exploitation. Le trafic consiste à aider au franchissement illégal de frontière contre rémunération.
En Belgique les victimes de la traite peuvent bénéficier d’un statut propre – et donc d’un titre de séjour – si elles collaborent avec les autorités judiciaires. Mais les victimes de trafic peuvent aussi prétendre à l’obtention d’un tel statut dans des circonstances particulièrement graves.
«Souvent les migrants, dans le cadre d’une interpellation, ne souhaitent pas ce statut car leur but est de poursuivre la route pour le Royaume-Uni.» Patricia Le Cocq, Myria
Trop peu de demandes pour le statut de victimes
Le trafic d’êtres humains «manque» cruellement de victimes. Disons que des «victimes» de réseaux, il en existe beaucoup. Par exemple dans le cadre de passages vers le Royaume-Uni. Mais trop peu demandent le statut légal de victime. D’abord parce que les frontières sont parfois poreuses entre le «passeur» et la «victime», surtout lorsqu’un migrant désargenté sert de «petite main» à des réseaux – fermer les portes de camions par exemple – dans le seul but de s’offrir un passage.
Chaque année, ils ne sont que quelques poignées de migrants à se saisir de cette possibilité d’obtenir le statut de victime, qui impliquerait d’être orienté vers un centre d’accueil spécialisé et de collaborer avec les autorités pour démanteler le réseau. Ils n’étaient que 17 à bénéficier de ce statut en 2018 et le chiffre ne dépasse jamais la vingtaine annuellement.
«Souvent les migrants, dans le cadre d’une interpellation, ne souhaitent pas ce statut car leur but est de poursuivre la route pour le Royaume-Uni», explique Patricia Le Cocq, spécialiste «traite et trafic d’êtres humains» chez Myria. Pourtant, les circonstances de leur «trafic», pourraient souvent être considérées comme aggravantes, «lorsqu’ils sont transportés dans des conditions dangereuses, qui mettent leur vie en danger. Dans des camions frigorifiques par exemple», ajoute-t-elle. Pour Ann Lukowiak, magistrate pour le parquet fédéral en matière de traite et de trafic des êtres humains, «les migrants qui demandent le statut de victime sont peu nombreux. Et pourtant nous le proposons. Les circonstances aggravantes qui le justifient, c’est le fait de risquer sa vie. Si on trouve un groupe dans un camion et qu’ils ne peuvent pas l’ouvrir, il s’agit d’une circonstance aggravante. Mais il y a une fierté du migrant. Ils ont traversé la mer, sont restés parfois bloqués en Libye, ce n’est pas pour s’arrêter si près du but. Dans d’autres cas, lorsque la personne fait la demande et que nous accordons ce statut, la personne disparaît tout de même sans que nous sachions pourquoi.».
«Les services de police ne doivent pas considérer les victimes de trafic d’êtres humains comme des personnes en séjour illégal qu’il faut éloigner au plus vite (…)» Myria, rapport annuel 2018
Outre l’attrait magnétique du Royaume-Uni, l’attitude des «acteurs de première ligne» – la police essentiellement – est un élément clef que pointait Myria dans son rapport annuel de 2018 pour susciter l’intérêt des migrants interceptés. Car leur collaboration est essentielle au démantèlement des réseaux. Pour demander un statut de victime, il faut se sentir comme telle. Mais les interpellations et les arrestations leur donnent parfois l’impression d’être traités en coupable. Et puis les personnes arrêtées sont-elles systématiquement informées de l’existence de ce statut? On pouvait lire dans le rapport Myria de 2018: «Les services de police ne doivent pas considérer les victimes de trafic d’êtres humains comme des personnes en séjour illégal qu’il faut éloigner au plus vite (…) mais plutôt comme des personnes source d’informations importantes dans la lutte contre les passeurs.» Peut-être une source d’inspiration pour la coalition Vivaldi.
En savoir plus
À la une de notre prochain numéro: «Cachez ce passeur que je ne saurais voir», Alter Échos n°487, octobre 2020, Cédric Vallet.