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Regard critique · Justice sociale

Santé

Transition mentale

Avoir entre 18 et 30 ans, ce n’est pas toujours évident. Période de transition, de passage, ce moment particulier de la vie peut se compliquer davantage encore si l’on souffre de problèmes de santé mentale. À Uccle, la clinique Fond’Roy a créé une unité destinée à ces jeunes en souffrance, plus tout à fait adolescents, mais pas encore tout à fait adultes…

© Bertrand Dubois

«J’ai encore le train de la vie à prendre.» À 22 ans, Laura* a effectivement du temps devant elle. On la sent calme, posée. Il n’en a pas toujours été ainsi. Malgré une vie, des études «où tout filait droit», Laura a récemment connu des problèmes de santé mentale. Et, après un épisode sérieux, elle a fini par entrer à la clinique Fond’Roy, qui accueille des personnes hospitalisées en psychiatrie générale. Aujourd’hui, alors qu’elle s’apprête à sortir, elle ne tarit pas d’éloges à propos de cet établissement situé à Uccle, dans un environnement verdoyant, qui lui faisait pourtant peur au début. «Le panel d’activités thérapeutiques est incroyable et j’ai été hyper-impressionnée par le corps soignant, qui est très couvant, détaille-t-elle. Il existe beaucoup de stéréotypes à propos de la santé mentale. Je pensais que je n’allais pas me sentir en sécurité parmi les ‘fous’. Mais, quand je suis arrivée ici, la seule chose qui m’a marquée en ce qui concerne les patients, c’est une certaine sensibilité.»

Pourtant, outre une certaine sensibilité, ces patients partagent aussi une autre caractéristique: ils ont tous entre 18 et 30 ans. Depuis quelques années, la clinique Fond’Roy a effectivement mis sur pied une unité dédiée aux «jeunes adultes», où Laura a été accueillie parmi les 34 lits disponibles. Pourquoi? Parce que cette tranche d’âge est «une période critique» d’un point de vue médical et psychiatrique, explique Paul Duroy, psychiatre responsable de l’unité. «Les 18-25 ans sont à risque pour développer des maladies psychiatriques, les premiers épisodes de schizophrénie, de troubles bipolaires.» Autres dangers: les automutilations ou les tentatives de suicide, plus fréquentes.

«Les 18-25 ans sont à risque pour développer des maladies psychiatriques, les premiers épisodes de schizophrénie, de troubles bipolaires.» Paul Duroy, psychiatre responsable de l’unité «Jeunes adultes».

Mais il y a une autre raison. Entre 18 et 30 ans, on n’est plus vraiment adolescent, mais parfois pas encore tout à fait adulte. «La majorité légale ne coïncide pas du tout avec la majorité psychique», analyse Paul Duroy. Or après 18 ans, les jeunes connaissant des problèmes de santé mentale qui nécessitent une hospitalisation sont souvent versés dans des unités psychiatriques où ils peuvent côtoyer des patients âgés de 40, 50, 60 ans, dont certains ont déjà un long passé de psychiatrie. «C’est un peu un constat général dans tous les secteurs, continue Paul Duroy. À 18 ans, les jeunes quittent plein de services comme les services de protection de la jeunesse, les services d’aide à la jeunesse. Tout ça s’arrête, il n’y a plus de structures spécifiques.» Une situation pas vraiment idéale en psychiatrie pour un jeune public «dont le contact avec les patients plus âgés risque de ‘fixer’ ses problèmes naissants et dont on sent qu’il a encore besoin d’un encadrement spécifique, d’attention. On est encore souvent dans la continuité d’une problématique ‘adolescente’», renchérit Aude Bogemans, psychologue coresponsable de l’unité.

Canaflix

L’unité «jeunes adultes» serait-elle une sorte de zone de transition entre l’adolescence et l’âge adulte pour personnes porteuses de problèmes de santé mentale? C’est l’avis de Gilles*, infirmier au sein de l’unité, qui a accepté de prendre quelques minutes pour témoigner, avant de repartir faire le tour des chambres. «Nous essayons de les accompagner dans ce passage, de les amener au mieux vers cette vie d’adulte, avec, en filigrane, leurs difficultés psychiques», analyse-t-il. «Pour beaucoup, le passage à Fond’Roy constitue un moment charnière», confirme Paul Duroy.

Les profils des personnes hospitalisées au sein de l’unité semblent confirmer ce constat. Jeunes dans une crise d’adolescence prolongée dont ils n’arrivent pas à sortir, «adultes en devenir», jeunes patients issus de la pédopsychiatrie (qui ont donc déjà connu des problèmes de santé mentale au stade de l’enfance) ou connaissant leurs premiers épisodes psychiatriques: tous semblent se trouver dans une sorte d’entre-deux.

Les pathologies, quant à elles, semblent parfois spécifiques à cette tranche d’âge. «Beaucoup de jeunes arrivent avec un décalage jour/nuit, ils vivent la nuit, dorment le jour, sont sur leurs écrans, parfois combinés avec des assuétudes. C’est ce qu’on appelle parfois le ‘Canaflix’ (combinaison de cannabis et Netflix, NDLR)», témoigne Paul Duroy. Il y a aussi les automutilations ou les tentatives de suicide. «Chaque infirmière dispose d’une paire de ciseaux costauds, on peut s’étrangler avec n’importe quoi», situe Paul Duroy. «Ce qui me touche le plus, c’est la scénarisation qu’il y a souvent autour des automutilations. Certains prennent des bains et se font une belle entaille. C’est souvent superficiel, mais cela reste la matérialisation d’une souffrance», témoigne Gilles.

«On en a plein qui ont encore trois examens à passer à l’université et qui s’arrêtent. Aller au bout, c’est passer à autre chose et ce passage a l’air d’être très compliqué. J’ai l’impression que les jeunes sont adultes de plus en plus tard.» Aude Bogemans, psychologue co-responsable de l’unité «Jeunes adultes»

Et puis, peut-être moins frappant mais tout aussi prégnant, il y a ces jeunes qui semblent avoir peur de passer à autre chose ou qui n’ont plus envie de rien… «On en a plein qui ont encore trois examens à passer à l’université et qui s’arrêtent, constate Aude Bogemans. Aller au bout, c’est passer à autre chose et ce passage a l’air d’être très compliqué. J’ai l’impression que les jeunes sont adultes de plus en plus tard.» «Je me souviens d’un jeune type de 26 ans, sympa, il avait voyagé, fait trois masters, été en Erasmus, il avait une copine, il était bénévole, renchérit Paul Duroy. Mais il n’avait plus aucune envie, comme si à 26 ans, tout était fait. On vit dans un monde génial, parce qu’on peut faire des choses qu’on ne pouvait pas il y a 50 ans. Mais d’un autre côté, il y a parfois presque trop de choix. On ne dit plus ‘Tu seras avocat’, mais ‘Tu seras heureux, fais ce que tu aimes’. Mais, à 18 ans, qu’est-ce qu’on aime? Et il y a aussi cette idée que l’on peut réussir soi-même, être son propre auto-entrepreneur en mode ‘Tous des Zuckerberg’ (le fondateur de Facebook, NDLR). Cela met beaucoup de pression sur les épaules…»

Les murs soignent

Face à cette situation, le parcours des jeunes à Fond’Roy est fait de rendez-vous avec des psychologues, des médecins, des psychiatres, d’activités thérapeutiques, de vie dans une forme de communauté où l’on peut se sentir soutenu par les pairs. Il s’agit, aussi, de remettre du cadre. Dormir, manger, se lever, se coucher à heures fixes, briser l’isolement. Tout cela, selon Paul Duroy, contribue aussi améliorer la situation. «Les murs soignent», lance-t-il en guise d’image.

Reste que, pour les équipes, travailler avec des jeunes en proie à de tels problèmes peut parfois être un défi. «Ce rapport à la vie, à la mort, c’est difficile. Être confronté à des jeunes dans une telle souffrance a quelque chose d’heurtant, de bousculant. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’ils sont à un stade de leur vie où ils devraient tout croquer à pleines dents», souffle Aude Bogemans.

«Chez mes amis, rares sont ceux qui n’ont pas été voir un psychologue. Alors que chez les adultes, les plus âgés, c’est plus compliqué…» Laura, 22 ans

Si, en 2021, la durée moyenne des séjours dans l’unité «jeunes adultes» était de 43 jours – même si certains jeunes font plusieurs séjours, parfois étalés sur plusieurs années, NDLR –, le Covid et la fermeture des services de soutien extérieurs qui s’est ensuivie ont parfois fait grimper ce chiffre. Et puis, il y a aussi ce sentiment de protection, presque, que le personnel peut ressentir à l’égard de ces jeunes en transition et qui fait dire à Aude Bogemans que les équipes «ont parfois du mal à les lâcher. On continue à les accompagner pendant longtemps». Comme si les équipes, elles aussi, avaient parfois du mal avec ce fameux passage…

Pour Laura, l’heure de la sortie a pourtant sonné. Heureuse de prendre ce «train pour la vie», elle se laisse aller à une dernière réflexion, presque en forme de contrepied. «J’ai l’impression que ma génération se pose plus de questions sur la santé mentale. Chez mes amis, rares sont ceux qui n’ont pas été voir un psychologue. Alors que, chez les adultes, les plus âgés, c’est plus compliqué…»

* Nom d’emprunt

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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