Le magazine Ciné Télé Revue a publié ce 16 novembre l’interview de quatre gardiens du centre fermé de Vottem. Ces gardiens témoignent, sous couvertde l’anonymat, de faits extrêmement inquiétants : graves carences dans la prise en charge des détenus malades, pressions du régime de groupe, utilisation abusive del’isolement, brutalités …
pendant les expulsions. Des témoignages qui ont suscité de nombreuses réactions indignées au niveau politique et associatif.
Le récit fait par ces quatre gardiens au journaliste Michel Bouffioux dépasse de loin les conditions pénibles de détention en centre fermé déjàrapportées par plusieurs ONG dans un rapport1 rendu public le 19 octobre et dont nous vous avons longuement parlé dans l’Alter Échos n° 218. Nous résumons ici pour une meilleurecompréhension le contenu de ces témoignages qui font froid dans le dos : « Dans ce centre fermé de Vottem, il n’est pas rare qu’on enferme dans des cachots, nues, pendantplusieurs jours, marinant dans leurs excréments et dans l’urine, des personnes qui ont des problèmes psychiatriques. » Ces personnes qui n’arrivent pas à s’intégrer dans legroupe sont donc reléguées dans des cachots et abandonnées à leur sort pendant des périodes pouvant aller jusqu’à deux mois. Les gardiens citent entre autresle cas d’un Africain qui « mourait littéralement de trouille et restait immobile, serré dans une couverture ». La direction a décidé de le mettre encellule d’isolement parce qu’il ne se lavait pas. « Cet homme n’était plus en état de contrôler ses actes. Au point qu’il déféquait eturinait sous lui. Il a été laissé nu dans sa cellule pendant des semaines. » Le gardien poursuit : « Il m’arrive souvent de rentrer chez moi et de chialer parceque j’ai vu des trucs qui ne devraient pas exister. Ce type (l’Africain), ils l’ont rapatrié sans suivi. »
S’il existe bien un psychologue attaché au centre, ce psychologue, adjoint à la direction (!), éprouve manifestement des difficultés dans son travail. Lesgardiens disent même : « Le dilemme pour cette direction, c’est que si ce type est reconnu malade, il n’est plus expulsable et le travail ne peut donc se faire dans des conditionscorrectes. »
Ce ne sont pas les seuls cas graves cités. Des tuberculeux ne sont pas soignés, ils sont rejetés dans la nature sans déclaration de la maladie. Les gardienstémoignent également que des gens qui ont subi des tentatives d’expulsion reviennent tellement cassés qu’ils ne savent plus marcher.
Indignation des ONG
Ayant pris connaissance de cet article, Amnesty International a demandé au ministre de l’Intérieur de mener, dans les délais les plus courts possibles, une enquêteindépendante sur les faits allégués, d’en publier les conclusions et de faire traduire, le cas échéant, les responsables en justice. Cette étude devraitporter en outre sur les opérations d’éloignement qui auraient été menées avec violence par les agents de l’État. Enfin, étant donnéla gravité des faits allégués, Amnesty International exhorte le gouvernement à étendre cette enquête aux autres centres fermés du territoire belge.
La Ligue des droits de l’homme et le Ciré estiment pour leur part que « ces témoignages montrent l’incapacité des centres à prendre en charge despersonnes gravement malades ou fragilisées. De manière générale, ces faits renforcent le point de vue selon lequel l’enfermement de personnes qui n’ont commisaucun délit, dans ce type de conditions et pour des durées aussi longues, ne peut que conduire à ce type de dérives ». Pour les deux ONG, le débat doitêtre engagé sur les alternatives à la détention d’étrangers en Belgique.
Interpellations du ministre de l’Intérieur
Le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael, a invité, ce 16 novembre à la Chambre, les agents du centre fermé de Vottem à sortir de l’anonymat. Il s’estengagé devant le Parlement à ne prendre, dans ce cas, aucune sanction à l’encontre de ces personnes.
Le ministre était interrogé par Zoé Genot (Écolo) et Benoît Drèze (CDH) sur les déclarations faites par les quatre agents du centre fermé.Zoé Genot a demandé que la direction du centre de Vottem soit suspendue, le temps de diligenter une enquête, et qu’une enquête extérieure soit menée,à laquelle seraient étroitement associés les parlementaires et les ONG. Benoît Drèze a de son côté également plaidé pour qu’uneenquête externe soit menée et a demandé des auditions en commission de la Chambre. Il a en outre interrogé le ministre sur le non-respect du délai légald’enfermement en cellule d’isolement. En effet, d’après la législation, l’isolement ne peut pas durer plus de 24 heures et ne peut être prolongé au-delàde 72 heures sauf décision formelle du ministre. Manifestement, à Vottem, la direction s’est passée de l’avis du ministre…
Patrick Dewael a répondu au député que « le séjour dans un centre fermé est contrôlé par la chambre du conseil, entre autres. Si ladurée d’enfermement n’est plus raisonnable, on peut toujours se rendre devant la chambre du conseil. De plus, il existe une commission des plaintes, qui est composée d’un magistrat,d’un avocat et d’un représentant des ONG. Dans cette matière, je m’étonne d’ailleurs du peu de plaintes que cette commission reçoit. »
Un faible nombre de plaintes qui s’explique aisément selon Zoé Genot : « Chacun sait que les malades mentaux ont parfois du mal à transmettre une plainte parécrit endéans les cinq jours. En effet, ils sont rarement assistés par des avocats. Selon moi, la méthode adoptée pour le dépôt des plaintes ne permetpas aux personnes extrêmement fragilisées d’exprimer légalement leurs griefs. » Une autre raison était également avancée par les ONG lors de laprésentation de leur rapport en octobre dernier : la commission comprend aussi la direction des centres fermés, donc l’employeur des gardiens. « Nous avions toujours dit quecette commission ne fonctionnerait pas », explique dans Le Soir Eliane De Proost pour le Centre pour l’égalité des chances. Elle est destinée auxdétenus mais nous ne recevons aucune plainte. »
Patrick Dewael a par ailleurs ajouté qu’en exécution de l’accord du gouvernement, des efforts budgétaires ont été consentis l’année dernière– et le seront encore l’année prochaine – afin « d’humaniser » les centres fermés. « Des efforts seront également réalisés sur le plandu personnel. L’année prochaine, on pourra engager encore plus de personnel spécialisé, notamment des psychiatres, des psychologues, etc. J’ai toujours été d’avis,qu’il convient d’adopter une attitude très transparente sur les centres fermés. » Une transparence toute relative, selon la députée Ecolo : « Vous plaidez pourla transparence. Mais vous savez sans doute, monsieur le ministre, qu’à l’heure actuelle, pour se rendre en centre fermé, il faut prendre rendez-vous. Nous ne pouvons pas rencontrer lesgens ou circuler dans le centre sans autorisation. Si l’on veut la transparence, il faut que cette dernière soit effective. C’est pour cette raison que nous demandons la mise sur pied d’uneenquête externe. »
Le ministre a encore précisé que le rapport des ONG reçu en octobre dernier et les déclarations des gardiens feront l’objet d’un examen attentif et qu’il communiquerales conclusions au Parlement. S’il a défendu les centres, le ministre a fini par promettre une enquête interne sur les faits révélés à Vottem.
Propositions socialistes
Le PS, de son côté, demande que les propositions de loi et de résolutions socialistes interdisant l’enfermement des mineurs dans les centres fermés et demandant entreautres l’amélioration sensible des conditions de détention soient rapidement examinées2. Il souhaite également que l’étude relative aux mesuresalternatives à l’enfermement des familles et de leurs enfants mineurs qu’il a demandée soit finalisée dans les meilleurs délais. Il déposera prochainement uneproposition de loi qui prévoira notamment les dispositions suivantes :
• interdiction de la détention dans les centres fermés des femmes enceintes, des personnes gravement malades, des personnes souffrant de troubles psychologiques graves et despersonnes victimes de traitements inhumains et dégradants.
• limitation du séjour maximum de détention à deux mois.
• consécration du pouvoir systématique du juge de statuer sur l’opportunité de l’enfermement dans les centres fermés et instauration de l’effet suspensif du recoursdevant la chambre du conseil.
• les médecins qui officient dans les centres fermés ne doivent plus être contractuellement liés par le service public fédéral Intérieur, maisbien par le SPF Santé publique. Les personnes détenues doivent être informées de leur droit d’accéder à leur dossier médical et du droit de communiquerleur dossier à leur avocat.
• allongement du délai d’introduction de la plainte de l’étranger détenu en centre fermé auprès de la commission des plaintes et instauration ducaractère suspensif de celle-ci (l’obligation de quitter le territoire est suspendue), afin que la possibilité de déposer plainte en cas de non-respect des règlesrelatives aux centres fermés soit effective et réelle. La plainte pourra être directement déposée auprès de la commission et ne devra plus passer parl’intermédiaire du directeur du centre.
• octroi, pour l’ensemble des centres fermés (en ce compris le centre Inad de l’aéroport de Bruxelles) du droit d’accès et de visite aux associations.
Le PS déposera également une proposition de loi visant à instaurer un meilleur contrôle des éloignements d’étrangers (possibilité de contrôlerégulière par un organisme indépendant, système de vidéosurveillance,…), afin d’éviter les dérives.
Il insiste par ailleurs auprès du ministre de l’Intérieur pour que la directive européenne relative aux normes d’accueil, qui concerne également les conditionsd’accueil dans les centres fermés, soit transposée dans le droit belge dans les plus brefs délais.
1. Rapport téléchargeable sur le site de la Ligue ou le site duCiré
2. Communiqué de presse du PS du 17/11/06.